Vendredi 26 avril 2024

Économie

Patrice Ndimanya : « Nous devons nous attendre à une offre alimentaire très réduite pendant cette année agricole »

08/02/2023 5
Patrice Ndimanya : « Nous devons nous attendre à une offre alimentaire très réduite pendant cette année agricole »

L’économiste rural et enseignant à l’université alerte sur les perturbations climatiques en cours qui ont, d’après lui, des conséquences fortes sur la production agricole. Un facteur majeur à l’origine de la flambée des prix des produits observée actuellement.

D’après vous, l’inflation actuelle est en partie due aux bouleversements climatiques ?

On observe une fréquence de plus en plus élevée de phénomènes violents, d’aléas climatiques comme les sécheresses, les inondations, les vents violents, etc. Ces deux dernières années, nous avons connu deux saisons culturales qui ont été affectées par un déficit pluviométrique, surtout dans les dépressions que ce soit dans le Bugesera, dans l’Imbo et dans le Moso.

La saison culturale A de 2022 et la saison culturale A de 2022-2023 ont été marquées par un déficit pluviométrique. Fait aggravant, la saison culturale A de 2023 a démarré très tardivement sur tout le territoire national.

Elle a démarré vers la mi-novembre, ce qui veut dire qu’elle a empiété sur la saison culturale B d’un mois et demi avec des risques de rater la saison culturale B surtout en haute altitude où les cycles de culture sont relativement plus longs qu’en basse altitude.

Nous voilà donc aujourd’hui confrontés aux conséquences des changements climatiques qui ont aussi des impacts sur l’inflation, plus que d’autres facteurs comme la pénurie du carburant.

L’invasion des insectes ravageurs qu’on observe actuellement dans certaines régions n’est-elle pas aussi la conséquence de ces changements climatiques ?

Absolument. Quand les conditions climatiques sont défavorables et que le sol n’est pas bien fertilisé, les maladies des cultures s’amplifient.

Quelles sont les régions les plus durement impactées par ces changements climatiques ?

Ce sont les régions de basse altitude qui sont souvent situées en dessous de 1100 m de pluviométrie, c’est-à-dire les régions du Moso, du Bugesera et de l’Imbo. Et ce sont les mêmes régions qui fournissent le marché en haricots, en maïs et en riz. Même quand il faut parler d’irrigation, il faut savoir que quand il n’y a pas assez de précipitations, la disponibilité en eau pour l’irrigation diminue.

Là alors, il faut voir si on va continuer à prioriser une culture consommatrice de beaucoup d’eau comme le riz ou voir s’il faut évoluer vers des cultures moins consommatrices d’eau comme le maïs, l’arachide et d’autres.

Quelles sont les cultures qui résistent le mieux à la sécheresse ? Et comment les protéger ?

Les cultures pérennes dont nous disposons sont, par exemple, le bananier, les fruitiers, le thé et le café. Elles peuvent être protégées par des techniques d’irrigation localisées pour le cas des bananiers et des fruitiers.

Pour le café, il faut mobiliser les communautés pour qu’après la floraison du mois d’août, toutes les parcelles soient paillées (le paillis est une couche de matériau protecteur posée sur le sol, principalement dans le but de modifier les effets du climat local) et aussi arroser jusqu’à l’arrivée des premières pluies. Cela va permettre de doubler et même de tripler la récolte du café.

Quelle est votre réaction par rapport à la mesure gouvernementale qui préconise la monoculture dans les vallées ?

Ce paradigme commence heureusement à évoluer. J’ai récemment entendu les autorités inciter les gens à la diversification des cultures. Si dans les zones humides, on investit uniquement dans le maïs alors qu’avant, six ou sept cultures se côtoyaient dans les marais, il y aura moins d’offre alimentaire sur le marché, ce qui participe à cette flambée des prix.

Je crois que les autorités sont en train de comprendre que c’est un risque surtout que si une maladie s’attaque à cette culture, tout est perdu. Et il faut également savoir que cela participe également à la diversité nutritionnelle. J’ai vraiment espoir que les pouvoirs publics reviennent sur cette mesure et permettront à nouveau la polyculture.

Certains pays avancent une extension de la saison de croissance (tout ce qui permet à une culture d’être cultivée au-delà de sa saison végétative extérieure normale) comme un moyen de pouvoir augmenter la production. Serait-ce une bonne solution pour le Burundi ?

L’une des meilleures solutions, c’est d’investir beaucoup dans les cultures des marais en les fertilisant le plus possible pour valoriser leur potentiel. On devrait commencer à s’y préparer pour que la saison culturale C soit une réussite, les risques que la saison culturale B soit un échec étant assez élevés.

Les cultures qui sont protégées vont allonger les saisons. Allez voir les fermiers qui pratiquent l’agro-écologie (l’agro-écologie désigne l’ensemble des techniques visant à pratiquer une agriculture plus respectueuse de l’environnement et des spécificités écologiques), qui ont paillé, ils auront droit à une production de contre-saison en juillet-août. C’est le cas notamment des mangues dont l’offre est actuellement abondante sur le marché.

Que pensez-vous de l’agriculture sous serre qu’on observe dans certains pays ?

C’est un investissement onéreux que je recommanderais pour des plantes à très haute valeur ajoutée comme les fleurs. Ici, il ne serait pas adapté à des cultures comme le maïs et les pommes de terre.

Les changements dans les régimes de température et de précipitations augmenteront la dépendance à l’égard de l’irrigation. Le Burundi est-il prêt à y faire face ?

L’irrigation localisée (apport d’eau sur une zone limitée du sol, à de faibles débits et à basses pressions) est une réponse à ce défi qui nous est posé, car elle est consommatrice de peu d’eau. Il ne faut pas perdre de vue qu’en cas de sécheresse, les ressources en eau diminuent.

A l’avenir, toutes les études montrent que les ressources en eau seront de plus en plus limitées et la meilleure façon d’y faire face sera de privilégier les cultures peu consommatrices d’eau, comme les haricots, le maïs, etc.

Quelle est votre appréciation quant à l’usage des semences sélectionnées sur lesquelles les pouvoirs publics mettent beaucoup l’accent ces derniers temps ?

Les semences sélectionnées ne représentent même pas 1% des semences qui sont utilisées annuellement. Les 99% représentent les semences que les fermiers ont eux-mêmes sélectionnées et qui, souvent, ont fait preuve de résilience face aux aléas climatiques.

Il faudrait plutôt à ces fermiers un apport en matières organiques. Un sol riche en matières organiques donne aux plantes tous les éléments dont elles ont besoin et dans des proportions équilibrées. Et cela leur donne aussi des matières premières pour développer leur humidité.

Les semences sélectionnées exigent, quant à elles, des conditions de température favorables dont nous ne disposons plus malheureusement et ainsi, résisteront moins aux aléas climatiques actuels. Au final, nous disposons déjà des semences adéquates et il reviendra juste à fertiliser les sols qui vont les porter.

Qu’est-ce qui peut être fait pour venir en aide aux agriculteurs et permettre ainsi une augmentation de la production qui réduirait l’inflation ?

Tout d’abord, nous devons nous attendre à une offre alimentaire très réduite pendant cette année agricole. C’est pourquoi l’urgence est que le gouvernement mobilise les partenaires techniques et financiers pour soutenir les revenus des ménages via des travaux à haute intensité de main d’œuvre sur tout le territoire. Prenons, par exemple, le cas du café.

C’est une culture qui favorise la résilience des communautés parce que pour une production de plus de 100.000 T de café cerise, c’est autour de 35 milliards BIF qui vont dans la main-d’œuvre. Si nous parvenons à doubler cette production en paillant toutes les caféières, on va injecter 70 milliards BIF pendant les mois de mars et avril qui sont connus comme des périodes de soudure (période entre deux récoltes, pendant laquelle la production agricole est nulle). Avec de tels montants, les populations ne vont pas ressentir la soudure.

Il devrait y avoir un plan pour fixer les besoins en vue de faciliter la protection des cultures pérennes contre les déficits cycliques. Déterminer les besoins de production dans les bas-fonds et surtout privilégier une production agricole diversifiée.

Propos recueillis par Alphonse Yikeze

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. ndimanya

    Oui je suis d’accord que les conséquences du changement climatique sur les chaînes trophiques sont difficiles à appréhender on ne fait que constater les faits. les entomologistes poursuivront leur travail. pour le paillage j’ai pas parler du paillage du café, il y lieu de se demander même pourquoi le conseil agricole privilégié le paillage du café seulement et pas d’autres. Ceci dit la culture du café comme celle des autres cultures pérennes joueront un rôle central dans la résilience au changement climatique. Le paillage sou compostage de surface fait même partie des trois techniques de compostage promus par le bulletin pédologique de l’ISABU de 1994 et je suis témoins des résultats surtout dans les plaines moins arrosées que les hauteurs même en altitude les effets sont loin d’être négligeables. La pratique mérite d’être renforcée par d’autres innovations naturellement dans la lutte intégrée contre les maladies et ravageurs surtout (elle y participe déjà)

  2. Patrick NZOYIHERA

    Merci,Notre Cher Professeur
    Je voulais mettre l’accent sur le paillage qu’il a souligné . C’est une très bonne technique qu’il nous a montré très efficace dans ses champs et même pour d’autres cultures qui ne résistent pas contre la sécheresse.Une fois adoptée ,on a observé un changement même pendant la saison sèche .Un autre point que je vais aborder est la pratique de la monoculture, C’est bien qu’elle donne une très bonne rentabilité pour les uns mais pas de la même pour les autres et beaucoup d’ailleurs sont dans le dernier groupe.Le grand défi reside de la surface cultivable insuffisante dans notre pays ,donc inutile de pratiquer cette technique importée des pays développé qui disposent suffisamment des surfaces.

  3. arsène

    J’aimerais réagir à l’adresse du professeur Ndimanya:

    À la question de savoir si l’invasion des insectes ravageurs qu’on observe actuellement dans certaines régions est aussi la conséquence des changements climatiques, il répond:

    Absolument. Quand les conditions climatiques sont défavorables et que le sol n’est pas bien fertilisé, les maladies des cultures s’amplifient.

    J’aimerais d’emblée lui faire remarquer qu’il a confondu ravageurs et maladies des cultures qui sont deux choses différentes. Il a par contre raisons, concernant le fait que si les plantes sont faibles, elles n’ont pas la force de se défendre contre les agents phytopathogènes et dont plus susceptibles de souffrir de maladies.

    Le développement et la propagation des ravageurs dépendent de plusieurs facteurs qui ne sont pas forcément tous liés aux changements climatiques. Il n’y a donc ni relation de causalité, ni celle de corrélation entre ce que nous observons au Burundi et le changement climatique qui lui-même est un terme assez vague. Le changement climatique ne signifie pas seulement l’élévation de la température et la baisse de la pluviométrie. Comme conséquence du changement climatique, il y a également la répartition des précipitations au cours d’une saison par exemple ou la fréquence des averses ou dans des cas extrêmes, des phénomènes comme les cyclones.

    Le développement et de la propagation des ravageurs dépendent également de la phénologie des principales plantes cultivées. Les ravageurs n’attaquent pas tous les mêmes cultures. Ceci signifie, par exemple, que ledit changement climatique entraîne la baisse de la production de la biomasse en général et des plantes qu’attaquent certains ravageurs en particulier. Il y a dans ce cas peu de nourriture pour les ravageurs. Les insectes qui se nourrissent de végétaux dépendent donc de la présence de plantes hôtes pour survivre.

    Il faut aussi savoir que les ravageurs eux-mêmes peuvent subir l’effet de ce changement climatique et dans certaines circonstances peuvent tout simplement être affaiblis notamment du fait que les insectes étant des organismes à sang froid, la température exerce un effet direct sur eux.

    On connaît certains des effets que les changements climatiques auront sur les populations de ravageurs, mais bien des aspects demeurent encore inconnus, ce qui rend plus difficile de prédire les effets de leur activité.
    Enfin, en milieu tropical, l’impact du changement climatique sur les populations de ravageurs et leurs ennemis naturels reste très complexe et particulièrement difficile à appréhender. Les entomologistes sont de cet avis.

    Globalement, l’article est informatif mais souffre d’approximations comme lorsque le professeur dit que le paillage va permettre de doubler et même de tripler la récolte du café. C’est irréaliste.

    En outre, des travaux de chercheurs de l’université du Burundi ont montré depuis les années 1990 que le paillage des caféières constitue un transfert de fertilité au profit d’une seule culture alors qu’en ce domaine, cette pratique est un jeu à somme nulle, c-à-d que ce qui est transféré à la caféière est retiré d’une autre culture qui en avait tout autant besoin, en particulier la bananeraie.
    Je revoie à l’article « La culture caféière au Burundi » de Hubert Cochet et Barnabé Ndarishikanye, accessible en suivant le lien:
    https://www.researchgate.net/profile/Hubert-Cochet-3/publication/261624181_La_Production_Cafeiere_au_Burundi_Agronomie_vulgarisation_et_rapports_sociaux/links/5ee7a0ad92851ce9e7e3e1ad/La-Production-Cafeiere-au-Burundi-Agronomie-vulgarisation-et-rapports-sociaux.pdf

  4. Barekebavuge

    Le barrage de la honte_Mpanda devait irriguer 100 000 ha.
    Cet argent est allé dans les poches de quelque bihangage.
    Kira mufuko uronke amahera.
    Hari imifuko ironka menshi😅😅😅.
    Ce barrage aurait nourri beaucoup de bouche.

  5. Kabizi

    Le scandale barrage de la honte ( Mpanda gate) donne toute son importance.
    Les 15 jours ntizirahera????😭😭😭😇😅

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