Samedi 27 avril 2024

Société

Les larmes des retraités

Les larmes des retraités
Des fonctionnaires de l’Etat lors d’un défilé du 1er mai

Difficulté de remboursement des crédits contractés, de se faire soigner, de payer la scolarisation de leurs enfants, … autant des défis auxquels sont confrontés les fonctionnaires récemment envoyés en retraite. Ils doivent attendre le mois de septembre pour recevoir les lettres de mise en retraite. La mise à jour de leur carrière n’est pas encore là. Les syndicats crient à un mauvais traitement de ses fonctionnaires. Ils demandent la révision de cette décision.

Par Félix Haburiyakira & Rénovat Ndabashinze

« Que voulez-vous que je vous dise ? On est abattu tout simplement. L’Etat vient de nous démontrer que nous n’avons aucune valeur, que nous sommes comme des domestiques qu’on peut chasser comme on veut. C’est triste et grave », réagit Simon, un fonctionnaire du secteur éducatif qui vient d’être mis en retraite. Il est âgé de 60 ans. « Je viens de servir le pays plus de 40 ans. Et voilà, on me renvoie comme un domestique, sans avertissement ni paiement de la pension », se lamente-t-il.

Aujourd’hui, ce père de cinq enfants se demande comment il va rembourser les crédits qu’il avait contractés croyant que son âge de retraite est 65 ans.  « Quand j’ai entendu cette décision, je pensais que c’est un rêve. Car, c’est normalement inimaginable. Qui va payer mes dettes à la banque ? »

Se référant à son salaire, il avoue qu’il va désormais percevoir moins de 150 mille BIF par mois. « Déjà, même la totalité du salaire ne suffisait pas pour subvenir aux besoins familiaux. Je devrais chercher d’autres sources de revenus complémentaires. Et cette fois-ci, que vais-je faire ? », s’interroge-t-il, d’une voix tremblotante.  Il n’espère pas pouvoir tenir beaucoup d’années : « Tout simplement, il faut se préparer à la mort. »

Gaspard Kobako : « La vie va être compliquée »

Gaspard Kobako est lui aussi concerné.  « Nous sommes autour de 6 mille qui sont renvoyés, je dis bien ‘’renvoyés’’ et je n’ajoute pas autre chose. Renvoyés dans une retraite un peu particulière. Je n’ai pas accueilli la mesure de manière favorable.  C’est que c’est une décision politique, illégale. »  Il avoue que la vie va être compliquée. « Nous avons contracté des crédits.  Moi, j’en ai deux personnellement. Un crédit pour construire ma maison. Et je n’avais pas encore terminé de rembourser. Donc, ce n’est pas encore chez moi », confie-t-il. Et de signaler que quand il a pris cet engagement, il s’est référé à 65 ans.  Il lui restait trois ans.  Il craint qu’en cas d’incapacité de remboursement, la banque puisse venir prendre la maison.

La liste des défis est longue. « Moi j’ai deux enfants à l’université. Comment est-ce que je vais payer les frais académiques ? J’ai un enfant au secondaire. Et selon mes calculs, je devais partir à la retraite pendant que la benjamine devait entrer à l’université. Je vais payer ses études comment ? Comment allons-nous nous faire soigner ? »

Cet ancien ministre des travaux publics, puis de la Fonction publique (2003-2005) souligne que la plupart des retraités sont fragiles et prennent des médicaments régulièrement.

B.N. s’est retrouvé sur la liste des retraités sortie par le ministère de la Fonction publique. Il atteindra l’âge de la retraite obligatoire au mois de novembre.   Il n’a pas été averti à l’avance comme le prévoit la loi : « Je suis ébahi. Personne n’a été notifié. Nous partons manu militari. »

Joindre les deux bouts du mois devient très difficile selon lui. Car, explique-t-il, la mise à la retraite signifie l’arrêt du salaire. « Or, personne n’a à sa disposition la lettre de mise à la retraite. Un document indispensable qui doit figurer dans le dossier à présenter à l’ONPR. » Cet enseignant trouve aberrant le communiqué du ministère de la Fonction publique qui les invite à récupérer les documents en rapport avec la mise en retraite au mois de septembre. « Ma seule source de revenus était mon salaire. En attendant ma pension de retraite, comment vais-je survivre ? Quid de la scolarisation de mes enfants ? »

Il fonde également ses inquiétudes sur la lenteur et la lourdeur administratives qui s’observent dans les institutions de sécurité sociale : « S’il advient qu’on obtienne ses documents, à quand allons-nous percevoir notre pension de retraite vu le nombre de dossiers qui seront traités ? »

Audace Ndikuryayo : « Les lettres de mise en retraite sont déjà disponibles »

Interrogé sur ce dossier, ce jeudi 13 juillet 2023, lors de l’émission publique des porte-paroles des institutions, à Muramvya, Audace Ndikurayo, assistant et porte-parole du ministre de la Fonction publique, du Travail et de l’emploi est évasif : « Tout fonctionnaire de l’Etat connaît son âge. Même sans être averti, il sait très bien qu’à l’âge de 60 ans, il doit partir à la retraite conformément au Code du travail et au statut général des fonctionnaires. »

S’exprimant sur le rendez-vous du mois de septembre pour recevoir les lettres de mise en retraite, il affirme que ces dernières sont déjà disponibles. Avant de se contredire : « Nous sommes débordés. »  En ce qui est du remboursement des crédits, M.Ndikuryayo s’en lave les mains : « Pour avoir un crédit, il y a un contrat entre la banque ou la microfinance et le client.   Il y a des hypothèques, des assurances. Le remboursement concerne les deux parties contractuelles. »

Un avertissement de 24h au lieu d’une année

Déo Rusengwamihigo : « Ils pourront venir les récupérer à partir du mois de septembre. Avant cette période, aucune doléance y relative ne sera reçue »

29 juin 2023, une correspondance du ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida crée le trouble.  Son objet : départ de la retraite pour limite d’âge.  Adressée à tous les cadres dudit ministère, elle leur demande d’informer leur personnel ayant atteint 60 ans et plus que leur est fixé au 30 juin 2023.  Une semaine, via un communiqué, le ministère de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi informe tous les nouveaux retraités que leurs décisions de mise à la retraite et celles de mise à jour de leur carrière sont en cours de préparation. « Ils pourront venir les récupérer à partir du mois de septembre. Avant cette période, aucune doléance y relative ne sera reçue », annonce Déo Rusengwamihigo, ministre de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi.

Bien avant ces deux ministères, le Premier ministre avait recommandé, le 9 juin 2023, au ministère de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi de procéder à la réaffectation du personnel pléthorique et d’accorder la retraite au personnel ayant atteint l’âge statutaire de retraite à l’exception du personnel dont les compétences ne sont pas disponibles.

Signé par Datus Nyandwi, directeur de cabinet du Premier ministre, cette correspondance donne l’ordre de n’accorder aucune prolongation de carrière, quel qu’en soit le motif. « Il m’a été instruit de vous demander d’annuler toutes les décisions qui auraient déjà été prises en accordant des prolongations de carrière ayant intervenu après la réunion des ministres du 22 juillet 2022. »


Réactions

« Un licenciement abusif »

Pour Célestin Nsavyimana, président de la Confédération des syndicats du Burundi (COSYBU), cette décision a été subite et n’a pas suivi les procédures, ni respecté les textes de loi en vigueur.  « Pour le cas d’espèce, les fonctionnaires du secteur de la santé et ceux du secteur de l’enseignement ont été mis en retraite d’une façon flagrante. Nous considérons cela comme un licenciement abusif. » Il ne comprend pas comment on peut adresser une correspondance le 29 juin pour dire aux fonctionnaires de partir en retraite le 30 juin : « Cela n’existe nulle part au monde. »

Il rappelle que les syndicats du secteur éducatif et sanitaire et le gouvernement ont conclu en 2008 des accords matérialisés par des Conventions collectives sectorielles.  « Dans le prescrit de ces Conventions, l’âge de départ à la retraite a été fixé à 65 ans. Ces Conventions ont été analysées au Conseil des ministres et adoptées par Parlement. Donc, elles ont force de loi. »

M.Nsabimana pense que la lettre du Premier ministre s’appuie sur le nouveau statut général des fonctionnaires. Or, commente-t-il, certains articles violent ces Conventions collectives sectorielles.  Et de rappeler qu’avant de partir à la retraite, tout travailleur doit être préalablement averti. « Pour ceux qui sont régis par le Code du travail, il faut que tout travailleur soit averti au moins une année avant. » 

Il demande un dialogue social entre le gouvernement du Burundi et les syndicats pour que les fonctionnaires soient rétablis dans leurs droits.

« Cela va impacter négativement leur vie »

Pour Emmanuel Mashandari, le vice-président de la COSSESSONA se dit très inquiet. « Cela aura des implications sur les engagements que le fonctionnaire avait pris auprès des institutions financières et bancaires. Maintenant que l’on vient d’écourter la période, l’on se demande s’il restait 2 ou 3 ans qui va prendre en charge ce manque à gagner ? Qui va rembourser ? »

Il fustige le communiqué du ministère de la Fonction publique qui signale que les lettres de mise en retraite vont sortir au mois de septembre alors que les salaires ont été désactivés à partir du mois de juillet. « Qu’est ce qui est prévu dans l’entre-temps ? »

Pour lui, il y a toute une procédure à suivre pour envoyer les gens en retraite. « Les documents à présenter à l’Office national des pensions et retraites (ONPR), comme la lettre de mise à la retraite, ne sont pas encore disponibles. Même au niveau des engagements, est-ce que le fonctionnaire ne sera pas frappé par des intérêts de retard ? »

Ce syndicaliste recommande qu’il y ait une période d’attente afin que le gouvernement puisse tenir compte des inquiétudes des uns et des autres : « Que l’on attende l’arrêt du salaire du fonctionnaire et qu’on prépare très rapidement les textes d’application de la loi portant pension pour les retraités ».

« C’est horrible »

Pour Mélance Hakizimana, président du Syndicat national du personnel paramédical et aide-soignant (SYNAPA), les conséquences de cette décision sont désastreuses. « D’abord, il y a des conséquences d’ordre psychologiques. Il y a un manque de considération pour ce personnel qui se voit renvoyé de façon brutale. Tout le temps qu’ils ont passé, en servant la population, est réduit à néant. »

Pour lui, c’est horrible sur le plan psychologique. Sur le plan économique, il signale qu’aujourd’hui les gens ne vivent pas de leurs salaires, mais des crédits bancaires ou auprès des amis. Et ce, en se référant à l’âge de la retraite. « Qui va rembourser ? »

Au niveau des services, on se pose la question. Hakizimana précise qu’au niveau de ministère de la Santé, les concernés sont plus de 600. « Est-ce qu’on a préparé les gens qui vont les remplacer dans les différents postes pour que finalement, il ne reste pas de vide ? Je pense non. »

D’après lui, il y a déjà des formations sanitaires qui sont en train de se plaindre parce que maintenant ils n’ont plus de personnels : « Presque tout le monde est parti à la retraite. »

Selon lui, c’est une décision antisociale qui n’avantage personne, ni au gouvernement, ni aux malades, ni aux prestataires. Car, justifie-t-il, les patients doivent avoir des soins continuels : « S’il y a absence des prestataires, qu’est-ce qui va se passer ? »

Le président du SYNAPA demande au gouvernement de revoir cette décision.

 

Que dit la loi ?
 De la retraiteArticle 164. Le contrat de travail prend fin de plein droit lorsque le travailleur atteint l’âge obligatoire de cessation de service fixé à 60 ans.Une ordonnance conjointe des ministres, ayant respectivement le travail et la sécurité sociale dans leurs attributions, détermine, après avis du comité national du travail, les dérogations qui peuvent être admises pour certains secteurs d’activités.

Article 165. L’employeur est tenu de notifier au travailleur, une année avant l’âge obligatoire de cessation de service, la date d’arrêt de ses activités.

L’arrêt des activités intervient le lendemain de l’expiration de la date du délai de notification dont question à l’alinéa précédent.

Article 166. Les avantages éventuels liés à l’âge obligatoire de cessation de service comme l’indemnité de fidélité ou de fin de carrière sont fixés par conventions collectives ou par règlements d’entreprises.

L’indemnité de mise ou de départ à la retraite ne se cumule pas avec l’indemnité de licenciement.

Source : Loi N°1/11 du 24 novembre 2020 portant révision du décret-loi N°/1/037 du 7 juillet 1993 portant révision du Code du travail du Burundi

Article 105.  La retraite est la fin de la carrière d’un fonctionnaire rendue obligatoire par la limite d’âge.
Tout fonctionnaire qui atteint l’âge de soixante (60) ans est admis à la retraite. Sur demande motivée du ministre employeur, une prolongation de carrière de cinq (5) ans peut être accordée selon le besoin de l’Etat.La décision de mise à la retraite est prise par le ministre ayant la Fonction publique dans ses attributions, sur proposition du ministre dont relève le fonctionnaire.La décision de mise à la retraite intervient le premier jour qui suit celui au cours duquel l’intéressé atteint l’âge de soixante (60) ans. Lorsque seule de naissance est connue, la date de prise en considération pour l’admission à la retraite est le 30 juin de l’année durant laquelle le fonctionnaire atteint l’âge de soixante (60) ans.Le fonctionnaire admis à la retraite quitte définitivement la fonction publique. Il a droit à une pension de retraite calculée selon les modalités déterminées par l’organisme de sécurité sociale auquel il est affilié.

Un décret détermine les modalités de gestion de prolongation de sa carrière, la mise en retraite pour les professions et compétences rares.

Source : Loi N°1/3 du 8 février 2023 portant modification de la loi N°1/28 du 23 août 2006 portant statut général des fonctionnaires

Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. Kugira abo batama batunganirizwe bitagoranye ubushikiranganji bwo gufatana munda n’ibwabakozi ba Retz nibahanahane amadosiers y’abo batama batunganirizwe batabanje gutama.
    Gurtyo muri septembre boca baronka ako gapansiyo bakariha n’amabanki.

  2. Stan Siyomana

    Abantu ibihumbi 6 bagiye mukaruhuko ugabuye n’imisi 90 iri mumezi atatu, nink’uko botunganiriza dossier z’abantu bagera kuri 60 kumusi. Ari nk’abantu bashasha binjizwa mukazi ivyo novyumva kuko hari abasabwa kuzana izindi document kugira dossier zabo zuzure.
    None nk’abantu bamaranye na RETA imyaka 35 canke 40, IVYO RETA ITABAZIKO N’IBIHE?
    None iyo RETA izoza ikorera nabi umunyagihugu asanzwe, ICE IBISUBIRA NO KUMUFONCTIONNAIRE YOBA AZI UBWENGE, hanyuma RETA ntiyiyumvire ko ivyo bishobora kuyigirira ikibazo?

  3. Stan Siyomana

    Ibi birababaje, mugabo jewe mbona aha harimwo icigwa twese dukwiye gukuramwo.
    Aho wumva ngo aha na hariya umunyagihugu arahohoterwa canke arajuragizwa agiye gusaba iki na kiriya muri Reta, haraho wosanga vyava kuri bamwe mur’abo bagiye muri retraite.
    Rero umuntu agize Imana akaronka akazi ka Reta, abe atunganiriza bose kuko atawuzi ibiri imbere, ejo nawe ashobora kuba mubirigwa batonze umurongo imbere y’ibiro kanaka.
    Murumvise ko n’uwahora ari ministre wa travaux publics nawe ubu ari mumarira.

  4. Stan Siyomana

    Hari aho umarana imyaka n’umukoresha ukagira ngo mubana neza, mugabo hanyuma akaguhemukira.
    Jewe narakoreye Reta imyaka itanu mugihugu kibanyi, mugabo maze gutanga imihoho kuko nari naronse ahonja kubandanya amashuri, abo muri ministere nakukira baranse kunyandikira iketi ryerekana ko nahakoze kuko niryo ryari kumfasha mukwerekana iyo nakuye uduhera narimfise.
    Nta nakimwe nabasaba canke bategerezwa kundihira.
    Mugabo abarundi bankurira barituye umuntu umwe, iryo keti ryaciye ryandikwa ubwo nyene, nasanze rindindiriye.

    • Don't worry

      Aho ushatse kutubwira ko akari mu mpene ariko kari mu ntamba…

      • Don't worry

        Mu ntama, ndibaza…

  5. Kazungu

    Retraités maltraités.

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