Mercredi 09 octobre 2024

Société

Un rapt d’enfant et des zones d’ombre

11/12/2020 Commentaires fermés sur Un rapt d’enfant et des zones d’ombre
Un rapt d’enfant et des zones d’ombre
La nounou, Médiatrice Uwineza, avec le bébé qu’elle a enlevé, le jour de son arrestation.

Josh Taylor Bulanje, un bébé de 6 mois de la zone Ngagara quartier 5, a été enlevé par sa domestique, Médiatrice Uwineza, puis retrouvé, le 4 décembre. Iwacu a essayé d’enquêter sur les mobiles de ce rapt qui reste un peu flou.

Vendredi 4 décembre, c’est un jour normal pour les parents du bébé Josh. Ils se préparent pour aller au travail, comme d’habitude.

A 8h30, raconte la maman de Josh, Annabelle Irakoze, employée de l’Interbank, elle et son mari, Denis Bulanje, s’apprêtent à quitter la maison. Ils doivent laisser leur bébé cadet avec sa bonne, comme d’habitude. Josh est le 3ème après deux enfants de 11 et 8 ans.

La domestique se comporte bizarrement ce matin-là, se rappelle la maman. Elle accompagne les parents jusqu’au parking, le bébé dans ses bras, et force sa main à dire au revoir. « Bye Papa, bye maman… », dira la domestique, toute joyeuse. Un geste qu’elle n’avait jamais posé avant.

Vers midi, la maman reçoit un appel de sa collègue lui disant de rentrer vite à la maison, que la bonne lui a volé son bébé. L’information  venait du taximan qui a conduit la nounou  et le bébé au parking de Cotebu. Le taximan est connu de la famille. « Le taximan nous conduisait parfois au travail avec ma collègue », raconte la mère du bébé.

Selon le domestique qui travaille à la cuisine, vers 11 heures, Médiatrice lui a demandé d’aller lui chercher un taxi, que la mère du bébé avait besoin qu’elle emmène Josh à son bureau pour le conduire à l’hôpital. Cela semble normal pour le domestique. Il obéit. Il affirme qu’il n’a pas remarqué que Médiatrice avait emporté une grande valise remplie de tous les vêtements du bébé, des biberons, du lait et toute la nourriture de l’enfant.

Une nounou « parfaite »

A droite, Annabelle Irakoze, la maman du bébé et la nounou à gauche.

La maman de Josh affirme qu’elle n’avait aucun problème avec Médiatrice. « C’était une domestique parfaite. Elle a pris soin de moi quand je venais d’accoucher, c’est elle qui faisait tout pour moi. »

D’après la mère, la domestique était bien traitée, au même rang que ses enfants. « Elle portait mes vêtements, je lui donnais mes déodorants… elle était comme mon enfant. »

D’ailleurs, selon Annabelle Irakoze, le bébé était loin d’être traumatisé à son retour. Il était joyeux. Elle s’attendait à un enfant pleurant sans cesse, traumatisé. « C’était bizarre. La bonne avait emporté tous les médicaments du bébé, le lait et toute la nourriture, comme si c’était son enfant. »

Pour savoir si la famille compte porter plainte contre la domestique, le père du bébé, Denis Bulanje, un homme d’affaires, rétorque : « Le plus important est que nous avons retrouvé notre bébé. Nous sommes des « born again », nous pouvons pardonner. Mais nous laissons la police faire son travail. »

Tous les moyens sont bons pour « recouvrer son argent »

Emprisonnée aux cachots de la commune Kayanza, Médiatrice Uwineza, 22 ans, affirme qu’elle a enlevé l’enfant pour faire pression à ses parents. Elle n’aurait jamais été payée depuis qu’elle travaille chez le couple, le 5 avril de cette année, selon elle. « Je ne cessais pas de demander l’argent, ils me disaient d’attendre, que je vais être payé d’un moment à l’autre. »

Deux premiers mois après, Médiatrice indique qu’elle est allée se plaindre à l’association coopérative des domestiques « Ntunsige solidarité » de Kanyosha, à laquelle elle appartenait. C’est l’association qui lui a trouvé cet emploi, d’après elle. La coopérative lui a dit d’être patiente, qu’elle va lui chercher un autre travail. Médiatrice a attendu en vain. Elle affirme qu’elle n’a plus jamais contacté l’association, depuis ce jour-là. Mais elle a continué de travailler dans l’espoir de recevoir son argent.

Au début du mois de novembre, elle demande encore son salaire à sa patronne. Elle venait de faire 7 mois sans être payée. Mais la patronne l’accuse d’avoir volé ses deux pagnes neufs. Elle dira à la domestique, qui a rejeté cette accusation, qu’elle ne sera pas payée tant qu’elle n’aura pas vu ses pagnes.

Au début du mois de décembre, Médiatrice commence à perdre patience. Elle affirme avoir écrit le petit mot à sa patronne pour lui emprunter 100 mille BIF. Elle reconnaît avoir menti, dans cette lettre, que son père est emprisonné pour gagner la pitié de sa patronne et enfin avoir son argent. Mais peine perdue. « Elle m’a dit que je n’aurai pas l’argent tant qu’elle n’aura pas vu ses pagnes. »

C’est ainsi qu’elle prend la décision d’enlever l’enfant pour faire pression aux parents.

« Aucune intention de faire du mal au bébé »

Interrogée, Médiatrice affirme qu’elle n’avait nullement l’intention de faire du mal au bébé. « Et pour preuve, j’ai pris tout ce qu’il lui fallait, toute sa nourriture et tous les médicaments dont il avait besoin. » Elle confie qu’elle allait remettre l’enfant à sa commune d’origine Busiga, province Ngozi, et porter plainte pour qu’elle puisse enfin obtenir son argent.

Médiatrice affirme qu’elle est déjà maman d’un enfant de 4 ans. Information confirmée par son père, Eric Nyabenda. Ce dernier indique qu’il a tout de suite appelé sa fille dès qu’il a vu l’information circuler sur les réseaux sociaux. D’après lui, Médiatrice, qui était en route avec le bébé, lui a dit qu’elle veut rendre l’enfant à la commune Busiga pour recouvrer son argent. « Je l’ai moi-même dénoncé, je lui ai dit de s’arrêter là où elle arrive, à Kayanza, pour que la police vienne la récupérer».

Le chauffeur de la voiture « Probox », Désiré Nsengiyumva, qui conduisait Médiatrice et le bébé depuis le parking de Cotebu jusqu’à sa destination, à Ngozi, affirme en effet que la domestique a reçu un appel, durant le voyage, quand ils arrivaient au niveau de Kayanza. « Nous étions garés au bord de la route sur ordre de la police, une haute personnalité allait passer. »

Le chauffeur indique avoir entendu l’interlocuteur dire à Médiatrice de s’arrêter là où elle est. « C’est là que je me suis rendu compte que la femme que je transporte n’est pas réellement la maman du bébé, contrairement à ce que j’avais cru », témoigne le chauffeur. Car d’après lui, la jeune femme et le bébé s’entendaient très bien durant le voyage, le bébé n’a pas pleuré une seconde, il était joyeux, à l’aise. Ce chauffeur indique qu’il a tout de suite alerté la police qui était à côté et Médiatrice était ainsi attrapée.


Les parents réfutent la dette

Annabelle Irakoze, employée de l’Interbank et Denis Bulanje, homme d’affaires, affirment que la domestique a été payée régulièrement. Il n’est pas possible d’avoir une telle dette envers un domestique confiée par une association, selon eux.

Le papa de Josh récupérant son bébé, le jour de l’enlevement

Annabelle Irakoze précise que Médiatrice a commencé à travailler chez eux le 9 mai 2020, quatre jours avant la naissance de Josh. Un homme d’une association de domestiques de Kanyosha, qu’elle nomme Ferdinand en hésitant, lui indiquée par une amie, lui a ramené Médiatrice à la maison. Cette dernière devait toucher 50 mille BIF, selon Mme Irakoze.

Elle affirme que Médiatrice a été payée régulièrement depuis le mois de mai. Sauf ce mois dernier de novembre.

Annabelle Irakoze relève comme « première preuve de mensonge » de la domestique, le fait qu’elle a dit qu’on lui doit 8 mois. « Alors que le bébé a 6 mois. »

Deuxième preuve, elle montre un petit mot que la nounou lui a écrit quatre jours avant le kidnapping, où elle lui emprunte 100 mille BIF, soi-disant que son père est emprisonné. « Si on lui devait de l’argent, elle n’aurait pas utilisé le mot prêter ».

De surcroît, s’explique la patronne, Médiatrice nous a été recommandée  par l’association de Kanyosha. « Comment puis-je ne pas payer une domestique pendant tous ces mois sans que l’association ne porte pas plainte pour moi ? » Car la domestique doit cotiser une certaine somme à l’association chaque mois après avoir reçu le salaire. Elle affirme que cette association leur a fait signer des contrats. Quand nous lui demandons de voir le contrat, elle dit qu’elle ne sait plus où il se trouve.

Cette employée de banque nous donne le contact de « Ferdinand » de l’association qui lui a ramené la bonne. Lorsque nous appelons sur ce numéro, l’interlocuteur ne s’appelle pas Ferdinand, mais Edouard. Effectivement, Edouard affirme qu’il travaillait dans cette association à cette époque, mais plus aujourd’hui. Mais Edouard affirme qu’il a ramené dans cette même famille une autre domestique qui s’appelle Belyse, vers le mois de mars ou avril. Donc celle qui précédait Médiatrice. Mais Belyse n’a pas travaillé un mois là-bas. Elle a été chassée, selon Edouard. Ce dernier affirme que Médiatrice a été conduite par Médard Ndayisenga, le président de l’association.

Des contradictions…

Interrogée, Médiatrice, la nounou emprisonnée, affirme en effet qu’elle a été conduite au travail, par Médard Ndayisenga, le président de l’association.

Après avoir contactée la patronne sur cette question, elle se rappelle finalement que Médiatrice lui a été ramenée par Médard, le président de l’association, accompagné par un autre employé de l’association dont elle ne se rappelle pas le nom.

Nous relançons Mme Irakoze si elle a signé le contrat avec cette association, elle se contredit en affirmant n’avoir pas signé de contrat. « Ils m’ont dit qu’ils vont m’apporter le contrat, mais ils ne sont jamais revenus. » Pourtant, avant la dame affirmait  qu’elle ne sait plus où se trouve le contrat.

Quant à Médard Ndayisenga, le président de l’association coopérative Ntunsige solidarité, il reconnaît que l’association a conduit Médiatrice chez un employeur du quartier 5 Ngagara au mois de juin. Mais il ne précise pas le nom de l’employeur. Il ne reconnaît même pas que c’est la maman de Josh qui a circulé sur les photos était l’employeur de Médiatrice. « Nous avons beaucoup de clients, il est difficile de reconnaître le visage de chacun. »

Médard affirme que l’association ne peut pas confier un domestique à un employeur sans signer le contrat avec celui-ci. Mais il refusera de montrer la copie du contrat. « Il faut le demander à l’employeur. »

L’association décline toute responsabilité

Bureau de la coopérative des domestiques à Kanyosha qui a recommandé Médiatrice

Le président de cette coopérative des domestiques qui va totaliser une année d’existence, affirme que Médiatrice ne faisait plus partie de l’association le jour de l’enlèvement du bébé. Car d’après lui, après deux mois de service, l’employeur de Médiatrice a appelé l’association disant que la nounou ne travaille plus chez lui et qu’il ne faut plus demander de ses nouvelles. Dans ce même appel, affirme ce président, l’employeur a dit qu’elle a payé la nounou ces deux mois. Mais selon lui, Médiatrice n’a pas cotisé durant ces deux mois. « Depuis lors, en septembre, nous n’avons plus eu aucune nouvelle de Médiatrice et nous avons considéré qu’elle n’est plus membre de l’association. »

Médard Ndayisenga indique qu’il a demandé à l’employeur s’il a besoin d’un autre domestique, l’employeur a répondu qu’il contactera l’association en cas de besoin.

Au moment où ce président de la coopérative Ntunsige solidarité affirme que Médiatrice a quitté son travail au quartier 5 Ngagara depuis septembre sans même aviser l’association, l’employeur indique que la nounou  travaillait depuis le mois de mai, jusqu’au jour où elle a enlevé le bébé, il y a quelques jours…

Le président de la coopérative se demande pourquoi la famille n’a pas directement signalé à l’association l’enlèvement du bébé.

Des mauvais précédents ?

Un voisin de cette famille au quartier 5 Ngagara, qui habite à quelques mètres, affirme, sans beaucoup de détails, avoir entendu, que la nounou n’était pas payée. D’après lui, même un ancien domestique qui travaillait avec Médiatrice est parti sans être payé, battu même. « Je l’ai vu de mes propres yeux, il est venu me dire au revoir, il avait des blessures », témoigne ce voisin. Le domestique lui a raconté qu’il a été battu et chassé parce que l’employeur avait trouvé le pare brise de la voiture cassé.

Un incident auparavant évoqué par la famille. Annabelle, la mère de famille, a affirmé effectivement qu’ils ont trouvé un jour le pare brise cassé. Et qu’ils n’étaient pas sûrs de l’auteur entre le domestique et la nounou. « Nous avons choisi de renvoyer le domestique et privilégier celle qui garde notre bébé. Mais finalement, nous commençons à croire que ça pourrait être Médiatrice, capable même de voler un enfant. »

Le père de Médiatrice, Eric Nyabenda, affirme également que la nounou qui a précédé sa fille a été renvoyée sans être payée. Il nous aide à trouver cette nounou qui dit habiter dans la même commune Busiga. Interrogée via le téléphone de M. Nyabenda, l’ancienne nounou, Francine Niyonkuru, affirme qu’elle a travaillé pendant trois mois (décembre 2019-mars 2020) chez cet employeur du quartier 5 Ngagara. Elle dit qu’elle n’appartenait pas à l’association.

Francine indique qu’elle n’a pas été payée durant ces trois mois. Elle ne sera payée qu’après avoir porté plainte à la zone.

Mais bizarrement, Francine affirme qu’elle ne se rappelle pas des noms de ses employeurs ni de leurs enfants. Elle évoque un quartier différent du quartier de cette famille.

Annabelle Irakoze, la patronne, soulignera qu’avant Médiatrice, elle n’a employée qu’une nounou qui n’a travaillé que pendant quelques jours. Une affaire très difficile à démêler…

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

La tolérance n’est pas une faiblesse

Le processus électoral est en cours. À quelques mois des élections de 2025, le Code électoral, ainsi que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et ses antennes sont en place bien que critiqués par certains acteurs politiques et de la (…)

Online Users

Total 4 354 users online