Jeudi 02 octobre 2025

Société

Ports de pêche de Nyanza : Les femmes « Wapishi » empêchées de travailler

02/10/2025 0
Ports de pêche de Nyanza : Les femmes « Wapishi » empêchées de travailler
M. Nahimana ,du port de pêche de Rumonge, prépare des mets pour les pêcheurs

Accusées d’entretenir des relations avec des maris qui ne sont pas les leurs, les femmes qui préparent les mets pour les pêcheurs, appelées « Wapichi », aux différents ports de pêche de la commune Nyanza, en province de Burunga, ont été interdites d’y travailler. La mesure est jugée non fondée.

Depuis le 2 septembre 2025, aucune femme « Mupishi » n’est autorisée à cuisiner pour les pêcheurs. Une décision imposée par l’administrateur de la commune Nyanza, Diomède Dusengimana, dans le but de « réduire les conflits familiaux. »

Pour les femmes « Wapishi » du port de pêche de Mvugo, cette décision de l’administration locale les prive injustement de leur moyen de subsistance. Elles expliquent que la plupart d’entre elles sont veuves et que ce métier constitue leur seule source de revenus. « Nous avons des enfants qui doivent manger et aller à l’école. Nous ne voulons pas qu’ils deviennent des mendiants », confie une femme veuve du port de Mvugo.
Elle déplore « une décision imposée par les autorités locales » sans concertation avec la communauté environnante.

Ces femmes insistent sur le caractère honnête de leur travail. « Il y a aussi des hommes Wapishi. Nous travaillons en bonne entente et chacun s’assure de nourrir sa famille », expliquent-elles. Ce qui les blesse le plus, c’est qu’« aucune alternative ne nous a été proposée. Si nous arrêtons, c’est la pauvreté qui gagne du terrain ». Quant aux accusations d’entretenir des relations extraconjugales avec les pêcheurs, elles les qualifient de « fausses et injustes » estimant que si l’une d’entre elles s’en rend coupable « c’est à elle seule d’en assumer les conséquences ».

Elles demandent que la semaine de repos qui était accordée aux pêcheurs soit rétablie pour permettre aux pêcheurs qui vivent loin de leurs familles de rentrer chez eux.

La population environnante critique également cette mesure jugée arbitraire et déconnectée de la réalité. Hussein K., habitant de la zone, estime que « l’infidélité existe partout et pas seulement chez les Wapishi ». Selon lui, ces femmes « ne sont que des mères qui essaient de vivre honnêtement ».

Il avertit enfin que les conséquences pourraient être inverses. « En les privant de travail, certaines risquent de se tourner vers la prostitution et de devenir ce dont on les accuse à tort d’être ».

« Ces femmes ne volent personne »

Certains pêcheurs rejettent également la décision d’interdire aux femmes Wapishi de travailler aux ports. Pour un capitaine d’équipe du port de Mvugo, ces femmes jouent un rôle essentiel dans la communauté. « Ces mamans font leur travail correctement. La plupart sont des veuves. Elles ont choisi de travailler au lieu de se prostituer et de risquer de contracter des maladies comme le sida ou d’autres infections sexuellement transmissibles. Leurs enfants en bénéficient aussi. Elles arrivent à payer le matériel scolaire nécessaire et beaucoup d’entre elles élèvent cinq enfants ou plus. »

Il affirme que la relation entre pêcheurs et elles est saine. « Elles cuisinent pour nous et nous les rémunérons. Cet argent leur permet de s’occuper de leurs familles ». Il trouve que, les accusations d’entretenir des relations sexuelles avec les pêcheurs sont infondées. Il rappelle que le comportement des hommes varie selon leurs désirs. « Certains sont fidèles, d’autres polygames ».

Le nommé Mabingo, un autre pêcheur, considère aussi que la mesure est injuste car ces femmes « ne volent personne ». Ce qui l’inquiète, c’est que « ceux qui ont pris la décision ne leur ont pas proposé d’autres activités pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Rien n’est plus douloureux que la pauvreté ». Il rappelle que les terres à cultiver se raréfient. « Pour manger aujourd’hui, il faut travailler et gagner de l’argent. C’est ce que font ces mères ». Il dénonce également une mentalité discriminatoire envers les femmes. « Les temps ont changé, les mentalités doivent évoluer aussi ».

« Ce travail est tout pour nous »

Au port de pêche de la commune Rumonge, la situation est la même. Pour les femmes bapichi, les inquiétudes sont grandes. Elles assurent que les accusations de relations extraconjugales avec les pêcheurs sont erronées. « Nous cuisinons pour les pêcheurs et vivons dans la peur constante », confie Carine Nahimana.

Veuve et mère de neuf enfants, elle explique que ce travail lui permet de subvenir aux besoins de sa famille et d’assurer la scolarité de ses enfants. « Cela fait deux ans que je prépare des mets pour les pêcheurs. Ce travail est tout pour nous. Il n’y a pas de mauvais comportement. Si nous voulions être des prostituées, nous serions restées en ville. Nos maris nous ont délaissées. Ils sont partis en RD Congo avec d’autres femmes. Ceux qui répandent ces accusations sont simplement jaloux de notre réussite. Ce ne sont que des rumeurs sans fondement ».

Mme. Nahimana propose également que les femmes Wapishi de Rumonge participent activement à la vie de la commune, en payant des taxes et en formant une association pour défendre leurs droits et sécuriser leur activité.

Un métier plutôt à encadrer

Le port de pêche de Mvugo, dans la commune Nyanza, en province de Burunga

Le président de la Fédération des pêcheurs et fournisseurs de poissons au Burundi, Gabriel Toyi rappelle tout d’abord l’origine du métier. « Ce métier a commencé en Tanzanie et s’est étendu jusqu’au Burundi. Les gens ont tendance à combattre ce qu’ils ne comprennent pas. L’issue de cette situation dépendra de l’administration communale. Aujourd’hui, nous discutons avec les autorités et nous prévoyons d’organiser et d’encadrer ces femmes pour qu’elles puissent travailler légalement ».

Il reconnaît que des problèmes existent mais il insiste sur le caractère légitime du métier de ces femmes. Selon lui, « dans les années précédentes, ces femmes travaillaient normalement comme les autres. Des comportements malsains dans certains ménages ont cependant provoqué des tensions : des pêcheurs émigraient et amenaient ces femmes avec eux. Ce qui créait des conflits familiaux ».

Il ajoute ne pas être certain que l’interdiction ait été décidée par la commune Nyanza. Il rappelle que « le travail des wapishi est un travail comme les autres. Aucune femme ne devrait être suspectée d’un comportement déplacé pour cela. Chacune doit être punie individuellement sans que les autres soient victimes des actions d’une seule personne ».
M. Toyi annonce qu’il va discuter avec les autorités locales pour « rétablir de vrais principes » et encadrer ces femmes afin qu’elles puissent exercer leur métier correctement.

Il soutient l’idée sur la semaine de repos qu’elles réclament pour permettre aux pêcheurs de rentrer chez eux. « C’est une solution bénéfique non seulement pour les pêcheurs, mais aussi pour les wapishi et la communauté dans son ensemble. Cela contribue également à leur bonne santé. La question relève cependant du ministère de tutelle ».

Il invite les femmes du port de pêche de Mvugo à contacter directement l’administration locale et à respecter la loi en attendant une issue définitive.

Nous avons tenté à maintes reprises de joindre l’administrateur de la commune Nyanza pour obtenir plus d’éclaircissement sans succès.

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