Mercredi 22 octobre 2025

Politique

Rapatriement des réfugiés burundais en Tanzanie : De mal en pis

22/10/2025 0
Rapatriement des réfugiés burundais en Tanzanie : De mal en pis
Dans le désarroi, les réfugiés burundais vivant en Tanzanie ne savent plus à quel saint se vouer

Fermeture des écoles et des hôpitaux, confiscation des biens, destruction des champs, détentions arbitraires et disparitions forcées, … Depuis des années, les réfugiés burundais en Tanzanie vivent un calvaire. Ils dénoncent des violations de leurs droits par le gouvernement tanzanien. D’après eux, tout cela se fait dans le but de rendre leur vie impossible et de les contraindre à rentrer contre leur gré.

Par Fabrice Manirakiza

« Les choses empirent du jour au jour. Des disparitions forcées et même des meurtres. Des réunions sont souvent organisées avec certains agents du Haut-commissariat des droits de l’Homme (HCR). Ils nous disent qu’au Burundi la paix règne. Mais, nous nous savons pourquoi nous ne pouvons pas retourner chez nous. »

Les réfugiés burundais vivant en Tanzanie accusent les agents de l’agence onusienne (HCR) de violations de leurs droits. Selon eux, la ration a été réduite jusqu’à 7kg de farine de maïs et 1kg de haricot par mois. « Pour le bois de chauffage, si tu vas le chercher sans un billet de 1 000 francs, on te tue. Les Burundais traversent des moments très difficiles parce que celui qui veut entreprendre dans le commerce, les Tanzaniens le lui refusent carrément et lui disent d’aller le faire chez lui. Ils font des raids où ils pillent et démolissent des maisons. Il y a des Burundais qui sont en prison injustement. »

Selon eux, les réfugiés burundais vivent dans des conditions de peur et de mauvais traitements sans précédent. « C’est l’Etat tanzanien qui est responsable de tous ce que les Burundais sont en train de subir. Ils ont aussi essayé de monter les Congolais contre nous en leur promettant que si une fois ils réussissent à nous rapatrier, ils occuperont nos places dans les écoles. »


Interview avec Léopold Sharangabo : « Les Tanzaniens ont transformé les camps en véritables prisons à ciel ouvert. »

Selon le président de la Coalition pour la Défense des Droits humains vivant dans les camps de réfugiés (CDH/VICAR), les camps tanzaniens sont devenus des prisons à ciel ouvert.


Dans quelles conditions les réfugiés burundais vivent-ils actuellement ?

Les réfugiés burundais vivant en Tanzanie mènent une vie extrêmement précaire. Comme vous l’avez mentionné, la fermeture des écoles et des hôpitaux, la confiscation des biens, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et l’interdiction de toute activité génératrice de revenus, … ont transformé les camps en véritables prisons à ciel ouvert.

Ces réfugiés ont perdu presque tous leurs droits fondamentaux : ils n’ont plus la liberté de parole, ils vivent dans la peur permanente et dans des conditions de survie indignes. Beaucoup se sentent oubliés du monde et trahis par les institutions censées les protéger. Ce climat de terreur vise clairement à briser leur moral pour les contraindre à rentrer dans un pays où leur sécurité n’est toujours pas garantie.

Que pensez-vous de ce comportement du gouvernement tanzanien de vouloir rapatrier les réfugiés burundais par force ?

Ce comportement est profondément contraire aux principes du droit international et aux valeurs humanitaires. Forcer un réfugié à rentrer dans son pays d’origine alors qu’il sait que sa vie ou sa liberté sont encore menacées constitue une violation flagrante du principe de non-refoulement, inscrit dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, que le gouvernement tanzanien avait lui-même ratifié.

La Tanzanie, autrefois modèle d’accueil et de solidarité, semble aujourd’hui céder à des pressions politiques au détriment du respect des droits humains. Une telle politique ne résout rien : elle aggrave la souffrance, alimente la peur et détruit la confiance entre les réfugiés et les autorités.

Pensez-vous qu’il y a une main derrière des autorités burundaises dans ce mauvais traitement ?

Oui, il est difficile de croire que tout cela se fasse sans la complicité de certaines autorités burundaises. Plusieurs indices montrent une coordination étroite entre certains responsables burundais et tanzaniens pour pousser les réfugiés au rapatriement forcé.

Des réunions bilatérales, des messages politiques et des opérations conjointes témoignent d’une volonté commune de vider les camps, sans tenir compte de la situation sécuritaire réelle au Burundi.
En agissant ainsi, les deux gouvernements portent une responsabilité partagée dans les violations graves des droits humains dont les réfugiés sont victimes.

Pensez-vous que le HCR a failli à sa mission ?

Malheureusement, oui. Le HCR, censé être le garant de la protection internationale des réfugiés, semble aujourd’hui s’éloigner de sa mission première.
En Tanzanie, plusieurs de ses agents ont fermé les yeux sur les violations ou même pris part à des décisions contraires à son mandat, telles que la fermeture des écoles ou les pressions exercées pour forcer le rapatriement.

Pire encore, certains agents du HCR affirment ouvertement qu’ils servent d’abord la Tanzanie avant le HCR. Ce qui signifie que leurs rapports et leurs positions penchent systématiquement du côté des autorités tanzaniennes.

Une telle attitude mine gravement la crédibilité du HCR et détruit la confiance que les réfugiés avaient placée en cette institution.
Nous ne remettons pas en cause le rôle essentiel du HCR, mais nous demandons un réexamen profond de ses pratiques et de ses partenariats locaux afin qu’il redevienne un véritable bouclier pour les réfugiés et non un simple témoin passif de leurs souffrances.

Pour ne pas rentrer, les réfugiés avancent des raisons sécuritaires. Qu’en pensez-vous ?

Ces raisons sont totalement fondées. Certains parmi les réfugiés qui sont rentré ont par la suite disparu. Ils ont été arrêtés ou persécutés. Le Burundi n’offre toujours pas les garanties de sécurité et de liberté pour ceux qui y retournent.

Les arrestations arbitraires, les disparitions forcées, les tortures et les règlements de compte à caractère politique demeurent une réalité quotidienne. Les réfugiés n’ont donc pas fui par choix, mais par nécessité de survie, et leurs craintes sont parfaitement légitimes.

Tant que le climat politique et sécuritaire au Burundi ne changera pas, le refus de rentrer reste une position légitime et conforme au droit international.
D’ailleurs, la prorogation du mandat du Rapporteur spécial des Nations- unies sur le Burundi prouve que la communauté internationale reconnaît elle-même que la crise politique et les violations des droits humains y persistent.

Que comptent faire les associations des réfugiés burundais pour contraindre le gouvernement tanzanien à respecter les conventions internationales qu’il a ratifiées ?

Nos associations mènent plusieurs actions concrètes. D’abord, nous documentons les violations des droits humains afin de produire des rapports crédibles destinés aux partenaires internationaux et aux mécanismes des Nations-unies.

Ensuite, nous menons un plaidoyer actif auprès du HCR, de l’Union africaine, des Nations-unies et des représentations diplomatiques pour exiger que la Tanzanie respecte les conventions internationales qu’elle a ratifiées.

Nous envisageons également de saisir les juridictions compétentes afin que les responsables des violations répondent de leurs actes devant la justice.
Notre démarche reste pacifique et fondée sur le droit : nous voulons avant tout faire respecter la dignité humaine, le droit d’asile et la protection internationale des réfugiés.

Que demandez-vous à la Tanzanie, au HCR et à la communauté internationale ?

Nous demandons avant tout à la Tanzanie de mettre immédiatement fin aux rapatriements forcés, de rouvrir les écoles et les hôpitaux fermés ainsi que de respecter les conventions internationales sur les droits des réfugiés qu’elle a librement ratifiées. Elle doit cesser les intimidations, les arrestations arbitraires et les confiscations des biens des réfugiés.

Au HCR, nous demandons de revenir à sa mission première de protection, de remplacer les responsables compromis et de renforcer sa présence sur le terrain afin de garantir que les droits des réfugiés soient réellement défendus. Le HCR doit se tenir aux côtés des réfugiés et non aux côtés des politiques de pression.

Enfin, nous lançons un appel à la communauté internationale pour la solidarité et pour la vigilance. Nous lui demandons de faire une pression diplomatique sur la Tanzanie pour qu’elle respecte le droit d’asile et de protéger les réfugiés burundais où qu’ils se trouvent.

Ce qui se passe actuellement constitue un test moral pour la communauté internationale : c’est maintenant qu’elle doit prouver son attachement à la dignité humaine et au respect du droit.


Un forcing ?

La situation des réfugiés burundais se trouvant en Tanzanie a été débattue le lundi 6 octobre lors de la 76ᵉ session du Comité exécutif du HCR à Genève. Les autorités tanzaniennes ont menacé de cessation. Docile, le représentant du Burundi chante les louanges du rapatriement et de la réintégration des réfugiés burundais. Comme un pompier, Filippo Grandi rappelle le respect du rapatriement volontaire.

Le représentant de la Tanzanie

« Beaucoup de réfugiés du Burundi refusent de se rapatrier volontairement. Nous avons plus de 150 000 réfugiés du Burundi. De janvier à septembre, seuls 1 640 personnes ont été rapatriées avec de l’aide. » Selon le ministre de l’Information tanzanien, ils sont à la recherche des solutions durables.

« Nous demandons donc à la communauté internationale d’être à nos côtés. (…), Des efforts ont été consentis par les gouvernements de la Tanzanie et du Burundi ainsi que le HCR, les bailleurs de fonds et d’autres parties prenantes. Il est évident que certains réfugiés résistent délibérément au rapatriement. » D’après lui, si les efforts du rapatriement volontaire sont insatisfaisants, la Tanzanie sera obligée de cesser de soutenir ce groupe et d’invoquer la cessation. « Tout processus de ce type ne s’appliquerait qu’aux réfugiés du Burundi qui se trouvent en République unie de Tanzanie. »

Filippo Grandi

« Je comprends qu’il est difficile maintenant pour la Tanzanie de maintenir le rythme de rapatriement des réfugiés burundais. Je sais que cela a été sujet de discussion depuis de longues années entre nous. Je suis heureux que nous ayons passé à la promotion du retour volontaire et cela a donné lieu au bon résultat. Il faut alors faire plus, notamment au Burundi, pour créer de meilleures conditions. » Le Haut- Commissaire aux réfugiés (HCR) ajoute : « Il faut en effet que le Burundi fasse plus pour que les personnes puissent rentrer au pays. Et là, il nous faut la coopération de nos partenaires donateurs. »

Le représentant du Burundi

Selon lui, le Burundi a déjà rapatrié plus de 260 mille Burundais depuis 2017 jusqu’à fin septembre 2025, dont plus de 6 500 rapatriés pour cette année. « Des réunions tripartites et des visites sont organisées pour sensibiliser les réfugiés burundais au rapatriement volontaire. Néanmoins, leur accompagnement et leur assistance dans le cadre de la réintégration effective et durable méritent une amélioration sensible pour encourager ceux qui persistent encore à prendre massivement la décision de rentrer dans leur pays natal en dignité et en sécurité, dans le respect du principe de non refoulement. »


Analyse de Me Janvier Bigirimana : « Il faut continuer à dénoncer le comportement déplorable des autorités tanzaniennes. »

Pour le juriste et défenseur des droits humains, la Tanzanie viole le droit international des droits de l’homme, plus particulièrement la Convention de Genève de 1951 sur le Droit des réfugiés ainsi que la Convention internationale de lutte contre la torture.


Que pensez-vous de ce comportement du gouvernement tanzanien de vouloir rapatrier les réfugiés burundais par force ?

Le comportement de la Tanzanie est une grave violation du droit international des droits de l’homme plus particulièrement la Convention de Genève de 1951 sur le Droit des réfugiés ainsi que la Convention internationale de lutte contre la torture et les deux conventions lient la Tanzanie pour les avoir ratifiés. Une recherche approfondie à ce sujet pourrait également nous faire constater que la Tanzanie viole l’article 7 du traité de Rome établissant la Cour pénale internationale en ce sens que les actes criminels infligés aux réfugiés burundais de manière récidiviste et systématique sont susceptibles d’être qualifiés de crimes contre l’humanité.

Quelles sont les conventions internationales que la Tanzanie est en train de violer ?

A titre d’illustration, l’article 33 de la convention de Genève de 1951 consacre le principe de non-refoulement qui instruit aux États de ne point refouler les citoyens se trouvant sur leurs territoires quand il y a risque de torture. Or, dans le cas du Burundi, le comité contre la torture ainsi que tous les rapports pertinents sur la situation des droits humains y compris celui du Rapporteur spécial Zongo montrent que des violations graves des droits humains y compris la torture restent une réalité.

Pensez-vous qu’il y a une main derrière des autorités burundais dans ce mauvais traitement des réfugiés ?

La complicité du gouvernement burundais à travers le Service national de renseignement et des Imbonerakure est une triste évidence comme le démontrent les rapports des ONGS tant nationales qu’internationales et tout cela est corroboré par des témoignages des réfugiés Burundais victimes des différentes atrocités.

Pour certains observateurs, le HCR a failli à sa mission. Est-ce votre avis ?

En effet, en lien avec les rapports de proximité historique entre le Cndd-Fdd et le régime tanzanien, les deux parties font tout pour forcer les Burundais à rentrer d’exil alors que les conditions minimales de sécurité ne sont pas garanties. Par ailleurs, on peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi ce sont les seuls Burundais qui sont violentés pour rentrer d’exil alors que la Tanzanie hébergé plusieurs autres milliers de réfugiés issus d’autres nationalités. L’acharnement des autorités tanzaniennes dans un silence complice du HCR est une preuve qui ne trompe sur une implication négative des autorités burundaise dans un rapatriement forcé couplé par des violations graves à l’endroit de ces pauvres réfugiés qui ne savent plus à quel saint se vouer.

Pour ne pas rentrer, les réfugiés avancent des raisons sécuritaires. Qu’en pensez-vous ?

Le HCR est visiblement impuissant face à ces violations. D’une politique d’incitation au retour volontaire qui ne pouvait pas prospérer, puisque la sécurité vantée n’est qu’un leurre, le gouvernement tanzanien a entamé plusieurs menaces contre les réfugiés burundais. De la privation de la nourriture à des actes d’attentat contre les réfugiés burundais, le HCR a été interpellé y compris à partir de son siège à Genève par la société civile burundaise, mais tous ces cris d’alarme sont demeurés inaudibles, ce qui cause énormément de torts aux réfugiés burundais dont les droits sont régulièrement bafoués sans secours.

Quelle marge de manœuvre que ces réfugiés burundais ou leurs associations ont pour contraindre la Tanzanie de respecter leurs droits ?

Les activistes de la société civile tout comme les médias indépendants n’ont jamais cessé d’alerter la communauté internationale en général et la Tanzanie en particulier sur la gravité de la violation du droit international par le gouvernement tanzanien en complicité avec celui de Gitega. Comme cela n’a pas été suffisant pour un répit en faveur de nos compatriotes qui endurent des violations, les actions suivantes devraient être entamées sans délai :

– continuer à dénoncer le comportement déplorable des autorités tanzaniennes qui agissent en complicité avec celles du Burundi. Là où c’est possible, organiser des manifestations publiques dans les capitales africaines ou occidentales pour tenter de faire entendre la voix désespérée des réfugiés Burundais à l’endroit des autorités tanzaniennes et de la communauté internationale ;

– Initier sans délai des actions judiciaires et quasi-judiciaires (mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits humains) pour faire condamner la Tanzanie et ses complices pour violation grave des droits des réfugiés.

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