Mardi 19 mars 2024

Société

Térence Mushano emprisonné pour une interview ratée à Iwacu ?

12/07/2020 Commentaires fermés sur Térence Mushano emprisonné pour une interview ratée à Iwacu ?
Térence Mushano emprisonné pour une interview ratée à Iwacu ?
Térence Mushano : « L’histoire nous jugera »

Abattu, dépité, Térence Mushano, syndicaliste à la Sobugea (Société burundaise de gestion des entrepôts et d’assistance des avions en escale) et porte-parole de l’association AC Génocide est depuis vendredi 11 juillet 2020 dans les cachots de la police judiciaire à Bwiza.

Il est officiellement poursuivi pour ’’atteinte à la sécurité publique’’ suite à une interview accordée aux journalistes d’Iwacu dans le parking de l’aéroport international Melchior Ndadaye. Une interview bâclée, interrompue, les images seront d’ailleurs confisquées.

Je fais partie de l’équipe des trois reporters d’Iwacu envoyés pour recueillir son avis sur le travail de la CVR (Commission Vérité et Réconciliation) et arrêtés en même temps que lui par les policiers assurant la sécurité à l’aéroport de Bujumbura.

Ce syndicaliste et activisté de la société civile n’aura pas notre chance car nous serons relâchés au bout d’un interrogatoire et d’une privation de liberté de trois heures. Mushano sera conduit au cachot.

Ce samedi, je décide d’aller lui rendre visite, histoire d’avoir de ses nouvelles. Quand je dis aux policiers de garde que je viens voir Térence Mushano, certains me confient que ses amis d’infortune ont veillé sur lui toute la nuit. « Il se tordait de douleurs et il n’a pas fermé l’œil suite aux complications dues à ses maladies chroniques ».

Quand je l’aperçois à travers des bars de fer, je comprends vite qu’il est mal en point. Il porte un jeans bleu et un T-Shirt vert citron. Ses épaules sont plus voutées que jamais. Il marche d’un pas lourd et approche le grillage.

Surprise, malgré sa santé fragile, ce sont ses éclats de rires habituels qui m’accueillent : « Bienvenue jeune homme dans mon monde où des innocents, des rescapés et des braves sont assimilés aux assassins, côtoient des bandits, des violeurs ».

A ces mots, je reste bouche bée ne sachant quoi répondre mais ses éclats de rire contagieux m’envahissent et je finis par rire,…jaune. Il prend toujours la vie du bon côté. J’ai des larmes dans ma voix quand on commence à échanger. Je m’efforce de tout dissimuler mais je n’y parviens pas.

Je ne comprends pas comment un vieux comme lui, fragile, vulnérable, terrassé par ses maladies, s’arrange pour garder le moral, répondre avec humour, le sourire aux lèvres.

Quand il arrive dans la salle d’attente du cachot, il me fixe dans les yeux et me parle longuement : « Durant ma jeunesse, j’ai toujours lutté pour un Burundi sans injustice sociale, c’est ce qui m’a poussé à être très actif dans le syndicalisme et les employés de la Sobugea sont témoins ».

Il poursuit son récit : « Si aujourd’hui, cette société reste debout, c’est grâce à la solidarité des syndicalistes qui n’ont pas voulu baisser la garde face aux problèmes qui minent cette société, maintenant je ne suis plus à la tête de ce syndicat, il m’a pris toute ma jeunesse, mes forces. Mais je me réjouis, la relève est assurée par un brave type, intelligent et d’ethnie différente de la mienne».

Mais je lui dis que cela n’a rien à voir avec l’objet de l’interview d’ailleurs ratée. Là, le ton change : « Je suis victime de mes opinions, l’association AC Génocide dont je suis le porte-parole est une association des victimes de la minorité tutsi. C’est une organisation mal aimée, dont personne ne veut entendre parler. Aujourd’hui, les commémorations se font à deux vitesses, seules certaines victimes sont privilégiées. C’est comme si les malheurs et les souffrances des autres, ne comptent pas, n’ont jamais existé. Je crois que c’est la cause principale de mon incarcération ».

Le policier de garde qui tend discrètement l’oreille semble énervé et me fait signe que la visite est terminée. Je n’insiste pas. « Rentre chez toi mon garçon et laisse-moi dans les ténèbres, j’allais prendre ma retraite au mois de décembre peut être que je n’aurais pas cette chance de survivre mais seule l’histoire nous jugera », lance-t-il avant de me dire au revoir.

Quand je quitte les lieux, j’essaie de marcher délicatement sur les rues pavées de la zone Bwiza, pour ne pas trébucher, car l’esprit semble ailleurs. Les paroles de Mushano résonnent encore et encore dans ma tête.

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