Lundi 14 juillet 2025

Politique

Nouveaux gouverneurs : des interrogations et des doutes

Nouveaux gouverneurs : des interrogations et des doutes
Les cinq nouveaux gouverneurs participant dans la retraite des élus organisée à Gitega par le parti CNDD-FDD

Depuis le vendredi 4 juillet 2025, les gouverneurs des cinq nouvelles provinces ont pris fonction. Leur mandat est scruté de près par la population qui espère des solutions face aux multiples défis. L’opposition et certains observateurs de la scène politique burundaise dénoncent le verrouillage de l’appareil de l’État à tous les échelons.

Le 3 juillet 2025, le chef de l’État a nommé par décret les cinq nouveaux gouverneurs de province. Il s’agit de Denise Ndaruhekere, gouverneure de la province de Buhumuza ; Aloys Ndayikengurukiye pour Bujumbura ; Parfait Mboninyibuka pour Burunga ; Victor Segasago, pour Butanyerera ainsi que Liboire Bigirimana pour Gitega.

Ces noms avaient été approuvés à l’unanimité lors d’une session extraordinaire du Sénat le même jour. Parmi ces cinq gouverneurs figure un seul Tutsi et une seule femme. Aucun membre de l’opposition n’y figure. Trois d’entre eux sont des membres du CNDD-FDD. Les deux autres sont des généraux de l’armée et de la police ayant combattu lors de la rébellion.

Les cinq nouveaux gouverneurs de provinces récemment créées dans le cadre du redécoupage administratif ont officiellement pris leurs fonctions le lendemain 4 juillet.

Des cérémonies de remise et remise ont été organisées concomitamment dans les cinq provinces. Lors de ces cérémonies, les nouveaux ont promis de travailler en synergie avec la population locale, les services déconcentrés et la société civile, dans un esprit de redevabilité et de paix.

Les citoyens attendent d’eux des réponses concrètes aux défis liés aux infrastructures, à l’accès aux services de base, à la lutte contre les inégalités et à la protection de l’environnement. La lutte contre la vie chère et le chômage préoccupent plus d’un.

Pour les observateurs, le parti au pouvoir consolide son emprise sur les nouvelles entités administratives. Ils dénoncent le verrouillage de l’appareil de l’État à tous les échelons.
Le Burundi a décidé le découpage administratif des provinces, des communes et des zones. La législation y relative a été officiellement promulguée le 16 mars 2023. Ainsi, le nombre de provinces est passé de dix-huit à cinq.


Qui sont ces nouveaux gouverneurs ?

Aloys Ndayikengurukiye, un profil sécuritaire à la tête d’un pôle stratégique

Général major Aloys Ndayikengurukiye, devient gouverneur de la province de Bujumbura composée des anciennes provinces de Bujumbura (Rural), Bujumbura mairie, Cibitoke et Bubanza. Général de l’armée et natif de Mubimbi dans l’ancienne province de Bujumbura (Rural), il fut secrétaire permanent au ministère en charge de la défense.

Jusqu’à sa nomination, il était Administrateur directeur général de la Sosumo (Société sucrière du Moso) depuis six ans. Ceux qui ont travaillé avec lui, lui attribuent la qualité d’administratif. Ils parlent d’une personnalité qui est toujours à l’écoute. Pour eux, sa rigueur, sa discrétion, son sens du dialogue et sa loyauté à l’État font de lui un profil apprécié, notamment dans des contextes de réforme.

Les autres parlent plutôt d’un homme qui n’inspire pas confiance. Ils indiquent que pendant ses six ans à la tête de la Sosumo, l’usine n’a cessé de s’effondrer. Les pénuries de sucre sont restées récurrentes et les prix ont explosé. Les consommateurs n’ont jamais eu de répit. « Celui qui n’a pas su redresser la Sosumo va-t-il développer la province de Bujumbura avec tant de défis ? », s’interrogent-ils.

La province de Bujumbura englobe désormais plusieurs communes périurbaines et rurales stratégiques. Ndayikengurukiye devra gérer des enjeux complexes et les attentes de la population sont nombreuses. Il s’agit des défis liés à l’urbanisation, aux conflits fonciers, à l’environnement (érosion, inondations), à l’accès aux services de base, à la gestion des routes, l’électrification rurale et l’accès à l’eau potable.

Pour les observateurs, c’est un mandat sous haute surveillance. Dans un contexte post-réforme, la réussite de Ndayikengurukiye pourrait servir de modèle. Il lui faudra conjuguer leadership, concertation et efficacité dans l’action publique.

Lors de la remise et reprise, il a partagé sa vision basée sur trois piliers essentiels : la consolidation de la paix et de la sécurité, condition sine qua none du développement durable ; la proximité avec les citoyens pour une gouvernance participative et l’écoute.
Il a appelé à la synergie et à la concertation avec les anciennes autorités pour assurer la continuité des projets déjà engagés.

Parfait Mboninyibuka, travailleur et discret

Parfait Mboninyibuka, gouverneur de Burunga, est originaire de la commune Mpinga-Kayove de l’ancienne province de Rutana. Militant du CNDD-FDD, il était jusque-là député de Rutana. Cette province est issue de la fusion des anciennes provinces de Bururi, Makamba, Rumonge et Rutana.

Licencié en sciences économiques de l’Université du Burundi, il fut directeur administratif et financier à l’Université Lumière de Bujumbura. Il est doté d’un profil discret mais respecté. Il est connu comme travailleur.

Parfait Mboninyibuka arrive à la tête de Burunga à un moment charnière. Son mandat est porteur d’espoirs pour une gouvernance de proximité, transparente et orientée vers le développement durable.

La province de Burunga est confrontée à plusieurs défis : la pression foncière, le manque d’infrastructures modernes, le problème d’emploi des jeunes et à la résilience climatique. Il devra donc concilier modernisation, équité et stabilité.

Pour d’autres, Parfait Mboninyibuka se trouve ainsi à la croisée des chemins entre les aspirations locales et les objectifs nationaux. Son mandat sera aussi scruté de près, tant par les habitants de Burunga que par les observateurs du développement au Burundi.

Denise Ndaruhekeye, une femme dynamique

Ancienne cheffe de cabinet à la province de Muyinga, elle devient gouverneure de Buhumuza qui regroupe Cankuzo, Muyinga et Ruyigi.

Issue du parti au pouvoir et présidente de la ligue des femmes de ce parti dans l’ancienne province de Muyinga, elle a été élue à l’unanimité par le Sénat.

Selon l’ancien gouverneur de Muyinga, Jean-Claude Barutwanayo, la dame qui vient d’être nommée gouverneure mérite la place qu’elle occupe. Il fait savoir qu’elle a travaillé avec lui pendant dix ans. « Quand j’ai été nommé gouverneur, elle est devenue ma cheffe de cabinet jusqu’à ce qu’elle devienne à son tour gouverneure. Donc, on a eu un temps suffisant pour nous connaître. »

Pour le gouverneur sortant, il s’agit d’une dame très formidable, dynamique, intelligente et courageuse. « Peut-être qu’il y a ceux qui pourraient s’étonner que je vienne de l’honorer ainsi parce qu’elle est devenue gouverneure, mais ce que je dis est une réalité. »

Pour d’autres, elle est travailleuse. C’est une dame qui travaille même pendant la nuit. Elle ne peut pas laisser un dossier inachevé. Si elle veut aller de l’avant pour l’intérêt de la province, elle devra se doter de bons conseillers. Ils sont conscients de la réussite de Denise Ndaruhekeye. « Nous avons de l’espoir que la province de Buhumuza va rayonner parmi les autres provinces du pays. »

Ceux qui la connaissent espèrent qu’elle fera mieux que ses prédécesseurs. Ils invitent tous les ressortissants de la province à la soutenir et à travailler avec elle pour faire avancer le développement de la province.

Victor Segasago, un homme qui ne supporte pas l’injustice

Le général de brigade Victor Segasago prend la tête de la nouvelle province de Butanyerera. Officier de police élevé au rang de général de brigade en 2024, il était gouverneur de la province de Kirundo avant sa nomination pour la province de Butanyerera. Son entourage parle d’un homme qui ne supporte pas l’injustice, d’un cadre toujours à l’écoute de tout le monde.

Ancien de l’Ecole nationale d’administration, ENA, il hérite désormais de l’administration d’une vaste entité englobant les anciennes provinces de Ngozi, Kayanza et Kirundo.

Liboire Bigirimana, travailleur et intolérant face aux opposants

Originaire de l’ancienne province de Mwaro, Liboire Bigirimana était jusque-là responsable du programme national des cantines scolaires et porte-parole du ministère de l’Éducation.

Il connaît bien ce ministère dans lequel il a gravi les échelons au fil des années. Il a tour à tour été enseignant, directeur provincial de l’Éducation à Mwaro, chef de cabinet, puis secrétaire permanent auprès du ministère.

Ses anciens collaborateurs parlent d’un homme travailleur et intelligent dont le savoir-faire va profiter à la province de Gitega.

Grand utilisateur des réseaux sociaux, il est très visible surtout sur le réseau X où ses interventions ne cachent pas son penchant pour le parti au pouvoir. Certains le prennent pour le porte-parole de la Première dame.

Il est considéré comme arrogant. A travers certaines de ses interventions sur les réseaux sociaux, il ne tolère pas les opposants du parti au pouvoir et parfois avec des insultes.


Réactions

Kefa Nibizi : « Nous sommes finalement sous une dictature d’un seul parti politique. »

Le secrétaire général et porte-parole de la Coalition « Burundi Bwa Bose » trouve que certains nouveaux gouverneurs sont rodés dans l’administration provinciale. Pour Kefa Nibizi, le profil des nouveaux dirigeants ne devrait pas poser beaucoup de questions parce que ce ne sont pas des novices dans l’administration publique. « Même si on voit des gouverneurs généraux de la police et de l’armée, cela aussi ne devrait pas poser de questions. Peut-être c’est relatif aux différentes tensions politico-sécuritaires qui existent entre le Burundi et certains de pays ses voisins. »

Toutefois, le poste de gouverneur est un poste politique, donc ça doit se partager politiquement. « Dans la pratique réelle, l’équilibre politique entre les différentes forces politiques dépend de l’équilibre qui est observé au niveau de l’Assemblée nationale. Du moment que le Sénat qui doit approuver ces gouverneurs est composé exclusivement d’un seul parti politique, ça devient une suite logique malheureuse que même les autorités qui sont approuvées par cette institution proviennent d’un même parti politique. »

Il nuance toutefois. « Si même il advenait que le pouvoir en place pense à insérer un opposant ou quelqu’un d’un autre parti politique, ça n’a pas de grande importance parce qu’il doit exécuter les orientations et la vision du parti au pouvoir. Il n’y a pas de débat contradictoire en ce qui est de l’orientation gouvernementale ou des affaires publiques car, il n’y a pas d’équilibre au niveau du Parlement. »

Ce qui est patent, c’est que ce déséquilibre ou ce monopole, que ce soit le Sénat de 2020 ou celui qui sera mis en place en 2025, n’émane pas de la réelle volonté de la population. « Il émane de beaucoup de pratiques d’exclusion, d’intimidation et d’un hold-up électoral. Ça veut dire que ce n’est pas en réalité une démocratie en tant que telle. C’est un forcing qui met en place des institutions monopartites et qui dicte la façon dont les institutions transcendantes sont mises en place, ce qui fait que nous sommes finalement sous une dictature d’un seul parti politique. »

Kefa Nibizi parle d’un monopartisme de fait. « Même à l’époque du Parlement de 2020, c’est vrai qu’au niveau de l’Assemblée nationale il y avait des forces d’opposition, mais qui n’avaient pas la majorité de blocage. Il y avait une minorité qui ne pouvait pas influencer la prise de décisions. Le CNDD-FDD pouvait faire passer ses décisions comme une lettre à la poste. Ça veut dire que ce n’était pas une opposition d’équilibre, mais elle pouvait peut-être donner une certaine proposition. »

M. Nibizi trouve que depuis un certain temps, on est déjà sous l’emprise d’un seul parti politique qui est le CNDD-FDD. « Si cette majorité écrasante était l’émanation de la réelle volonté de la population, cela ne constituerait pas de problème en soi. Mais, à partir de ce processus pseudo-démocratique, la population perd de temps en temps son pouvoir de renouveler les institutions telles qu’elle le veut. »

Et de poursuivre : « On se dirige vers le totalitarisme, vers la dictature. Les tenants du pouvoir ne sentiront plus le besoin de travailler pour le bien-être de la population parce qu’ils se disent qu’ils vont se maintenir au pouvoir par les mêmes pratiques d’intimidation, d’exclusion et de hold-up électoral. »

D’après toujours Nibizi, cela peut conduire à la violation massive des droits de l’Homme afin d’essayer de mater toute voix dissidente. « Ce qui peut conduire également à des cas de détournements et de corruption excessifs parce que les tenants du pouvoir cherchent à s’enrichir à tout prix. Cela va renforcer de prime abord la misère de la population car, les grands projets de développement ne pourront plus être exécutés. »

De plus, cela pourra conduire à l’isolement du Burundi parce que la plupart des partenaires techniques et financiers exigent certaines pratiques de transparence et de démocratie. « Quand elles ne sont plus observées, les appuis financiers sont stoppés et c’est la pauvreté qui va s’accentuer. »

Olivier Nkurunziza : « Au lieu de créer d’autres divisions inutiles, il faut toujours penser en père de la Nation. »

S’exprimant sur le profil des nouveaux gouverneurs, le président du parti Uprona indique qu’il connaît par exemple la gouverneure de la province de Buhumuza. « On a été ensemble à l’école secondaire et même à l’Université du Burundi. Elle est originaire de la commune Butihinda comme moi. C’est une femme intègre, posée et intelligente. » Olivier Nkurunziza pense que Denise Ndaruhekeye sera à la hauteur de ses fonctions parce qu’elle venait de passer plus de 11 ans dans le cabinet du gouverneur de Muyinga. « Cela sera possible si le parti au pouvoir lui laisse les mains libres pour travailler. »

Pour le gouverneur de Butanyerera, le président de l’Uprona trouve que c’est un homme qui est apparemment discret mais efficace. « Lorsqu’il y a eu des confrontations entre les partis politiques, il intervenait très rapidement. Même le jour des élections, lorsqu’il y a eu des Badasigana qui ont été persécutés, il est intervenu très rapidement. Avant sa nomination comme gouverneur de Kirundo, il y avait des troubles, mais il a pu stabiliser la province ».

Concernant le gouverneur de la province de Bujumbura, Olivier Nkurunziza indique qu’il sait qu’il était administrateur directeur général de la Sosumo. « Une société qui n’a pas effectivement été à la hauteur car le sucre manque. Il y a eu également beaucoup de malversations, mais je ne sais pas si ça dépendait de lui. En tout cas, la Sosumo n’a pas eu une meilleure image. Ce que nous lui souhaitons, c’est d’améliorer cette image. » Pour les deux autres gouverneurs, il reconnaît qu’il ne sait pas grand-chose.

Selon le président de l’Uprona, ce que la population attend des gouverneurs, ce de développer le pays, unir les Burundais, travailler pour tous les Burundais et non pour le parti au pouvoir. « Le problème est qu’aujourd’hui on trouve qu’une personne qui est intègre ne le reste pas parce que le parti au pouvoir ou ses subalternes lui donnent des injections. Il faut laisser le gouverneur être au-dessus de tout, être le père de tous les partis politiques dans sa province. »

Le président du parti de Rwagasore trouve rien d’étonnant que ces gouverneurs soient tous du CNDD-FDD. « Même dans les 18 provinces, on avait qu’un seul gouverneur uproniste. Ce qui m’étonne, c’est que dans ses discours, le président de la République disait qu’en tant que père de la nation, il allait donner des postes à tout le monde. Pour moi, ça serait mieux de voir qu’il y a un gouverneur peut-être du Frodebu, du Codebu, du CNL, pour ne pas dire de l’Uprona. Cela allait quand-même donner confiance aux Burundais que ce que dit le chef de l’Etat coïncide effectivement avec ses actions. »

Quid de la composition du prochain gouvernement ? « Ça sera la même chose. On n’a pas d’espoir. » Dans le temps, poursuit-il, il y avait des divisions claniques, régionales et ethniques. Mais, aujourd’hui, il s’ajoute des divisions liées aux partis politiques. « Ce qui ne tranquillise pas. Il n’est pas trop tard. On peut toujours rectifier le tir. »

D’après Olivier Nkurunziza, on se dirige vers un règne sans partage du CNDD-FDD. « C’est son souhait. Un jour, cette attitude va radicaliser les Burundais. Cela ne nous amène nulle part. Même à l’interne du CNDD-FDD, ils ne sont pas tous satisfaits. Pourquoi alors continuer dans ce sens ? Au lieu de créer d’autres divisions inutiles, il faut toujours penser en père de la Nation, penser à d’autres Burundais intelligents qui ont de l’expérience au lieu de toujours penser à se maintenir au pouvoir. »

Jean de Dieu Mutabazi : « La stabilité du Burundi occupe une place primordiale dans le leadership du CNDD-FDD. »

« En observant leurs profils, je remarque que ce sont des personnalités choisies à la loupe et qui semblent déjà rodées dans l’administration. Ils disposent déjà d’un bagage solide qui peut permettre aux futurs administrateurs et autres cadres sous leur responsabilité de se sentir confiants. »
D’après le président du parti Radebu, le choix des généraux pour Bujumbura et Butanyerera, provinces frontalières avec la RDC et le Rwanda ne peut étonner personne compte tenu de l’environnement politico-sécuritaire et diplomatique qui prévaut entre le Burundi et ces deux pays voisins qui impose au Burundi d’être extrêmement vigilant. « Nous devons être disposés tous à les appuyer et à bien collaborer avec eux pour réussir ensemble le pari du développement économique à l’horizon 2040 et 2060. Nous attendons d’eux d’être de vrais meneurs, de vrais leaders de leurs provinces respectives car, les défis qui les attendent sont de taille. »

Pour Jean de Dieu Mutabazi, il est encore très tôt pour affirmer que le Burundi se dirige vers un règne exclusivement CNDD-FDD si « nous considérons les propos du chef de l’Etat qui a tranquillisé les autres partis politiques qu’ils ne seront pas démis de leurs postes pour des raisons politiques, et qu’il n’hésitera pas de nommer des cadres non membres du parti au pouvoir s’ils sont compétents. »

Toutefois, il faudra garder à l’esprit que depuis 2005, c’est le projet de société et les programmes du parti CNDD-FDD que le peuple burundais place en avant. « Ceci signifie que si tu es du Radebu, de Burundi Bwa Bose, du CNL ou de l’Uprona et que tu acceptes une nomination à l’exécutif, tu vas suivre et appliquer la politique du CNDD-FDD. Et c’est ce que nous faisons habituellement. » Au lieu de parler de mainmise du parti CNDD-FDD sur le pays, « parlons plutôt du leadership politique du parti CNDD-FDD sur le pays ».

M. Mutabazi trouve qu’en « considérant que c’est un ancien mouvement rebelle armé, qui tire son existence de l’insécurité ou de la guerre consécutive à l’assassinat du héros de la démocratie, il est compréhensible que la paix, la sécurité, la cohésion sociale et l’unité nationale soient parmi les premières priorités de son programme. »

Gaspard Kobako : « Faire marche arrière après 30 ans est une illusion. »

Le président du parti AND-Intadohoka invite les nouveaux gouverneurs à éviter la mauvaise collaboration qui a caractérisé leurs prédécesseurs.
« L’opposition politique a été écartée et même éclatée par le parti au pouvoir, avant de croire à la suppression des partis politiques tout court. C’est une tentative d’un règne sans partage qui risque d’avoir lieu selon les désidératas de certains ténors qui se croient dans les organisations de la société civile, si pas dans les bonnes grâces, alors qu’ils se sont montrés plus militants, comme dans la réunion de Gitega du 25 juin 2025 destinée à l’évaluation à mi-parcours des élections. »

Selon Kobako, si le chef de l’Etat ne joint pas la parole à l’acte, ce sera une énième promesse non tenue ou non respectée. « Le coup sera tiré et il ne restera qu’à le consommer. C’est aussi le souhait du parti au pouvoir dont le secrétaire général déclara en ce jour du 25 juin 2025 comme quoi il n’y a pas autant d’idéologies que de partis politiques. Dans tous les cas, si des partis ont été agréés, c’est parce qu’ils avaient des projets de société et des programmes. »

Et de rappeler qu’« en rêvant d’un parti unique et en jugulant le multipartisme comme ce fut en 1966, les conséquences de cette tentative de règne sans partage peuvent être écœurantes qu’incommensurables. Espérons que cette mésaventure ne se produira pas ! »

M. Kobako déplore un manque de relecture de l’histoire par la négation de la démocratie. « C’est le peuple qui se choisit ses représentants en passant par les urnes et non par les armes. Faire marche arrière après 30 ans est une illusion. C’est inacceptable, car ce ne sont pas les partis politiques qui ont conduit au marasme socio-économique que le Burundi vit. »

Il estime que le règne sans partage et sans compétition va enfoncer le Burundi dans des blocages bilatéraux et multilatéraux et par conséquent l’absence de financements de la part des bailleurs de fonds traditionnels. « Faire de l’euthanasie des partis politiques risquerait de porter un coup de semonce au parti au pouvoir au moment où il s’y attend le moins. Le conflit risquerait d’éclater du dedans, car les témoins oculaires et auriculaires qui témoignent sur ce qu’ils ont vécu et connaissent risqueraient d’être comme un pavé dans une mare. »

Hamza Venant Burikukiye : « Rien ne pourra plus faire reculer cet élan démocratique si ce n’est que vouloir se suicider. »

« Toutes ces personnalités sont déjà connues pour leur intégrité morale et humaine. Elles sont éprises de patriotisme poussé incarnant le professionnalisme. » D’après le représentant légal de l’Association Capes+, ceux qui parlent de la mainmise du CNDD-FDD sur le pays sont les nostalgiques du partage du gâteau. « C’est absurde et dépassé. Les temps sont révolus pour les illusionnistes et nostalgiques du pouvoir. »

Selon lui, le Burundi est maintenant dans le courant démocratique où le pouvoir émane de la seule volonté du peuple. « Au regard de cette maturité politique et démocratique des Burundais, rien ne pourra plus faire reculer cet élan si ce n’est que vouloir se suicider. »

Pour Burikukiye, le CNDD-FDD a gagné la confiance du peuple grâce au projet de société qu’il lui a présenté. « Qui d’autres pourraient exécuter et concrétiser les promesses faites aux Burundais que ceux qui incarnent cette politique ? »

Ils exhortent les Burundais d’être confiants, car ceux qui sont nommés ont été choisis, comme le chef de l’Etat l’a promis, sur mérite et non sur base de leur appartenance politique. « Qu’on leur laisse la chance de servir le peuple. On les jugera sur leurs actes et non sur des préjugés de distraction et de découragement. »

Faustin Ndikumana : « Le risque est de voir réapparaître une exclusion à double casquette, à savoir ethnique et politique. »

« Nul n’ignore combien le conflit ethnique a été la base des crises qui ont endeuillé le Burundi depuis la période post-indépendance. Cela a ruiné le pays au niveau économique. Ça a ankylosé le pays dans sa progression vers le développement socio-économique. »

Selon le directeur national de Parcem, l’Accord d’Arusha avait jeté les bases de solutions pour enterrer définitivement ces conflits ethniques. « L’Accord d’Arusha avait identifié l’exclusion comme la base et la cause principales de ces conflits ethniques qui avaient endeuillé le pays. Il avait consacré le partage du pouvoir entre les Hutu et les Tutsi. 50-50 pour l’armée, 40-60 dans le gouvernement et 30-60 pour l’administration. »

Selon lui, l’Accord d’Arusha avait aussi fixé une minorité de blocage au Parlement pour que les minorités puissent avoir accès à un blocage des lois. « Mais, depuis l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD, on a vu une volonté manifeste d’enterrer progressivement l’Accord d’Arusha comme base réelle du fondement de la nation burundaise par rapport aux principes de réconciliation. »

M. Ndikumana estime que la minorité de blocage a été directement enlevée avec le référendum organisé en 2018 et la nouvelle Constitution. Le droit d’un parti politique à participer au gouvernement proportionnellement aux résultats des urnes a été aussi enlevé. « Cela alors prouve que le principe de partage du pouvoir va toujours decrescendo dans les principes qui guident le fonctionnement des rouages de l’Etat actuel. Le président de la République, à travers son discours, a même laissé entendre que le principe 40-60 risque aussi de sauter. »

Et d’ajouter : « Or, la Constitution de 2018 consacre largement le régime présidentiel. Nous ne sommes plus dans un régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire, ou bien dans un régime parlementaire. C’est un régime présidentiel où la constitution de 2018 a fortement renforcé le pouvoir de l’exécutif à travers le pouvoir du président de la République. Avec les derniers résultats des élections, le régime étant présidentiel, on tend à enterrer progressivement les principes de partage du pouvoir. »

Actuellement, le risque est de voir réapparaître une exclusion à double casquette, à savoir ethnique et politique. « Cela risque de faire reculer le pays pour plusieurs années. Le pays va se retrouver dans les années 70-80 où le monopartisme, l’exclusion politique et l’exclusion ethnique avaient pignon sur rue. »

M. Ndikumana trouve que le monopartisme est en train d’avoir droit de cité. « L’exclusion politique est là. Le risque est de voir l’exclusion ethnique consacrée parce qu’on l’entend souvent dans des discours officiels. »

Emery Pacifique Igiraneza : « Le CNDD-FDD ne se contente plus de dominer les institutions, il les verrouille entièrement. »

Pour le président de MAP-Burundi Buhire, la nomination de ces cinq gouverneurs par le Sénat confirme une tendance lourde : « la consolidation autoritaire et militaire du CNDD-FDD. Au-delà des profils individuels, tous les nommés partagent une caractéristique essentielle à savoir leur allégeance au parti au pouvoir. Cette homogénéité politique exclut toute diversité d’opinion ou de vision, pourtant essentielle à une gouvernance inclusive. »

De plus, la très faible représentation des femmes (1 sur 5) et des Tutsis (1 sur 5) démontre une volonté délibérée de marginalisation de groupes entiers de la population en contradiction avec les principes d’unité nationale et d’équité contenus dans l’Accord d’Arusha. « L’on notera deux généraux nommés sur 5. Il est clair que cette confirmation des 5 gouverneurs est une preuve de plus que le CNDD-FDD est un parti- Etat et que le Burundi est géré par des militaires. » Il illustre cela par les exemples : le président de la République, la Première dame, certains chefs de cabinet, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le secrétaire général du CNDD-FDD, les deux gouverneurs des provinces, etc.

D’après Igiraneza, le CNDD-FDD ne se contente plus de dominer les institutions. « Il les verrouille entièrement, réduisant toute opposition à un rôle décoratif ou illégal. Les élections où le parti annonce plus de 99% des voix, et se retrouve seul dans l’Assemblée nationale, au Sénat et dans l’administration territoriale, sont le reflet d’une démocratie vidée de son sens. »

M. Igiraneza trouve que cette exclusion systématique des autres forces politiques crée non seulement un climat de peur et de résignation mais aussi de colère souterraine qui, tôt ou tard, finira par s’exprimer. « L’histoire contemporaine nous offre des précédents. » Il donne l’exemple du régime de Ben Ali en Tunisie et du Burkina Faso de Blaise Compaoré. « C’est un programme du CNDD-FDD de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, qu’il a mis en place progressivement avec le soutien de certains partis politiques aujourd’hui éjectés après avoir accompagné ce choix d’exclusion des autres forces politiques. »

Quid des conséquences ? D’après M. Igiraneza les conséquences sont multiples et graves. « L’affaiblissement de l’Etat de droit où l’absence d’opposition rend les institutions redevables uniquement au parti et non au peuple. Cela favorise la corruption, l’impunité et la mauvaise gouvernance. L’exclusion sociale et la frustration généralisée. Les jeunes, les intellectuels, les femmes, les minorités ethniques se sentent exclus du projet national. Cette marginalisation crée un climat de méfiance, voire de haine. »

Les autres conséquences sont l’appauvrissement du débat public et des politiques publiques. « Sans contradiction ni débat démocratique, les politiques publiques deviennent monotones, inadaptées et souvent inefficaces. Le pays s’isole et freine son développement. »

Il appelle à une réouverture de l’espace politique, au respect de la pluralité, et à un dialogue sincère entre toutes les forces vives de la nation.

Térence Manirambona : « Le monopartisme de fait qui s’installe au Burundi ne va que réveiller les vieux démons. »

« Pour des postes politiques, le Président propose qui il veut parce qu’il n’y a pas de concours ou d’appel à candidatures ! Seulement, on peut toujours se demander pourquoi le chef de l’Etat confie souvent des responsabilités politiques aux militaires ou aux policiers. Serait-il une façon de militariser l’administration ? », s’interroge Térence Manirambona, porte-parole du parti CNL.

Selon lui, le président Evariste Ndayishimiye construit, depuis le début de son septennat, un pouvoir monopartisan où presque tous les postes de responsabilité sont confiés aux membres du parti au pouvoir. « Sous un régime où l’opposition n’a pas de place, seuls les sous-marins du régime peuvent se voir attribuer des postes de responsabilité qui, des fois même, ne correspondent pas à leur profil académique. »

Térence Manirambona trouve que le pays fait une marche en arrière en matière de démocratie pour un pays qui a connu des crises sociopolitiques allant même à conclure des contrats sociaux comme les Accords d’Arusha et une Constitution et une démocratie de consensus. « Cela risque d’engendrer des conséquences néfastes sur le plan politique, social et économique. Le monopartisme de fait qui s’installe au Burundi ne va que réveiller les vieux démons et raviver les antagonismes naguère enterrés. »

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