Vendredi 03 mai 2024

Politique

« La liberté d’expression : un bien précieux cher aux Burundais ! »

17/06/2013 Commentaires fermés sur « La liberté d’expression : un bien précieux cher aux Burundais ! »

La Rédaction d’Iwacu recevait ce mardi 11 juin Parfait Onanga Anyanga, le Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies au Burundi. Au cœur de la rencontre, l’actualité du Burundi avec la nouvelle loi sur la presse, la CVR, la CNTB ou encore la situation politique du pays.

M. Parfait Onanga Anyanga, lors de la rencontre avec les Rédactions d'Iwacu ©Iwacu
M. Parfait Onanga Anyanga, lors de la rencontre avec les Rédactions d’Iwacu ©Iwacu

L’atelier organisé par le BNUB en mars dernier a été positivement salué par les acteurs politiques et les organisations de la Société civile burundais. Une initiative portée à votre actif. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’organiser ?

Disons que cet atelier rentre dans le cadre de notre mandat ici au Burundi, qui vise entre autres à promouvoir le dialogue politique, en vue de l’émergence l’une démocratie participative, mais aussi et surtout inclusive. Quand je suis arrivé à Bujumbura, j’ai eu conscience qu’il serait difficile de mener une telle mission si la classe politique n’avait pas l’opportunité de se retrouver autour d’une table pour d’échanger sur les divergences et les points communs en vue de continuer les efforts de bâtir une démocratie véritable au Burundi. Je dois dire d’ailleurs que j’ai été encouragé par la réponse plutôt positive que j’ai reçue de part et d’autres. Je dois d’ailleurs rendre hommage aux autorités gouvernementales du Burundi dans ce sens : le Chef de l’État, lors de la première audience qu’il m’a accordée, m’a clairement dit que le retour au Burundi était un droit constitutionnel. Même message de la part du ministre des Relations extérieures, ou de l’Intérieur. J’ai eu aussi une réponse positive de la part de l’opposition.

Comment interprétez-vous cette position ?

Je crois que tous les acteurs politiques burundais, sans passer l’éponge, veulent tout de même être à une autre étape, et se demandent : que pouvons-nous faire ensemble pour que 2015 soit mieux organisé que 2010 ? Chacun souhaite se rendre dans des scrutins où la voix sacrée de l’électeur sera respectée. C’est aussi une volonté de ramener la confiance dans le pays, car sans elle, on ne peut pratiquement rien faire en politique.

Juste après, le gouvernement a organisé dans la suite des engagements pris avec la Feuille de route de l’atelier de mars, une autre rencontre à Kayanza autour du Code électoral. Que dire de cette initiative ? …

La question du respect des engagements pose fondamentalement celle de la confiance, comme je le disais tantôt. Il nous a semblé important qu’à la sortie de l’atelier de mars, il y ait assez rapidement un signal fort qui montre que ce dialogue n’était pas un coup d’épée dans l’eau mais qu’il avait amorcé une nouvelle phase de dialogue dans la classe burundaise pour préparer les échéances de 2015, et au delà de cette date, montrer au peuple burundais qu’il est possible de faire de la politique simplement en se parlant. A la fin de l’atelier de mars, quand le gouvernement s’est porté volontaire d’organiser (point 42 de la Feuille de route) les prochaines échéances du dialogue, il y a eu des applaudissements dans la salle. La proposition a été accepté à l’unanimité.

Avez-vous confiance dans la mise en application des points de consensus de Kayanza ?

L’atelier de Kayanza a offert un bon cadre de réflexion pour que chaque partie soit rassurée que le cadre légal à venir permette de garantir la transparence, le respect de l’expression populaire et de créer les conditions de justice dans la préparation des élections de 2015, même si tous les partis ne vont pas aux élections à capacités égales. Beaucoup d’acteurs politiques hésitaient de s’y rendre, surtout les membres de l’opposition. Et à juste titre : la confiance brisée, ils avaient le sentiment qu’une fois encore, le gouvernement ne tiendrait pas toutes ses promesses. Mais ils ont été agréablement surpris, et nous les premiers, au-delà des petits défis organisationnelles. Sur les 23 points en discussion, ils se sont mis d’accord sur 20 et surtout sur un mécanisme de suivi.

C’est donc un processus que vous soutiendrez …

Oui. J’ai la pleine confiance dans tous nos partenaires, que ce soit le gouvernement ou l’opposition. Les acquis de Kayanza vont nous aider à avancer, j’en suis sûr. Pour ce qui est de leur mise en œuvre, le Burundi n’est pas une île : ouvrez les yeux et regardez le monde tel qu’il est. Les difficultés de l’expérience démocratique ne sont pas le propre de votre pays. Soyons confiants, nous y arriverons si nous maintenons le dialogue comme seul moyen de lever tous les équivoques qui entourent cette question.

Est-ce que la récente promulgation de la loi sur la presse ne va pas remettre en cause cette confiance que vous essayez de restaurer ?

Je crois que dans les mois passés, aucun autre sujet n’a retenu autant l’attention de la communauté internationale et des Burundais eux-mêmes que la question de cette loi sur la presse. En tant que Représentant du Secrétaire général des Nations Unies au Burundi, j’ai été avec mes collègues régulièrement sollicité. Nous avons pris l’initiative de rencontrer les autorités burundaises sur cette question. Nous avons retenu le fait qu’au delà des Nations Unies, d’autres partenaires du Burundi se sont prononcés et ont fait des démarches pour exprimer leurs préoccupations par rapport aux craintes d’un recul des libertés démocratiques au Burundi. Le Secrétaire général des Nations-Unies a eu l’opportunité d’en parler directement au Chef de l’État lors du récent sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba.

Mais les autorités burundaises sont passées outre ces appels …

Je ne crois pas que les autorités burundaises aient été sourdes pour ne pas entendre les préoccupations des amis du Burundi. Elles ont réaffirmé que la Constitution burundaise reconnaît la liberté de la presse. Je retiens cela. Elles ont aussi souligné que dans la mise en pratique de la loi, une attention particulière sera accordée pour éviter qu’il n’y ait simplement des mesures qui manifestement, fassent reculer cette liberté chère à tous les Burundais, inscrite dans votre loi fondamentale et qui reflète les engagements de votre pays par rapport aux textes internationaux sur la question. Le Chef de l’État a lui-même indiqué que la loi n’était pas en soi dynamique : nous comprenons dans cette phrase une volonté de rester ouvert.

M. Parfait Anyanga Onanga, RSSGNU lors de l'interview ©Iwacu
M. Parfait Anyanga Onanga, RSSGNU lors de l’interview ©Iwacu

Comment interprétez-vous tout cet intérêt pour la liberté d’expression au Burundi ?

Notre intérêt pour cette question au Burundi ne devrait pas être interprété comme une volonté d’influence la politique burundaise. Les États sont souverains de faire ce qu’ils veulent. Mais le dialogue entre partenaires doit se poursuivre. Pour comprendre l’attitude du Secrétaire Général des Nations Unies, qui s’exprime rarement sur des questions qui se sont du domaine de la politique intérieure des États, il est convaincu que le Burundi perçu dans le cadre de la sous-région et même au-delà, jouit d’énormes libertés de presse, politiques, qui ne sont pas le fait de beaucoup de pays dans le continent. Son inquiétude est de dire, au fond : « Gardez cela précieusement ! » C’est cela son message. Ce n’est pas un message titulaire. Et puis, au-delà, pour tout observateur de la situation burundaise, ce qui est fondamental c’est de tout faire pour qu’il n’y ait d’acte qui exacerbe la situation mais renforce la cohésion sociale. Par ailleurs, je ne voudrais pas donner l’impression ici que nous ne sommes qu’en train de pointer les aspects négatifs de la loi. Vous-même l’avez reconnu, en soulignant que chez le législateur il y avait la volonté de renforcer une certaine éthique du métier.

Le travail de la CNTB est controversé. Quelle est votre appréciation sur le sujet ?

Dans l’expérience de dix mois que j’ai dans votre pays, je dois dire modestement que j’ai appris à découvrir un peuple formidable. Et c’est avec beaucoup de précautions et d’humilité que j’essaie de comprendre les dynamiques internes à votre pays. Vous êtes certainement les témoins, vous-mêmes, de l’histoire de votre pays, vous en portez certainement encore des stigmates et des blessures, et voilà pourquoi j’essaie de ne rien prendre à la légère, chez vous. Peut-être que les choses restent encore non-dites, ou peut-être ce qu’on dit ne dit pas tout. C’est avec cette attitude de profonde modestie que j’implore qu’on m’autorise à comprendre ce qui se passe. C’est pour cela aussi que je demande à vos autorités d’éviter les travers qui peuvent entraîner le pays vers d’autres débordements que personne ne souhaite. Ni eux, ni certainement ceux qui pourraient aujourd’hui être considérés comme des victimes. Sur la question de la CNTB, je rencontre dans quelques minutes le président de la Commission avec qui j’aurais le temps d’échanger sur son travail et les difficultés que rencontre cette institution.

Oui, mais comment analysez-vous le travail de cette Commission ?

Je constate que ce n’est pas une question simple : quand j’essaie de la comprendre, il me vient à l’esprit l’image d’un tabouret à trois pieds. Il suffirait que l’un des pieds soit plus court, ou cassé, pour qu’il n’y ait plus de stabilité en s’asseyant dessus. Quand je pense à la CNTB, j’ai à cœur c’est vrai l’impératif de rendre justice, la nécessité de ne pas oublier que c’est une institution qui résulte d’un processus qui avait une vocation fondamentale de se réconcilier (Arusha). Mais au-delà de tout cela, il y a le devoir de garder le Burundi dans une véritable paix. Comment faire en sorte que ces trois composantes demeurent présentes dans le travail quotidien de la CNTB ? Voilà là où réside la complexité du sujet.

A la veille de la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle, y’a-t-il eu rapprochement des positions du gouvernement et des Nations-Unies sur le sujet ?

Ce n’est pas un sujet nouveau (sourire). C’est peut-être parce que ces mécanismes sont si lourds de sens qu’on en a pas toute la compréhension, ou du moins qu’on comprend les difficultés à mettre sur pied la CVR. Pourtant, je ne doute pas que dans le cœur de tous les Burundais, il n’y aura pas de pleine expression de la vérité tant que le pays ne se soumettra lui-même à cet effort d’introspection, de se connaître et de nommer ce qui a fait mal. Même si la question concerne la gestion du passé, elle est au cœur du présent et du futur de tous les Burundais. C’est aussi une question qui divise. Nous avons essayé d’apporter notre contribution en rappelant trois choses : pour réussir une telle expérience, comme cela a été le cas dans d’autres pays, il faut qu’il y ait une adhésion de l’ensemble de la société. Tout faire pour que toute mesure prise pour mettre en œuvre cette Commission soit faite de façon la plus consensuelle possible. Nous avons également souligné la nécessité de connaître un peu les standards internationaux, de savoir ce qui s’est fait ailleurs pour voir comment cela peut s’appliquer ici. Bien sûr, en ayant à l’esprit que toute situation est particulière. Ce sera fondamentalement un processus entre Burundais eux-mêmes : aucun étranger, aucune institution étrangère n’imposera rien.

M. Anyanga avec Antoine Kaburahe, Directeur des publication du groupe de presse Iwacu ©Iwacu
M. Anyanga avec Antoine Kaburahe, Directeur des publication du groupe de presse Iwacu ©Iwacu

Genève avait prévu le volet justice de la CVR. Mais le projet de loi qui sera prochainement analysé par l’Assemblée n’en a pas tenu compte. Est-ce que cela ne risque pas de diviser encore plus la société ?

Nous n’avons encore la dernière version du texte qui sera étudiée à l’Assemblée Nationale. Pa conséquent, il me serait difficile de me prononcer sur le choix qui a été fait de ne privilégier que l’aspet « vérité », au détriment de la justice. Ce que je sais également, c’est que je ne crois pas qu’il y ait un processus de vérité qui puisse faire fi de la justice. Les autorités elles-même le savent. Sur cette question, les Nations-Unies ont été claires. C’est un principe international reconnu. Le gouvernement nous conforte en étant très clair sur le principe des crimes reconnus comme imprescriptibles. Si on les reconnaît, c’est dire qu’une fois le travail de vérité fait, et que si, au travers de ce travail, on établit des crimes de guerre, contre l’humanité, des génocides, vous comprenez que ces crimes ne resteront pas impunis. Je crois qu’il serait bon d’éviter, surtout pour l’opinion, cette conversation un peu de sourds où on a l’impression que si tout n’est pas présent aujourd’hui, rien ne se fera demain. La politique est l’art du possible. À chaque jour suffit sa peine. Cherchez la vérité, d’abord. Si vous trouvez la vérité, répondez à la question des responsabilités des auteurs des crimes. En fait, si j’avais un conseil à donner, même si je ne suis pas du gouvernement, je dirais : laissez la vérité venir. La suite sera évidente.

Pour parler de la sous-région : quelle est la philosophie qu’on doit mettre en avant pour pacifier la situation ?

Sur un plan personnel, je me sens absolument proche et lié à la misère et à la peine qui affecte des millions de Congolais dans cette partie du monde, dans un drame inhumain qui nous affecte tous. Tous les efforts qui peuvent être faits pour essayer de ramener la paix dans ce pays sont louables et ne peuvent que mériter l’appui de l’organisation des Nations-Unies. Je ne me prononcerai pas sur les appels au dialogue, car comme vous le savez, Mme Mary Robinson, Envoyée Spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, qui fait un travail remarquable sur ce dossier, a pris soin de rencontrer un certain nombre de leaders politiques sur le sujet. Il faudrait attendre pour voir ce que ses efforts vont donner. Elle saura trouver les justes mots et l’attitude qui sied pour éviter qu’il n’y ait des dérapages qui, au-delà des échanges verbaux entre leaders, ne peuvent pas nous faire perdre de vue que des populations à ce jour encore paient le prix lourd de cette situations. Elle sera d’ailleurs à Bujumbura du 9 au 11 juillet prochain dans une conférence des femmes d’Afrique.

Quels conseils donnez-vous aux journalistes burundais en ce moment où le journalisme traverse des moments difficiles et alors qu’approchent d’importantes échéances (CVR, élections de 2015) ?

Je crois que votre Directeur a pris les devants et semble déjà avoir répondu à cette question. Je lisais avec beaucoup d’intérêt son appel pour que vous continuez à faire votre travail avec déontologie, en vous gardant de tout excès, en vous tenant à une éthique justement fondée sur le respect de la déontologie et du professionnalisme. Je crois qu’il me serait difficile de vous conseiller autre chose que cela. Ceci dit, j’ai pleinement conscience que ce n’est jamais un métier facile, le vôtre.

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