Jeudi 07 novembre 2024

Politique

Interview exclusive avec Rita Laranjinha : « C’est de la responsabilité des pays de la région de trouver une forme d’entente pour le bien-être des populations »

22/01/2024 1
Interview exclusive avec Rita Laranjinha : « C’est de la responsabilité des pays de la région de trouver une forme d’entente pour le bien-être des populations »

Regard sur la nouvelle brouille diplomatique entre Gitega et Kigali, état sur la reprise de l’aide financière directe au Burundi par l’Union Européenne, un message sur le processus électoral de 2025-2027, emprisonnement de Floriane Irangabiye…Le point avec la Directrice Afrique au Service Européen pour l’Action Extérieure.

Qu’est-ce que les gens peuvent retenir de votre visite au Burundi ?

Cette visite est une expression de l’intérêt que l’Union Européenne porte au Burundi dans le cadre de leurs relations. Je suis venue pour participer à un colloque que la délégation de l’Union Européenne a organisé ensemble avec la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) sur « la stratégie renouvelée de l’Union Européenne pour la région des Grands Lacs ».

C’était aussi une occasion de discuter un peu, d’écouter les acteurs régionaux sur la situation des pays des Grands Lacs. C’était également bien une occasion de rencontrer les autorités burundaises, les organisations de la société civile et mieux m’informer sur la situation au Burundi. En tant que Directrice Afrique au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), je vais ensuite retourner à Bruxelles pour informer les Etats membres de l’Union Européenne les consultations que nous avons menées dans ces jours-ci.

En février 2022, l’Union Européenne avait annoncé la reprise de l’aide financière directe au gouvernement Burundais. Quel est l’état des lieux aujourd’hui ?

Je pense qu’il faut d’abord préciser les termes de cette déclaration. Le Burundi était sous ce que nous dénommons l’article 96 de l’Accord de Cotonou qui empêchait qu’à un certain niveau, les relations entre l’Union Européenne et le Burundi puissent continuer. Alors, suite à la levée de ces sanctions, nous avons pu commencer à travailler directement avec le gouvernement burundais sur une série de programmes. Et qu’est-ce qui s’est passé entre temps ? Ces années ont été mises à profit et nous avons avancé dans la proclamation d’un certain nombre de programmes.

Nous travaillons, par exemple, sur le port de Bujumbura, dans le domaine de l’énergie, dans celui de l’éducation et de la santé, mais également dans des programmes importants de soutien direct de la population. Nous travaillons aussi dans le domaine de la justice. Il y a vraiment un engagement qui a été renforcé à un niveau de coopération différent des années précédentes durant lesquelles nous étions restreints par les circonstances politiques qui avaient déterminés certaines positions de cet article 96.

Par rapport à cet article 96 de l’Accord de Cotonou, est-ce que vous constatez des avancées ?

La levée de l’article 96 a été possible puisqu’il y a eu une constatation qu’il y avait une évolution de la situation. Nous avons tenu une réunion avec le président de la République pendant laquelle nous avons discuté ensemble des perspectives entre l’Union Européenne et le Burundi. Je sais qu’il y avait une attente de la part des autorités sur ce qu’on appelle l’appui budgétaire direct sur le Burundi. On a bien expliqué que c’est un instrument que l’Union Européenne utilise de moins en moins. Aujourd’hui l’Union Européenne est dans une logique de de partenariat.

D’ailleurs cet appui budgétaire direct est soumis à un certain nombre de règles qui ne sont pas du tout spécifiques pour le Burundi mais qui sont des règles de règlement financier de l’Union Européenne. Ces dernières exigent que toute une série de conditions qui entrent dans la gouvernance économique soient respectées. Nous avons une feuille de route qui est bien définie. L’Union Européenne s’est donc engagée de bien travailler sur cette feuille de route en se focalisant sur des aspects de la gouvernance économique pour avancer dans la perspective de la possibilité de remplir les critères d’éligibilité pour cet appui budgétaire direct.

Et si cette feuille de route est violée ?

Ce n’est certainement pas une question de violation de cette feuille de route. C’est plutôt une question d’avancée dans le respect de ces critères d’éligibilité qui concernent tous les pays partenaires qui auraient l’ambition de bénéficier de cet appui budgétaire.

Avant l’expiration de son mandat, l’ancien ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi, Claude Bochu, avait salué l’action gouvernementale jusqu’à affirmer que « le chef de l’Etat est dans le bon chemin ». Etes-vous du même avis eu égard à l’état actuel de la gouvernance politique et économique au Burundi ?

Bochu était au Burundi pendant quatre ans. Et pendant ces quatre ans qu’il était en poste, nous avons pu lever l’article 96. Il y a eu donc, pendant son mandat, une évolution dans les relations entre le Burundi et l’Union Européenne. Nous continuons à travailler pour qu’on puisse continuer à pouvoir évoluer dans le renforcement de la relation entre l’Union Européenne et le Burundi. C’est une inspiration que nous avons bien exprimée et le président de la République a été clair dans son souhait de continuer à bien travailler avec nous.

Que dire de l’emprisonnement de la journaliste Floriane Irangabiye ?

Moi je comprends que c’est un cas qui est en procédure de justice. C’est un cas que nous suivons avec intérêt mais on ne peut pas faire des commentaires sur un cas qui est en procédure de justice.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle brouille diplomatique entre Gitega et Kigali ?

Nous avons déjà affirmé que la situation de tensions dans la région des Grands Lacs préoccupe l’Union Européenne. Nous sommes convaincus que les tensions empêchent le développement durable de la région des Grands Lacs. Nous avons lancé un appel au dialogue, à la construction de confiance entre les différents acteurs.

D’ailleurs, nous avons soulevé ces points lors de nos différentes rencontres avec différentes autorités burundaises. Nous espérons qu’il va y avoir une évolution dans un sens positif. L’Union Européenne est là pour essayer de soutenir mais bien sûr que c’est la responsabilité première des pays de la région de trouver une forme d’entente et de rapprochement pour le bien-être des populations de la région.

Au Burundi, les élections de 2025-2027 s’annoncent mais dans un contexte d’intolérance politique et de rétrécissement de l’espace politique. Votre message ?

Mardi, le 16 janvier, nous avons pu tenir une première réunion avec les acteurs de la société civile avec qui nous avons déjà travaillé lors des processus électoraux précédents. Nous avons déjà approuvé des projets et programmes de coopération dans le cadre de l’observation électorale. L’Union Européenne comme elle l’a déjà fait continuera à soutenir ces organisations. Notre inspiration est que les processus électoraux puissent toujours se tenir dans des conditions de transparence, d’équité, d’accès des citoyens aux élections. On continuera à être disponible pour travailler dans ce cadre-là.

Quelles sont les perspectives de votre bureau par rapport à la crise sécuritaire dans la région des Grands Lacs ?

Nous avons pu en discuter lundi et mardi lors de ce colloque sur la région des Grands Lacs. Nous avons discuté de cette stratégie renouvelée qui a été approuvée par l’Union Européenne après les consultations des pays de la région et en concertation avec les grands acteurs non seulement régionaux mais aussi des Nations-Unies. Cette stratégie est développée sur trois axes principaux : les efforts qui doivent se faire dans la promotion de la paix et de la stabilité mais aussi des efforts qui doivent se faire dans le cadre de l’intégration régionale.

Nous sommes par ailleurs convaincus que les solutions aux problèmes se trouvent beaucoup dans la promotion de l’intégration régionale. C’est également une stratégie qui se base beaucoup plus sur le potentiel qui existe dans la région des Grands Lacs parce que nous sommes conscients de toutes les richesses qui se trouvent dans la région et qui doivent être mises à profit dans un encadrement de gouvernance adéquat. C’est vrai que dans les présentes circonstances la région traverse des moments de tensions mais nous sommes convaincus que les gouvernements de la région comprendront que des efforts supplémentaires doivent être faits.

Et cela pour essayer de trouver des moyens de surmonter les différences et de se concentrer sur la mise à profit de tout ce potentiel pour le bien-être des populations qui ont beaucoup soufferts depuis ces dernières décennies.

Crise économique qui s’aggrave au fil des jours, pénurie des produits stratégiques et de première nécessité, assèchement de devises…Comptez-vous appuyer le gouvernement burundais pour sortir de cet engrenage ?

Malheureusement les circonstances de l’économie mondiale sont actuellement très exigeantes. Si le Burundi fait face à une crise particulière, il faut savoir que nous tous nous faisons face à une exigence très grande en ce qui concerne la situation économique.

La logique de l’Union Européenne aujourd’hui est une logique différente. Nous ne nous concentrons plus sur une coopération au développement comme c’était dans les années prétendantes mais sur la recherche de projets qui puissent dynamiser la croissance économique plus axés sur les infrastructures non seulement du Burundi mais des pays partenaires. Des projets qui font appel aux soutiens des Etats membres de l’Union Européenne. Nous travaillons dans un esprit d’équipe où nous essayons de mettre en cohérence les différents soutiens qui sont donnés par les différents Etats membres de l’Union Européenne et le secteur privé pour créer une dynamique vertueuse de croissance économique.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Ernest

    Madame je vous donne une note de 9 sur 10, pour presque toues les questions répondues. Mêmes si le journaliste posait les questions en croyant que le Burundi est la seule nation au monde avec les problèmes particulières à lui même. Quelle bonne diplomate!!!!! Merci

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Enrôlement des électeurs. Entre fatalisme et pessimisme

Alea jacta, les dés sont jetés. La période d’enrôlement qui avait officiellement commencé le 22 octobre a pris fin ce 31 octobre. Se faire enrôler est un devoir hautement civique et citoyen en vue de reconduire ou renouveler la classe (…)

Online Users

Total 2 690 users online