Mardi 09 décembre 2025

Politique

Rapatriement volontaire ou refoulement déguisé ?

Rapatriement volontaire ou refoulement déguisé ?
Des réfugiés burundais évoquent des violences et des pressions les poussant à rentrer.

Accélérer le retour de 82 000 réfugiés burundais en quatre mois : la décision prise par la Tanzanie, le Burundi et le HCR fait monter les tensions. Défenseurs des droits humains et réfugiés alertent sur des pressions grandissantes, loin de l’idée d’un rapatriement réellement volontaire.

La 26e réunion de la Commission tripartite sur le rapatriement des réfugiés burundais en Tanzanie s’est tenue le 28 novembre 2025. Les trois parties y ont convenu d’« accélérer le processus de rapatriement volontaire », en fixant un rythme de 3 000 retours par semaine, dont 2 000 depuis Nduta et 1 000 depuis Nyarugusu.

Deux jours plus tôt, lors d’un atelier de la CNIDH à Ngozi, Rose Mendée Dusenge, responsable de la protection internationale au HCR-Burundi, avait déjà exprimé ses réserves : rapatrier 82 000 personnes en quatre mois constitue un délai extrêmement court.

Le président de la CNIDH, Martin Blaise Nyaboho, se dit « profondément choqué » par cette perspective, tout en reconnaissant que les retours volontaires récents se sont déroulés dans de bonnes conditions. « Organiser le retour forcé de 82 000 personnes en quelques mois est pratiquement impossible », souligne-t-il, rappelant que le pays accueille déjà des déplacés venus de l’est de la RDC.

Pressions dans les camps

À Nyarugusu, des réfugiés burundais dénoncent un climat d’intimidation. Sous anonymat, plusieurs d’entre eux évoquent des violences et des pressions les poussant à rentrer. « Beaucoup de facteurs nous obligent à rentrer à cause des violences que nous subissons », confie l’un d’eux.

Selon ce témoin, les Burundais seraient traités plus durement que les Congolais : « Leurs enfants étudient sans problème, ils reçoivent de meilleurs soins et peuvent commercer en ville. Nous, en revanche, faisons face à tant de contraintes que le retour devient presque un choix forcé. »

Il affirme également que des Burundais sont victimes d’arrestations arbitraires. « Hors du camp, un Burundais est traité comme un criminel : dossiers montés de toutes pièces, prison, parfois torture, puis renvoi au Burundi. Certains agents du renseignement burundais collaboreraient même avec la police tanzanienne », accuse-t-il. Face à cette insécurité, certains réfugiés auraient déjà fui vers d’autres pays de la région.

Craintes persistantes au Burundi

Si la Tanzanie et le HCR affirment que le calme est revenu au Burundi, des réfugiés disent disposer d’informations sur des rapatriés torturés ou même tués après leur retour. « Certains ont été torturés, d’autres tués. Nous avons présenté des photos lors de la réunion tripartite. Comment rentrer dans ces conditions ? », déclare un témoin.

Ils rappellent que « le retour doit être réellement volontaire » et demandent un accueil plus digne ainsi qu’un accompagnement effectif une fois au pays.


Réaction

Léopold Sharangabo : « Depuis 2017, la Tanzanie multiplie les mesures pour pousser les réfugiés burundais à rentrer »

Pour Léopold Sharangabo, président de la CDH/VICAR, le processus en cours viole clairement le droit international. « Le retour envisagé constitue un rapatriement forcé qui contrevient au principe de non-refoulement inscrit à l’article 33 de la Convention de Genève », affirme-t-il.
Il dénonce une coopération étroite entre les gouvernements burundais et tanzanien, ainsi que « des rapports de certains agents locaux du HCR qui ne reflètent pas toujours la réalité ».

Selon lui, les pressions ne sont pas nouvelles : « Depuis 2017, arrestations arbitraires, restrictions économiques et pressions administratives visent uniquement les Burundais. » La situation se serait encore aggravée avec la fermeture de services essentiels dans les camps « pour les Burundais seulement ».

L’insécurité persistante au Burundi constitue, selon lui, un obstacle majeur. « Le mois dernier, plus de dix rapatriés ont été arrêtés à Kirundo. Les autorités continuent de présenter les réfugiés comme des rebelles potentiels. »

Conclusion de la CDH/VICAR : « Tant que ces conditions persistent, aucun retour ne peut être considéré comme sûr, volontaire ou digne. »


Rapatriement des réfugiés burundais : le HCR fait le point sur les retours, les défis et l’avenir

Entre rapatriement volontaire, accusations de refoulement, accompagnement des rapatriés et problèmes de financement, Brigitte Mukanga Eno, représentante du HCR au Burundi s’exprime.

Récemment, une réunion tripartite a fixé un objectif de 82 000 retours en quatre mois. Quelles en ont été les principales conclusions ?

Nous revenons de Tanzanie où les gouvernements du Burundi, de la Tanzanie et le HCR se sont réunis, comme cela se fait régulièrement, pour évaluer la situation du rapatriement des réfugiés burundais vivant en Tanzanie. En principe, deux réunions tripartites sont prévues chaque année, mais pour 2025, une seule a pu être organisée. Elle s’est tenue du 26 au 28.

Depuis 2017, nous avons entamé le processus de rapatriement. À l’époque, plus de 500 000 Burundais se trouvaient en Tanzanie. Aujourd’hui, il en reste environ 100 000, répartis principalement dans les camps de Nyarugusu et de Nduta.

L’objectif de cette réunion était d’examiner comment améliorer le processus de rapatriement, tout en tenant compte des capacités d’accueil au Burundi. On ne peut pas faire rentrer tout le monde en une seule fois. Il faut permettre une intégration progressive, notamment pour que les enfants puissent rejoindre les écoles, que les agriculteurs rentrent au bon moment de la saison culturale et que les familles s’installent dans des conditions dignes.

La décision essentielle a été de rester strictement dans le cadre de l’accord tripartite. Du côté tanzanien, une certaine impatience se faisait sentir face au rythme jugé lent, mais nous nous sommes finalement accordés pour respecter les mécanismes existants et poursuivre le rapatriement de manière progressive, sécurisée et concertée.

Les réfugiés sont-ils aujourd’hui prêts à rentrer ?

Des interviews individuelles de protection et de solutions ont été menées dans les camps de Nduta et de Nyarugusu. Elles visaient à comprendre pourquoi certains réfugiés hésitent encore à rentrer.

Les résultats montrent qu’une partie est prête à rentrer immédiatement. D’autres préfèrent attendre la fin de l’année scolaire. Certains craignent aussi de rentrer sans activité génératrice de revenus, car dans les camps, l’assistance humanitaire est gratuite.

Beaucoup souhaitent également avoir plus d’informations sur ce qui les attend au Burundi. La réunion tripartite a décidé de tenir compte de ces résultats pour mieux adapter la stratégie de rapatriement.

Quelle est la situation financière actuelle pour accompagner ces retours ?

Depuis le début de l’année, les crises humanitaires se multiplient dans le monde, alors que les ressources financières sont de plus en plus limitées. Cela affecte évidemment notre capacité d’intervention.

Une des décisions de la réunion a été de renforcer la mobilisation des ressources afin de soutenir à la fois le rapatriement et la réintégration. Les rapatriés ont besoin d’un appui à travers ce que nous appelons le « paquet retour », mais aussi de projets de réintégration. Tout cela nécessite des moyens financiers importants.

Nous avons aussi discuté de l’organisation technique des convois, car la logistique reste lourde. L’ensemble de ces éléments a fait l’objet des travaux tripartites.

Peut-on affirmer que les retours sont réellement volontaires ?

Le caractère volontaire du retour est un principe fondamental que nous respectons strictement. Il faut toutefois rappeler que le statut de réfugié n’est pas permanent. Personne ne choisit d’être réfugié ; ce sont les circonstances qui y conduisent.

En 2015, la situation au Burundi avait poussé de nombreux citoyens à partir. Aujourd’hui, la paix est revenue et plus de 266 000 Burundais sont déjà rentrés depuis 2017. Beaucoup ont repris leurs activités. Certains ont retrouvé un emploi, d’autres se sont tournés vers l’agriculture ou des projets économiques.

Selon les conventions internationales, lorsque la situation dans un pays d’origine s’améliore, le HCR doit encourager le rapatriement. À terme, il peut même y avoir une cessation du statut de réfugié. Ceux qui ne rentrent pas peuvent alors demander un autre statut, comme la résidence.

Dans la Communauté d’Afrique de l’Est, il existe aussi la libre circulation. Il est possible de s’installer dans un autre pays sans être réfugié. Seules les personnes ayant encore un besoin réel de protection internationale sont examinées au cas par cas.

Le HCR assure-t-il un suivi des rapatriés une fois au Burundi ?

Oui, nous recevons des rapatriés de tous les pays de la région : de l’Ouganda, du Kenya, de la RDC, de la Tanzanie, mais aussi d’autres pays. Les retours se font volontairement.

Pour la Tanzanie, étant donné le nombre élevé, les accords ont fixé un plafond de 3 000 personnes par semaine. Cela permet de mieux gérer l’accueil, car les zones de retour ont une capacité d’absorption limitée, notamment au niveau des écoles.

Nous travaillons avec plusieurs partenaires pour renforcer les infrastructures. Par exemple, grâce à l’appui de la coopération coréenne, neuf écoles ont été réhabilitées pour accueillir les enfants rapatriés.

Nous collaborons également avec des projets de développement comme ceux de la Banque mondiale et le PAEEJ afin d’intégrer les rapatriés dans les programmes existants. En parallèle, le HCR dispose d’un programme avec Finbank qui permet aux rapatriés d’obtenir des prêts à taux zéro pour lancer des activités génératrices de revenus.

Des réfugiés dénoncent des violations en Tanzanie. Le HCR les a-t-il documentées ?

Du côté de la Tanzanie, nos collègues, avec l’ensemble de la communauté internationale, continuent à faire un plaidoyer auprès des autorités tanzaniennes pour que le rapatriement puisse se dérouler de façon progressive plutôt que sous pression.

On sent du côté tanzanien une certaine impatience : ils estiment que le processus dure depuis longtemps et qu’un nombre important de réfugiés reste encore sur leur territoire. Surtout qu’après l’enquête qui vient d’être menée, la plupart n’auraient plus vraiment de raisons de vivre comme réfugiés.

Il existe en outre des accords bilatéraux entre la Tanzanie et le Burundi, notamment des permis de travail saisonniers. Ceux qui souhaitent retourner en Tanzanie peuvent le faire légalement sous d’autres formes que le statut de réfugié.

Peut-on parler de pressions indirectes ?

Le HCR continue de plaider auprès des autorités tanzaniennes pour qu’aucune pression ne soit exercée sur les réfugiés. Pour les services vitaux comme la santé, il a été promis qu’il n’y aurait pas de réduction.

Concernant l’éducation, certaines écoles ont été fermées, car certains réfugiés utilisaient la scolarisation comme motif pour retarder leur retour. De notre côté, nous renforçons les écoles au Burundi afin que les enfants rapatriés puissent poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions. Le dialogue se poursuit pour garantir le caractère volontaire du retour.

Disposez-vous des moyens nécessaires pour un accueil digne ?

Le HCR ne peut pas agir seul. C’est pourquoi nous travaillons avec l’ensemble de la communauté internationale et les autorités burundaises pour mobiliser les ressources nécessaires.

Un budget a été élaboré pour faire face à un éventuel afflux massif. Sur cette base, nous allons lancer un appel aux bailleurs. Le rapatriement est un processus complet qui ne s’arrête pas à la frontière : il faut assurer le transport, l’hébergement temporaire, la réhabilitation des maisons et l’appui économique.

Chaque rapatrié reçoit un paquet retour en cash. Beaucoup utilisent cet argent pour acheter de la terre. Près de 70 % déclarent s’en être servis en priorité pour s’installer durablement.
Nous appuyons aussi la construction d’abris avec l’OIM et d’autres partenaires. Ensuite, les rapatriés sont orientés vers des projets de développement.

Comment se déroule la réintégration ces dernières années ?

Nous avons un programme de monitoring de protection des rapatriés, mis en œuvre avec plusieurs partenaires comme la Commission épiscopale Justice et Paix, les Caritas, la CNIDH et le Barreau de Bujumbura.

Lorsque les rapatriés rencontrent des problèmes, notamment de spoliation des biens, ils bénéficient d’un accompagnement juridique gratuit. Des commissions foncières existent également pour régler les litiges.

Des ONG comme ZOA appuient l’obtention de titres fonciers. Le gouvernement a aussi accordé un tarif préférentiel pour les rapatriés, fixé à 10 000 FBU.

Nous organisons aussi des échanges entre réfugiés encore dans les camps et rapatriés sur le terrain, via des émissions en direct. Cela permet de transmettre des informations fiables avant toute décision de retour.

Quel message souhaitez-vous adresser aux réfugiés encore à l’étranger ?

Pour cette année, plus de 13 000 Burundais sont déjà rentrés et sont suivis pendant au moins trois ans. Dès leur arrivée, ils reçoivent un numéro de téléphone permettant un suivi direct et le signalement d’éventuels incidents.

Le rapatriement accéléré concerne la Tanzanie, tandis que les autres pays continuent avec un rythme ordinaire. Certains reviennent de la Zambie, du Malawi, du Kenya, de l’Ouganda…
Le statut de réfugié est temporaire. Le HCR protège quand il le faut, mais accompagne aussi le retour lorsque les conditions le permettent. Le Burundi n’est pas exempt de difficultés économiques, mais il offre un cadre de vie normal. Être chez soi reste essentiel pour la dignité humaine.

La baisse des financements internationaux ne risque-t-elle pas de perturber votre action ?

Oui, l’impact est réel. Certains grands bailleurs ont réduit leurs contributions. Mais cela nous pousse aussi à explorer de nouvelles approches et à encourager la solidarité régionale.

Récemment, après l’afflux de plus de 70 000 réfugiés liés aux crises de Goma et Bukavu, le Burundi a lancé un appel. Plusieurs pays voisins, dont la RDC, y ont répondu favorablement. Cela montre que des solutions africaines peuvent émerger face aux crises.

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