Mercredi 24 avril 2024

Politique

Quand Neva savonne Rufyiri

Quand Neva savonne Rufyiri
Evariste Ndayishimiye : « Quand tu lui demandes (Gabriel Rufyiri) combien de champs agricoles as-tu ? Il n’a rien.

Vendredi 24 mars à Gitega, lors de la clôture du Forum national des jeunes, le président Evariste Ndayishimiye s’est attaqué publiquement à Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome). Son péché : critiquer sans rien investir dans l’agriculture et l’élevage. Pour nombre d’observateurs, s’en prendre aux lanceurs d’alerte est une manière de détourner l’attention du public sur les vrais problèmes.

Devant des milliers des jeunes accourus de tous les coins du pays, le président Evariste Ndayishimiye est parti d’un exemple d’un simple agriculteur : « A son domicile, un cultivateur de Karusi, à Bugenyuzi, vend son régime de bananes à 5.000BIF. Et l’acheteur le revend à 7.000BIF pour avoir un gain de 2.000BIF. »

Selon le président Ndayishimiye, la troisième personne va alors amener ce régime de bananes au marché. A l’entrée du marché, un autre vendeur va acheter le même régime à 9.000BIF. Il va, à son tour, le vendre au détail au marché.

D’après le président Ndayishimiye, celui qui est venu de Bujumbura avec son camion, va donner 11.000BIF. « Et là, l’agriculteur ne reçoit que 5.000BIF », a-t-il déploré, tout en s’attaquant à ceux qui parlent sur les médias : « Vous qui vous lâchez sur les médias, vous me demandez de revoir les prix à la baisse. Voulez-vous que l’agriculteur remette ça à 2.000BIF ? Les gens y ont déjà gagné 6.000BIF avant même qu’il arrive à Bujumbura. Tout ce monde était assis : quand l’agriculteur suait, cultivait, … Eux, ils étanchaient leur soif. »

D’après le président Ndayishimiye, quand cette production de banane arrive à Bujumbura, ex-Cotebu, d’autres vendeurs l’attendent. Et là, il indique que ce régime de banane acheté à 5.000BIF va, cette fois-ci, s’envoler à 15.000BIF. Et les détaillants vont le vendre à 17.000BIF.

Et le circuit des vendeurs ne s’arrête pas par-là selon le président Ndayishimiye : « Et le régime de bananes va se retrouver à 30.000BIF. Et là, l’agriculteur gagne seulement 5.000BIF alors qu’un fonctionnaire de l’Etat va débourser 25.000BIF pour avoir le même régime de bananes ».

A cette étape, le président Evariste Ndayishimiye hausse le ton : « Et voilà, ils vont demander au président de baisser les prix. Dites-moi la solution ? Dites-moi au moins comment un agriculteur peut gagner 7.000BIF et que le vendeur ait son bénéfice ? Faites-moi ce calcul ! »

Le président Ndayishimiye a tenu même à révéler l’identité de ceux qui font ce genre de plaidoirie : « Vous entendez un certain Rufyiri crier qu’il faut revoir les prix à la baisse. Et là, il est assis à Bujumbura. Quand tu lui demandes combien de champs agricoles as-tu ? Il n’a rien. Combien de lapins ? Rien. Il attend que je cultive pour manger. Qu’il réalise comment c’est fatigant. »

D’après lui, il y a des gens qui se la coulent douce : « Ils sont assis là, ils sont prisonniers des idées rétrogrades. Ils ne voient pas où on arrive. Il est assis à Bujumbura, il est encore dans les années 1990 alors que nous sommes en 2023. Avant de critiquer notre travail, qu’il se ressaisisse et comprenne qu’aucun Murundi ne devrait pas manger sans travailler. »

Pour le président Ndayishimiye, les critiques de Gabriel Rufyiri ne visent qu’à décourager les agriculteurs. « Mais, cela ne va pas nous arriver. Nous allons enseigner la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, mettre les gens au travail », rassure-t-il.

D’après lui, M. Rufyiri ne sait rien de ces thématiques : « Parce qu’il est assis à Bujumbura. Il n’écoute que des ragots des vieux et s’improvise pour nous dire quoi faire. »

Et de souligner qu’il est déçu par ce genre de personnes : « Je pensais que ces gens seraient les premiers à conscientiser la population. C’est un sérieux problème. Qu’on se défasse des vieilles pratiques. Qu’on comprenne que tout le monde doit travailler ».

Il dit ne pas comprendre la logique de M. Rufyiri : « Dites-moi : une personne qui dit qu’un fonctionnaire ne peut en aucun cas faire du commerce. Il veut que je distribue gratuitement mes pommes de terre ? Que je ne dois pas vendre mon lait ? Qu’est- ce que je vais faire ? Que je lui apporte du lait pour boire ? Moi je combats les commissionnaires. Il est au courant. Quand un fonctionnaire de l’Etat postule pour un marché public alors qu’il en est gestionnaire, c’est une catastrophe. Est-ce qu’il ne sait pas qu’on parle le même langage sur cela ! »

Pour lui, ce militant de la société civile est ignorant : « Il veut me donner des leçons sur une matière qui m’est familière et que je dispense tous les jours ? Il ne sait rien. Ce qui est dommage, il n’écoute même pas mon discours : sinon on émettrait sur la même longueur. »

Et de glisser un message aux jeunes : « Qu’on ignore, mes chers jeunes, ces gens qui ont des idées pourries ».

Gabriel Rufyiri avait alerté

Gabriel Rufyiri : « Certains s’enrichissent d’une manière exagérée en dépouillant les Burundais et les autres croupissent dans une misère sans nom. »

Pour rappel, dans une conférence de presse du 21 mars, Gabriel Rufyiri avait regretté la hausse généralisée des prix des produits locaux et des produits importés. « Malheureusement, on ne voit pas ce que le gouvernement est en train de faire pour freiner cette hausse généralisée. Cette situation est malheureusement aggravée par la pénurie répétitive des produits pétroliers, notamment l’essence. Aujourd’hui, on nous dit qu’au niveau des prisons, des écoles à régime d’internat, ils ne parviennent pas à avoir de quoi manger facilement. »

D’après Gabriel Rufyiri, les Burundais se trouvent à la croisée des chemins. Il avait déploré les messages de certains dignitaires, plus particulièrement le président de l’Assemblée nationale. « Imaginez dire que les Burundais doivent tout faire pour donner de quoi manger aux Blancs. Nous pensons que c’est un langage à décrier et à dénoncer. »

Pour M. Rufyiri, il faut des actions concrètes et un langage réconciliant. « Les autorités qui devraient trouver des solutions sont en train de donner des messages qui ne rassurent pas. On a eu par ailleurs un moment d’échanger avec le Premier ministre sur cette question et on a été satisfait du message qu’il nous a donné. »

Il avait aussi demandé à ce que certains hauts responsables de la République n’exercent plus le commerce parce que, selon lui, il a été prouvé qu’à l’intérieur du pays certains administratifs se trouvent dans le commerce du maïs, le haricot, les boissons Brarudi et bien d’autres produits. « Et même s’ils cachent ces produits, personne ne peut les poursuivre. »

Gabriel Rufyiri avait fustigé la politique d’octroyer les marchés à quelques individus. Il n’avait pas hésité à pointer du doigt certains magnats.

« Pour les fertilisants, le marché a été donné à l’entreprise Fomi dirigé par Adrien Ntigacika et le duo Olivier Suguru et Vénérand Kazohera. C’est à eux qu’on donne tous les dollars pour importer. C’est un problème. Ces individus sont devenus plus riches que l’Etat au moment où la population croupit dans une misère sans nom. Je pense que le gouvernement doit tout faire pour que cette situation change. »

D’après le président de l’Olucome, nous sommes en train de voir des gens qui roulent à deux vitesses. « Certains s’enrichissent d’une manière exagérée en dépouillant les Burundais et les autres croupissent dans la misère sans que rien ne soit fait par le gouvernement. »


Réactions

Agathon Rwasa : « L’interpellation de l’activiste Rufyiri est une préoccupation de tout le monde »

Pour le président du Congrès National pour la Liberté (CNL), c’est de droit que les citoyens puissent s’exprimer par rapport à la situation qui prévaut dans le pays s’il s’agit d’une question vitale en l’occurrence comme la cherté de la vie. « Pour moi, ce n’est nullement un péché. Ce n’est pas une critique comme telle, mais plutôt une sonnette d’alarme qui est activée par la population. »

Par rapport à la réaction du président de la République, Agathon Rwasa estime que le gouvernement devrait arrêter des mesures qui vont dans le sens des doléances de la population. « Mine de rien, nulle n’ignore que le salaire n’augmente pas. Et je ne pense pas que les 12 millions de Burundais peuvent être casés dans des structures agricoles. L’interpellation formulée par Rufyiri est une préoccupation de tout le monde. Pas seulement ceux qui peuvent s’exprimer, mais aussi toute cette masse qui ne s’exprime pas et qui n’a pas peut être la chance d’accéder aux médias pour exprimer leur sentiment on ne peut plus morose par rapport à la vie qui devient de plus en plus chère. On entend la grogne. On s’imagine quelle est la galère d’un salarié burundais lorsque les prix des denrées alimentaires montent chaque jour. D’après lui, les autorités administratives et politiques devraient prendre la question au sérieux.

Pour Agathon Rwasa, si le chef de l’Etat dit que l’agriculture est une priorité, il faut voir quels sont les moyens mis à la disposition de ces agriculteurs. « A l’état actuel des choses, on voit que l’agriculture reste une agriculture de subsistance. Nous ne pouvons pas couvrir les besoins les plus élémentaires de notre population. Il faut être conséquent avec le discours officiel que l’on prononce. »

Pour le patron du CNL si le président de la République ne peut pas trouver des solutions aux problèmes qui sont posés alors qu’il a nommé des ministres, des directeurs généraux et des conseillers, il doit penser à redynamiser ses équipes. « Autrement dit, mettre de côté le militantisme et promouvoir la méritocratie. Ce ne sont pas les technocrates qui manquent dans ce pays, mais l’esprit partisan a tout bouleversé. » Et d’ajouter : « Pour mériter un poste, il faut être du Cndd-Fdd et militant très zélé.

Je ne pense pas que l’ultra-militantisme va directement de pair avec les capacités requises pour gérer. Il doit d’abord réformer son administration. Il ne faut pas chercher à satisfaire son parti, il faut satisfaire le peuple burundais. » De plus, insiste Agathon Rwasa, il faut briser toutes ces histoires de monopole que l’on voit dans différents secteurs.

Concernant les activités commerciales du président Ndayishimiye, Agathon Rwasa se pose des questions : « Pourquoi c’est maintenant qu’il est président de la République qu’il a du temps pour cultiver et qu’il cultive beaucoup plus que tout le monde ? Le temps qu’il passe dans ses champs, ne devrait-il pas le passer ailleurs ? Parce que c’est lui qui doit coordonner l’action du gouvernement. Est-ce qu’on peut marier les activités économiques de grande ampleur avec cela ? Je me pose cette question, mais je ne trouve pas de réponse. »

Et de rappeler : « Jusqu’à une certaine période, les autorités administratives étaient privées d’exercer d’autres activités parallèles. Est-ce que cette déontologie a fait du tort au pays où elle a fait du bien ? » Pour lui, en cherchant à marier les activités économiques et lucratives avec les activités administratives, on risque d’être tenté par l’appât du gain. « Ce qui serait mieux est que les autorités administratives s’occupent de la population que de s’occuper de leurs propres affaires. Cela pourrait aider le pays à avancer sereinement. »

Léonce Ngendakumana : « Le Chef de l’Etat ne peut pas s’attaquer frontalement à un citoyen ordinaire »


« De manière générale, en sa qualité du chef de l’Etat et père de la Nation, de par ses fonctions, le président de la République ne peut pas s’attaquer frontalement, ouvertement, officiellement et publiquement à un citoyen ordinaire », commente Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Sahwanya Frodebu.

D’après lui, si le citoyen s’est exprimé dans des termes qui ne sont pas appropriés, le chef de l’Etat a beaucoup de canaux pour le ramener sur le bon chemin. « Il peut l’appeler pour lui donner un éclairage, lui prodiguer des conseils de manière à ce que cela ne se répète plus. Et à défaut, si le chef de l’Etat n’est pas disponible, il peut mandater un de ses proches collaborateurs pour aller transmettre un message à ce citoyen ».

Par ailleurs, M. Ngendakumana pense que le chef de l’Etat ne peut pas accuser un citoyen ordinaire qu’il ne fait rien dans la société. Car, explique-t-il, dans la société, il se fait beaucoup d’activités. « Les uns font l’agriculture, l’élevage, d’autres s’adonnent à d’autres activités génératrices de revenus comme commerçants, enseignants, médecins, magistrats, transporteurs, etc. Et toutes ces activités peuvent concourir au développement du pays. Elles sont importantes et complémentaires pour le développement d’un pays ».

Selon ce politique, le chef de l’Etat doit donner un message qui canalise toutes ces activités vers un développement. « Chaque Nation doit valoriser le travail sous toutes ses formes ».

A ceux qui disent que le chef de l’Etat ne peut pas s’adonner à l’agriculture, l’élevage, Léonce Ngendakumana indique qu’il en a le plein droit : « Tout comme les autres citoyens burundais, le chef de l’Etat peut pratiquer l’agriculture et l’élevage. Il peut avoir des champs, des fermes. Ce qui est interdit, c’est s’adonner à des activités commerciales ».

D’après lui, la Constitution le lui interdit formellement : « C’est pourquoi l’Etat met à sa disposition tous les moyens nécessaires pour qu’il se concentre sur la gestion des affaires de l’Etat comme un père de la Nation », justifie-t-il.

Kefa Nibizi : « Que le gouvernement ne s’en prenne pas à la société civile et à l’opposition »

Pour Kefa Nibizi, président du parti Codebu-Iragi Rya Ndadaye, quand la société civile et l’opposition font un clin d’œil au gouvernement pour signaler un dérapage, critiquer ses actions, ils sont en train de contribuer au développement. « Parce qu’ils recadrent le gouvernement pour qu’ils travaillent de manière normative, correcte pour le bien-être de la population ».

Il ne faudrait pas que les membres du gouvernement s’en prennent à elle. « Car, cela fait même partie de leur rôle de conseiller le gouvernement pour qu’il reste dans le cadre normatif dans l’exercice de ses fonctions. On ne peut pas rétorquer qu’on est en train de faire des critiques sans exercer aucune autre activité ».

Il rappelle d’ailleurs que la production n’est pas uniquement l’agriculture et l’élevage : « Les secteurs secondaire et tertiaire contribuent énormément au développement. D’ailleurs, dans les économies modernes, le secteur primaire contribue à moins de 30% pour le développement du pays ».

Pour le cas du Burundi, ce politique trouve que ce n’est pas possible de développer le pays à travers le secteur primaire.
M. Nibizi souligne que la mission n’est pas d’investir dans l’agriculture et l’élevage, mais de créer des conditions favorables pour que les agriculteurs ou éleveurs puissent bien travailler.

Concernant la montée des prix des denrées alimentaires sur le marché, Kefa Nibizi estime que les choses vont de mal en pis parce que certains membres du gouvernement, au lieu de s’occuper des dossiers sensibles qui risquent d’apporter une somme énorme du contribuable, ils s’adonnent à des activités agricoles, pastorales qui, dans une certaine mesure, ont un caractère propagandiste : « Vaut mieux qu’ils se concentrent sur des dossiers susceptibles de promouvoir l’économie du pays. On continue à reculer parce que certains dignitaires continuent de travailler hors normes ».

Gaspard Kobako : « Le chef de l’Etat n’est pas là pour cultiver, mais pour gouverner »

« La première des missions du chef de l’Etat n’est pas de cultiver, mais de gouverner le pays. Ces missions sont inscrites en règle d’or dans la Constitution. Nous le voyons très souvent dans ses champs, en compagnie de son épouse, à la RTNB, en train de cultiver ou de récolter ses champs. Quelque part, il y a incompatibilité », réagit Gaspard Kobako, membre du parti Cndd.

Néanmoins, il reconnaît que ce n’est pas en soi mauvais de s’adonner aux activités agro-pastorales : « Mais à quelle échelle et à quel prix ? Où est écoulée sa production ? Est-ce sur le marché de COTEBU ? Sur les marchés locaux ou à l’étranger ? Et d’où proviennent les moyens techniques, financiers, les intrants pour sa main-d’œuvre ? Cela mérite d’être connu et élucidé ».

Cet opposant rappelle d’ailleurs que dans des pays développés, c’est entre 5 et 10% d’agriculteurs et éleveurs, qui nourrissent le reste. « Au Burundi, c’est l’inverse. C’est 90% qui pratiquent ces activités du secteur primaire. C’est un signe éloquent du sous-développement ».

Revenant sur l’attaque publique du chef de l’Etat contre M. Rufyiri, il signale que ce n’est pas parce que ce dernier ne cultiverait pas que la majorité des Burundais souffrent de la faim et la malnutrition. « Ce n’est pas lui qui manque dans la chaîne pour l’augmentation de la production agricole. Ce qui manque, ce sont les bonnes pratiques agricoles, les intrants pour amender les sols non fertiles, la mécanisation agricole, la libération des terres cultivables, dont certaines sont gaspillées au profit des constructions. »

D’ailleurs, il estime que le développement du pays n’est pas tributaire des activités agro-pastorales, mais de l’énergie pour développer d’autres secteurs économiques tels que l’exploitation minière et l’industrialisation. « Il faut donc aborder, sans faux-fuyant, les vraies questions de développement et non s’attaquer à tel ou tel individu, parce qu’il dénonce ce qui ne marche pas dans la gouvernance du pays », se résume-t-il.

Quid de la recommandation à chaque ménage d’avoir au moins cinq lapins. Là, Gaspard Kobako est tranchant : « L’élevage de lapins c’est pour une économie de subsistance. Je ne connais pas jusqu’à présent et à preuve du contraire, dans quel pays où ces lapins sont exportés pour faire entrer des devises ; ou un seul pays qui a connu son essor grâce à l’élevage de lapins ».

Hamza Venant Burikukiye : « Face à la vie chère, il faut travailler beaucoup »

« Certes, la vie chère au Burundi n’est pas à contester car les faits sont palpables et sautent à l’œil nu », réagit le représentant légal de l’Association Capes+.

Concernant les propos du Chef de l’Etat en l’encontre de Gabriel Rufyiri, Hamza Venant Burikukiye fait savoir qu’il ne s’agit pas seulement de dénoncer ou de condamner, mais de proposer des solutions. « D’accord, on est face à la vie chère alors il faut travailler beaucoup pour accroître la production. La société civile est bien placée pour le faire sans s’attaquer au gouvernement pour plaire aux bailleurs de fonds afin d’obtenir des financements. »

Quant à l’incompatibilité du président de la République d’exercer d’autres fonctions à côté de celles du Chef de l’Etat, M. Burikukiye indique que la Constitution est très claire. « Jusqu’à présent, on n’a pas vu une autre activité que le chef de l’Etat exerce en parallèle de ses fonctions de Magistrat suprême. Si c’est parce qu’il fait de l’agriculture et de l’élevage, à part que c’est un bon modèle pour tout leader de montrer une bonne pratique citoyenne et aussi créer de l’emploi ainsi que contribuer à l’économie par des taxes et impôts, c’est une vie familiale voire privée que personne n’a droit de s’y mêler. »

Eulalie Nibizi : « Chaque citoyen seul ou en association a le droit de défendre les intérêts de sa communauté »

« Quand le chef de l’Etat s’attaque aux activistes de la société civile qui dénoncent la vie chère et d’autres vices contraires à la bonne gouvernance, il n’a pas du tout raison. Il va même à l’encontre de la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus adoptée le 9 décembre 1998 », souligne cette activiste des droits humains.

De plus, indique-t-elle, il va à l’encontre aussi de la Constitution de la République et autres instruments internationaux qui reconnait le droit de défendre les droits humains ou tout simplement le droit d’émettre une opinion sur toutes les questions concernant la vie de la population. « Chaque citoyen seul ou en association a le droit de défendre les intérêts de sa communauté qui sont aussi des intérêts individuels. S’attaquer au citoyen qui alerte sur la gouvernance constitue une intimidation qui contribue à instaurer de la peur et faire taire le peuple pour que les proposés à la gestion du pays continuent leurs actes illégaux. »

Quant à dire que Gabriel Rufyiri ou un autre n’a pas de champ à brandir comme modèle de production, indique-t-elle savoir, c’est la vie privée de chacun selon ses moyens et ses choix économiques. « Tous les Burundais ne doivent pas exercer les mêmes activités de développement. Non plus produire des tonnes de produits alimentaires n’est pas le résultat que les Burundais attendent du président de la République. Ses attributions sont connues. Elles sont du domaine de garantir la paix, la sécurité, la justice pour tous, la bonne gestion de la chose publique et le respect des droits humains en général.

Les réponses qu’il donne sont une diversion en vue de détourner l’attention du public de la pile de dossiers en souffrance pour lesquels la société civile demande des comptes.

Pour Eulalie Nibizi, le bilan que nous attendons à la fin de la saison culturale ne doit pas provenir de la maison du président de la République, mais de la maison de chaque citoyen.

Et d’ajouter : « Par ailleurs, le chef de l’Etat risque de glisser vers le régime d’incompatibilité et même de détournement quand il s’accapare des terres domaniales ou celles appartenant aux familles déplacées et quand il prend les intrants agricoles et autres ressources. Personne ne peut se risquer dans la compétition avec lui et c’est une barrière à l’épanouissement économique des autres citoyens. »

Gustave Niyonzima : « Le Président de la République se doit d’être un modèle reflétant une image neutre, arbitrale et unificatrice »

Pour ce juriste et défenseur des droits humains, la société civile fait la promotion de l’inclusion, protège les droits de la personne, en plus d’obliger publiquement les gouvernements à rendre des comptes sur la prestation de services publics, la défense de la primauté du droit et la promotion de la participation à un processus inclusif de prise de décisions à tous. « L’État est un régulateur de l’ensemble par son organisation juridique et politique. La puissance publique garantit que la société civile et la famille existent. »

En un mot, souligne-t-il, la société civile est un réservoir de ressources politiques, économiques, culturelles et morales pour contrôler le pouvoir de l’Etat afin qu’il y ait tout ce qui est nécessaire à l’épanouissement de la population.

Quant au président de la République, il incarne l’unité nationale, veille au respect de la Constitution et assure par son arbitrage, la continuité de l’Etat et le fonctionnement régulier des institutions. « Le président de la République veille au respect et à la protection de la population auprès des institutions étatiques. Il assure le fonctionnement normal des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat. »

Au-delà du parallèle que l’on peut faire entre les fonctions présidentielles prévues par la Constitution et celles qu’il mènerait à titre privé, souligne-t-il, il existe une différence fondamentale. Selon lui, le rôle du président de la République est bien défini au niveau de l’article 96 de la Constitution et la teneur y relative se passe de tout commentaire.

Selon lui, le Président de la République se doit d’être un modèle reflétant une image neutre, arbitrale et unificatrice. « S’il s’engage dans le commerce alors que la Constitution ne le lui permet pas, il risque d’y avoir deux intérêts antagoniques : ceux visés pour l’intérêt général de la Nation et ceux qui visent son gain personnel en dehors de ses fonctions présidentielles. »

B.M. : « Tenter d’intimider la population affamée pour l’obliger à fermer les yeux sur sa misère est un projet vain »

D’après ce juriste et activiste des droits humains, qui a requis l’anonymat, les attaques verbales du président de la République dirigées contre Gabriel Rufyiri dénotent le rejet par le régime en place de la transparence dans la gestion de la chose publique et de la culture de la redevabilité. « La liberté d’expression pourtant garantie par la Constitution est devenue une infraction. Cependant, tenter d’intimider la population affamée pour l’obliger à fermer les yeux sur sa misère est un projet vain. Plutôt que de gaspiller ses énergies dans la répression, le chef de l’Etat devrait prendre des mesures drastiques pour relever l’économie chancelante du pays. »

Quant à l’accusation portée contre Rufyiri comme quoi il ne produit rien, souligne-t-il, les différents secteurs d’activités sont complémentaires dans tout Etat moderne.

Quant aux activités du chef de l’Etat, ce juriste fait savoir que la Constitution du Burundi en son article 101 précise que : « Les fonctions de président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute autre fonction publique élective, de tout emploi public et de toute activité professionnelle. »

L’article 102 renchérit en soulignant que : « Dans le cas où le candidat élu Président de la République occupait une fonction privée, rémunérée ou non, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, il cesse toute activité dès la proclamation des résultats. »

De ces deux articles, précise-t-il, il se révèle que le constituant burundais a voulu que le chef de l’Etat se concentre sur la mise en œuvre du programme plébiscité par le peuple à travers les urnes. « Pour lui garantir une sécurité financière, la loi a prévu des avantages comme l’intendance ainsi qu’un pécule important qui sera versé au président jusqu’à sa mort. La Constitution a voulu éviter que le président de la République ne disperse ses efforts dans la lutte pour la survie au lieu de se mettre entièrement au Service de son pays. »

Il ajoute que le fait pour un président de la République de se lancer dans le commerce fausserait par ailleurs les règles de la concurrence loyale. « Il faut à tout prix éviter que l’intérêt individuel du président ne soit en conflit avec l’intérêt général. Ainsi il se révèle que les activités de négoce auxquelles se livrent le Président sont contraires à la Constitution et pourraient constituer un acte de haute trahison justiciable devant la Haute Cour de justice qui, certes évoquée dans la constitution, mais, hélas ! n’a pas encore vu le jour. »


Interview

Francis Rohero : « Investissons dans nos communautés ! »

Pour Francis Rohero, ancien candidat présidentiel aux dernières élections présidentielles, si nous voulons que cette flambée des prix des denrées alimentaires change, nous devons investir dans nos communautés.


Est-ce que tous les Burundais sont appelés à s’occuper des activités champêtres ?

Je crois que c’est une aberration. Dans aucun pays, la population entière ne peut pas faire une seule activité. Dans une économie bien organisée, il doit y avoir ceux qui vont participer à la production, ceux qui participent à l’acheminement des produits et ceux qui participent à la vente et à l’organisation de tout ce qui va suivre. Je ne crois pas que la population burundaise dans son entièreté peut faire l’agriculture.

A voir comment l’agriculture est faite au Burundi, cela peut sauver notre économie ?

Pour l’instant, ce qu’on fait ne peut pas sauver notre économie et cela explique même notre déchéance. Nous sommes près de à 13 millions de Burundais et au moment de l’indépendance, on était à peine 2.5 millions d’habitants. La population pouvait manger à suffisance. C’est impensable que 40 ans après, quelques familles qui s’occupent de l’agriculture puissent nourrir cette population.

Il y a quelques années, on a amené l’idée des coopératives pour produire, mais malheureusement cette idée est restée une parole de propagande. Les fonds publics sont utilisés pour entretenir le gouvernement et pas pour investir dans des activités de production.

Si on ne produit pas, on n’aura jamais à manger et encore moins à exporter et naturellement on n’aura pas de devises. On est en train de dire partout que le Burundi n’a pas de devises, comme si les devises tombent du ciel. A un moment donné, on avait assez de devises parce qu’on exportait le café, le thé, mais maintenant il n’y en a plus.

Il y’a des dignitaires qui possèdent de grands terrains pour l’agriculture, cela peut-il aider pour réduire les prix sur le marché ?

Moi, j’appellerais cela du blanchiment. Je dirais que c’est un amusement. Je ne vois aucun dignitaire qui s’occupe réellement de l’agriculture. En réalité, ils utilisent les moyens de l’Etat, ils y vont avec des voitures de fonction ils travaillent avec les ouvriers de l’Etat. Est-ce qu’ils peuvent nourrir la population burundaise ? Une autorité qui s’active sur 2 ou 3 ha même jusqu’à 10, qu’est-ce que ça signifie pour l’ensemble de la population burundaise de 13 millions d’habitants ? Une population à majorité au chômage.

Nous avons aujourd’hui des lauréats d’université et du secondaire qui n’ont pas de travail et qui voudraient même travailler dans les champs, mais il n’y a pas de financement. Je l’ai toujours dit, nous avons des banques qui n’ont en réalité qu’un capital estimé à 10 milliards de BIF qui sont aujourd’hui insignifiants. Je disais pendant les élections de majorer jusqu’à 30 milliards de BIF.

Ces mêmes banques ne sont pas capables de financer l’agriculture au Burundi. A la limite, elles s’activent dans des activités faciles avec des fonctionnaires privés ou publics à qui elles donnent des crédits pour les récupérer sur leurs salaires. Est-ce que ça peut financer une économie ? Impossible. L’agriculture au Burundi ne peut pas être une activité de quelques dignitaires qui s’amusent juste pour plaire à la galerie.

Que doivent faire ces dignitaires ?

Un dignitaire qui voudrait investir ne devrait pas avoir ses champs particuliers. Ce serait une bonne chose s’il investit dans des coopératives disponibles dans sa commune natale ou dans sa commune de résidence. Les paysans s’activeraient à cultiver.

Il sera actionnaire dans l’activité sans être nécessairement un propriétaire qui croit faire de l’agriculture alors qu’en réalité il ne le fait pas. Je crois que la situation est aussi simple que ça. Il faut que l’on comprenne qu’il faut des financements.

Ceux qui ont besoin de blanchir leur argent, qu’ils investissent dans ces coopératives qui sont en train de pourrir sans financement. Arrêtons de faire croire aux gens que tel est en train de cultiver ou produire alors qu’en réalité ce n’est pas le cas.

Selon vous, quelles sont les causes de cette flambée de prix ?
La cause est très simple. Il y a une démographie galopante et les familles qui nourrissaient notre population s’appauvrissent et ne sont plus capables d’utiliser la houe pour nous nourrir. Le peu qu’elles ont, c’est juste pour leurs familles et c’est même insuffisant. Les marchés sont vides. Il n’y a pas de produits, nous devons donc pour la plupart des fois importer.

Il faut qu’on comprenne le mécanisme. Si nous voulons que ça change, nous devons investir dans nos communautés pour que les familles travaillent en collaboration tel que c’était prévu pour les coopératives. Nous constatons qu’un Burundais qui exporte sa banane ou son sac de riz au Rwanda ou au Congo est arrêté. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas assez produit. C’est un crime de vendre quand on n’a pas. Si on arrive à produire dans tout le Burundi, il y’aura des facilités à avoir à manger et à exporter. Le Burundi serait dans la facilité de faire baisser les prix parce que l’offre serait plus importante que la demande.

Pourquoi s’en prendre alors à ceux qui réclament la baisse des prix ?

Quand je vois des gens qui s’en prennent à des gens au lieu de s’en prendre au problème est une marque suffisante qu’on n’a pas de vision dans notre pays.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Stan Siyomana

    @Arthur
    1. Vous posez cette question primordiale:« 2) Quelle est la potentialité de nos terres pour répondre aux besoins alimentaires de notre population?… »
    2. Mon commentaire
    Les dirigeants burundais ne cessent de dire que le developpement du Burundi va etre base sur le secteur de l’agriculture, mais la carte de l’acidite des sols burundais montre bien que cette voie est tout simplement impossible.
    Les endroits tres fortement acides (avec un pH inferieur a 5) sont a Ngozi, Ruyigi, frontiere entre Bururi et Gitega, etendue entre Rumonge et Mwaro, et Cibitoke.
    https://isabu.bi/wp-content/uploads/2022/12/Acidite_burundi.pdf

    • Stan Siyomana

      « Rappelons que sur le marché un sac de 50 kg de chaux coûte 5.000 FBu.

      Pourquoi corriger l’acidité des sols ? | Un sol acide se caractérise par une faible activité des micro-organismes souterrains, le blocage de l’assimilation par les plantes de certains éléments nutritifs ainsi qu’une croissance perturbée car l’aluminium libéré par un sol acide limite le développement racinaire et les éléments utiles à la croissance comme le phosphore, le magnésium et le potassium deviennent inaccessibles à la plante. L’acidification des sols peut s’expliquer par différentes causes comme l’activité biologique des plantes ou encore le lessivage et l’érosion des sols, qu’il faut corriger par le chaulage (application de la chaux sur un sol). C’est un procédé qui permet à la terre de devenir plus légère et plus fertile en compensant le manque de calcium. Il favorise la décomposition des matières organiques en humus. Son action améliore la qualité physique des sols : le sol devient aussi plus facile à cultiver. Il désinfecte aussi les sols en empêchant la prolifération des champignons, mousses, insectes et maladies… »
      https://jimbere.org/acidite-burundi-sols-isabu-oxfam-papab/

  2. Arthur

    Tant que les gouvernants en place ne s’approprieront pas les statistiques pour faire une bonne planification, on aura toujours ces genres de dérapage. Je n’ai jamais entendu le gouvernement nous expliqué réellement à quoi est dû cette flambée de prix. Pour mettre en pratique la politique tant prônée d’augmenter la production, il faut d’abord que le gouvernement réponde à ces questions:
    1) Quels sont les besoins alimentaires de notre population?
    2) Quelle est la potentialité de nos terres pour répondre aux besoins alimentaires de notre population?
    3) Actuellement que produisent nos terres? Couvrent elles les besoins alimentaires de nos populations?
    4) Quelles quantités à importer pour couvrir ces besoins?
    5) Y a-t-il moyen d’augmenter la productivité de nos terres quitte à ce que la population soit nourrie à suffisance?
    Qu’on arrête de dire que la production a augmenté; elle a augmenté par rapport à quoi?

  3. Corneille Kaziri

    Il est stupéfiant qu’un président de la République ose justifier qu’un régime de banane coûte 5 000 fbu à Karuzi. Mais est vendu 30 000 fbu à Bujumbura.
    Il essaie de dire que le gouvernement n’y peut rien.
    Réalise t il l’énormité de ce qu’il avance?
    Que font le ministère du commerce et des transports?
    Ntazi ivyo izo ministères zikora?
    Pourquoi, un pays investit des milliards pour construire une route, Mr le président?

  4. Pascal Mugisha

    C’est vraiment ironique qu’il raconte tout le parcoure d’une regime de banane du champs jusqu’a l’assiette de brochette & banane sous le mangier quelque part a Buja. Ecoute si l’agriculteur(trice) de banane veut avoir le plus possible d’argent, il/elle peut emmener son régime de banane a Buja. Mais quelque chose me dit qu’il y’aura des frais et le temps a dépenser. C’est vraiment triste d’entendre le president dire que un intellectuel ne travaille pas car cette personne passe toutes ses journées sous un manguier ou la plage a philosopher! Et puis de temps en temps, pas tous les jours, il/elle prend son stylo et un papier et écrit des rapports. Vous vous rendez compte!!!

  5. Kanda

    Cette diversité des idées enrichit.
    Est-ce qu’ils lisent? Lisent-ils pour Lui? Où sont les conseillers pour anticiper ou accompagner les communications du Haut Sommet. Quand on vend un produit pas très bien, le service après-vente devrait être bien assuré. Certains de petits-fils et filles de 1965, 1972 ne peuvent même pas trouver une parcelle sur les colline de leurs grands-parents morts sous les régimes passés et les parents étant morts soit en exil soit sur les différents fronts tentant de se libérer. Certains ignorent même où c’était exactement. Où vont-ils cultiver?

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