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Société

« Pour Iwacu, exister est déjà le meilleur des prix »

06/05/2021 3
« Pour Iwacu, exister est déjà le meilleur des prix »
Antoine Kaburahe au cours d'une interview dans la cour du journal en 2015

Journaliste, écrivain et éditeur, Antoine Kaburahe a fondé Iwacu en 2008. En novembre 2015, six mois après la tentative de coup d’Etat, menacé , il a été contraint de fuir. Il a répondu à la rédaction du journal .

Iwacu vient d’être nominé pour le prix One world media 2021 qui sera décerné le 17 juin prochain. Quel est votre sentiment ?

Antoine Kaburahe : Certes, j’ai semé la graine « Iwacu », il y a 13 ans, mais le prix revient d’abord à vous qui êtes au Burundi, vous qui essayez d’informer aux mieux les Burundais dans un contexte difficile. C’est un prix pour tous les journalistes d’Iwacu et je vais même plus loin, pour tous les journalistes burundais qui font correctement leur métier, au Burundi et ailleurs. Pour ma part, je suis heureux qu’avec mon départ, Iwacu est resté debout, ne s’est pas effondré.

Justement, comment vous expliquez cette survie, cette longévité?

Parce que je n’étais pas seul ! Une équipe formidable a pris la relève et continue l’œuvre. Avec tous les problèmes vécus, cette détermination est une fierté pour tous les Burundais, tous ceux qui aiment la liberté d’expression. L’histoire retiendra que des journalistes sont restés debout dans un contexte difficile.

Iwacu nominé aux côtés des journaux de Birmanie et de Colombie, qu’est-ce que cela signifie ?

On ne peut pas comparer trois médias en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Les contextes et les défis sont différents dans ces trois pays. Néanmoins, il y a un dénominateur commun : cette difficulté d’exercer le métier. Faire le journalisme dans ces pays n’est pas une sinécure. Parfois le prix à payer pour informer est très élevé…

Et si vous aviez un message à adresser aux autorités ?

Je leur dirais de défendre la liberté d’expression, car la manière de traiter les médias en dit long sur la maturité politique des dirigeants. Ceci est valable au Burundi et ailleurs. Informer est un droit et les journalistes sont des Burundais, des citoyens qui aiment leur pays. Quand dans notre travail nous mettons en lumière des dysfonctionnements et autres violations des droits de l’homme, on nous dit qu’il faut être « patriote » ! Comme si le bon journaliste est celui qui ne voit que le bon côté, qui fait la promotion « de l’action gouvernementale », comme disent les communicateurs officiels , en fermant les yeux sur les ratés, le revers de la médaille.

Un exemple précis ?

Une conférence de rédaction du journal Iwacu en 2013. Antoine Kaburahe (chemise blanche), on remarque Jean Legastelois, un retraité du Centre de Formation des Journalistes (Paris) qui a accompagné le journal pendant plusieurs années.

Dernièrement, sur les réseaux sociaux, « il a été question d’un étudiant mort de faim ». Iwacu a réalisé une enquête pour démontrer que si l’étudiant n’est pas directement « mort de faim » comme cela se disait sur les réseaux sociaux, il vivait néanmoins dans des conditions très difficiles, mangeait une fois par jour, ne pouvait pas se faire soigner, etc. Preuve à l’appui, Iwacu a mis en lumière les terribles conditions de vie des étudiants, sans bourse d’études depuis plus de six mois. Un officiel a réagi dans un long article sur les réseaux sociaux qui corroborait ce que nous avions écrit sur les dysfonctionnements au sein de l’université et les conditions misérables des étudiants. Sauf que dans sa conclusion, il s’en prenait aux médias ! En tant que « Burundais épris de patriotisme », écrivait-il, il estimait que dans cette affaire « la nation est ternie par une clique de ventriotes, pêcheurs en eaux troubles ou impérialistes. » C’est cela le problème. Très souvent, au Burundi, un média critique est vite classé, catalogué, accusé d’être au service des  forces « obscures ». Pourtant, en pointant objectivement la mauvaise gouvernance, nous sommes au service du pays. Les autorités devraient écouter et laisser travailler les médias qui ne les caressent pas dans le sens du poil. Je persiste à penser qu’Iwacu fait œuvre utile.

Qu’est-ce que ce prix va changer ?

Iwacu ne travaille pas pour gagner des prix ! Les journalistes font simplement leur travail , je les invite à rester courageux, à faire correctement, honnêtement leur travail, à lutter contre l’autocensure. Cela dit, cette reconnaissance internationale fait toujours plaisir. C’est un encouragement. Mais le simple fait d’exister est déjà le plus grand prix pour Iwacu.

Propos recueillis par Mariette Rigumye

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. THIERRY MEERT

    Je remercie l’intégrité des journalistes de IWACU en me et nous permettant de pouvoir connaître la situation réelle de la population burundaise si accueillante dans leur pays. La situation de cet étudiant est préoccupante quand pas plus tard qu’il y a deux semaines lors du weekend, pas de « charbon » ou de bois pour préparer les repas des internes! De même l’état de salubrité des dortoirs où dorment deux si pas trois élèves par matelas placés sur des lits branlant. et cela ne date pas de hier! Ceci est un petit coup de gueule de la part d’un sympathisant de la population burundaise qui a vécu plus d’une dizaine d’années dont cinq ans pour la rénovation du matériel et la formation des enseignants sur le nouveau matériel offert par la CTB. Bonne journée à vous tous.

  2. Aloys Gisho

    Félicitations pour le prix.
    Iwacu est parmi les rares réalisations qui font honneur à notre « mother land ».
    Continuez à nous informez.
    Restez debout

  3. Mugisha

    Tout le monde au Burundi connaît les péripéties de Samandari. Qu’est-ce qu’il a aidé les puissants de son royaume à ouvrir les yeux sur les réalités qui leur étaient méconnues. Notre Samandari « moderne » de notre république est la presse.

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