Jeudi 11 décembre 2025

Environnement

Interview exclusive avec Jérôme Nishishikare : « Il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme ».

26/10/2025 5
Interview exclusive avec Jérôme Nishishikare : « Il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme  ».

Avec ses 3 300 hectares, la réserve forestière naturelle de Bururi (RNFB) est une aire protégée du sud riche en faune et en flore. On y trouve des espèces végétales et animales variées dont les chimpanzés. Néanmoins, le tourisme n’est pas rentable. Jérôme Nishishikare, son conservateur responsable, revient entre autres sur les menaces et les actions en cours pour sa préservation.

Quelles sont les différentes richesses biologiques de la réserve forestière naturelle de Bururi ?

D’un point de vue faunique, nous avons des mammifères, des amphibiens et d’autres petits animaux. Mais l’espèce phare est le chimpanzé, qui est l’animal le plus proche de l’homme.

En quoi le chimpanzé est-il si proche de l’homme ?

Les scientifiques ont prouvé que l’ADN des humains et celui des chimpanzés se ressemblent à plus de 98 %.

À part ces derniers, on y trouve des singes. Ce qu’on appelle cercopithèque à diadème et cercopithèque ascagne. Nous avons aussi les petits singes verts, plus de 200 espèces d’oiseaux, etc.

Elle abrite aussi une petite grenouille à longs doigts qu’on appelle cardioglossa cyaneospila. Elle y a été trouvée en 1949 et de nouveau retrouvée en 2011. Elle a été découverte par les scientifiques de l’Université du Texas. Selon eux, cette grenouille est endémique de la région du rift albertin.

Côté flore, nous avons des arbres géants. C’est par exemple ce qu’on appelle entandrophragma excelsum (umuyove), mais aussi beaucoup d’autres espèces dont certaines sont endémiques.

Comment vivent les chimpanzés dans cette réserve ?

D’abord, nous avons une population de plus de 60 individus. Ils vivent dans la nature indépendamment des hommes.

C’est-à-dire ?

Personne ne les nourrit. Ils s’arrangent. Ils se nourrissent de fruits comme les myrianthus holstii (amufe), le syzygium guineense (umugoti) et d’autres espèces d’arbres.

Ils vont cueillir leurs fruits. Aussi, cela dépend des périodes de l’année. Il y a des périodes où ces espèces ne portent pas de fruits. Là, ils peuvent manger des écorces, des feuilles de certaines espèces. En cas de carence alimentaire, ils se ravitaillent dans les champs des riverains. Ils mangent les bananes et le pennisetum (ikibingobingo). Ce qui est souvent une source de conflits avec les riverains.

Où et comment dorment-ils ?

Après chaque journée, ils construisent des nids où ils doivent passer la nuit. Un chimpanzé adulte doit construire son nid. Seulement, si c’est une « mère » qui porte un bébé de moins de cinq ans jusqu’à six ans, les deux peuvent passer la nuit dans un même nid. Sinon, à partir de sept ans, même si l’enfant reste tout près de sa maman, il doit loger dans son petit nid.

Comment assurez-vous le suivi de ces chimpanzés ?

Nous avons deux équipes. Il y a un groupe d’éco-gardes qui font la surveillance au jour le jour et un autre de pisteurs. Ces derniers sont chargés de suivre les chimpanzés tous les jours, du matin au soir. Cette activité a commencé avec un projet financé par la Banque mondiale.

En fait, en novembre 2015, une équipe de huit pisteurs a suivi une formation sur les techniques de suivi des chimpanzés, à Gombe en Tanzanie. À leur retour, ils ont commencé à mettre en pratique leurs apprentissages.

Quel est l’objectif de ce suivi quotidien ?

L’objectif est d’habituer ces mammifères à la présence humaine pour la promotion de l’écotourisme. S’ils continuent à voir les visages de ces pisteurs, ça veut dire que ces animaux n’ont plus peur des visiteurs. Mais aussi, ça vise les recettes touristiques. Si nous avons des visiteurs, il y a des recettes qui vont rentrer dans le Trésor public et ça va aider au développement.

Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur cette réserve ?

Les menaces ne manquent pas. Il y a des gens qui tentent de s’approvisionner en bois de chauffage et en bois pour différents usages ; en herbes pour nourrir le bétail, pour faire le paillis du bétail ou des champs de café, surtout sur le versant ouest de la réserve. Seulement, ces menaces sont minimisées de jour en jour.

L’équipe des pisteurs chargés de suivre au quotidien les chimpanzés

Qu’est-ce qui le prouve ?

Par exemple, il y a bientôt quatre ans que nous n’observons pas des feux de brousse pendant la saison sèche. Ces feux constituaient une très grande menace. Maintenant, avec l’appui des communautés, nous voyons vraiment que ce phénomène n’est plus observé.

Mais, nous avons vu une partie où des hectares d’arbres ont été décimés par les feux de brousse ?

Non, ce n’est pas dans la réserve.

Qu’avez-vous fait pour arriver à cette étape ?

Nous avons d’abord procédé à l’intégration des communautés dans la protection de la réserve. Surtout en les sensibilisant sur l’importance de protéger l’environnement en général et spécifiquement cette réserve et sa biodiversité. Nous avons organisé des séances spécifiques pour parler des chimpanzés et de leur importance dans la contribution au développement économique du pays et de la localité surtout au niveau du tourisme.

La réserve dispose-t-elle de moyens pour soigner un chimpanzé malade ou blessé ?

C’est un grand défi. Car, dans d’autres pays, les pisteurs ou éco-gardes ont aussi une certaine formation sur comment détecter un animal malade. Mais, au-delà de cela, il y a des techniciens, des vétérinaires qui vont faire les prélèvements et aller dans les laboratoires pour détecter la maladie ou le virus qui a attaqué l’animal.

Mais, ici à Bururi, et je pense que c’est pour toutes les aires protégées du Burundi, on n’est pas encore arrivé à cette étape. Si un chimpanzé ou un autre animal tombe malade, on ne peut rien faire.

Confirmez-vous qu’il s’agit d’une nécessité ?

C’est une très grande nécessité.

Qu’en est-il des retombées touristiques ? Quels sont les tarifs d’entrée ?

Les touristes ne sont pas encore nombreux. Et ce n’est pas rentable. Pour les étrangers non-résidents, ils paient 20 euros ou 20 dollars tandis que les étrangers résidents c’est 10 euros ou 10 dollars ou l’équivalent en BIF. Pour les nationaux, c’est 5 000 BIF.

Comment expliquez-vous cette faible fréquentation ?

Les gens ne savent pas réellement nos richesses végétales et animales. Il y a une très grande nécessité de faire des publicités. Si quelqu’un va à Bururi, peut-il voir le chimpanzé ? Oui. Mais, nous ne pouvons pas le garantir à 100 % mais à plus de 70 %. Les chimpanzés sont trouvables à Bururi.

Concrètement, quel est le problème ?

Dans d’autres pays, il y a des systèmes de publicité que ce soit dans des lieux publics, dans des aéroports, etc. Il y a des publications pour montrer les richesses animales et végétales qu’on trouve dans les aires protégées. Dans ce cas, les visiteurs savent que s’ils ont besoin des chimpanzés, ils vont se diriger à Bururi. Bref, il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme au Burundi.

Combien de touristes recevez-vous par semaine ou par mois ?

Une semaine peut passer sans avoir un seul touriste. Dans un mois, on peut avoir 20 ou 30 touristes seulement.

Quelles actions sont menées actuellement pour préserver cette réserve ?

La première action c’est la surveillance ordinaire avec les éco-gardes. Il y a aussi le suivi et l’habituation des chimpanzés. Nous faisons également la sensibilisation.

Comment procédez-vous pour sensibiliser les populations ?

Nous avons organisé des communautés volontaires. Les gens se sont regroupés dans vingt-quatre associations éparpillées autour de la réserve. Ils nous prêtent vraiment main forte dans la surveillance. Ils entretiennent gratuitement les pare-feu qui servent à séparer les propriétés privées de la réserve. Nous faisons en outre l’éducation environnementale.

Concrètement, comment se déroule cette éducation environnementale ?

Nous appelons les écoliers, les élèves et leurs encadreurs et nous animons une séance d’éducation environnementale. Nous parlons de la protection de l’environnement en général mais nous insistons sur la protection de notre réserve.

Nous encadrons aussi les Batwa. Ces derniers détruisaient beaucoup la forêt. À partir de 2016, nous leur avons montré comment vivre en harmonie avec la biodiversité.

Une autre action c’est la production de plants en pépinières et leur distribution gratuite aux communautés. Cette activité est faite en cas de disponibilité de moyens financiers. C’est surtout l’ONG 3C (Conservation et Communauté de changement) qui nous appuie en la matière. Notre but étant de minimiser dans l’avenir la pression qui est faite sur la biodiversité de cette réserve.

Pouvez-vous affirmer aujourd’hui que le braconnage a disparu à Bururi ?

Je ne peux pas le confirmer à 100 % mais à plus de 98 %. À Bururi, il n’y a pas de chasses. Il n’y a pas de gens qui vont tuer les singes et les chimpanzés pour les manger. Il y a quelques années, on observait un piège ou deux pièges, mais au fur et à mesure du temps, avec ces sensibilisations, vraiment même les pièges ne sont plus observés dans cette aire protégée.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. GG

    tout le monde parle publicité et marketing sans citer la raison première : il n’y a pas de carburant. J’adorerais aller faire du tourisme à Bururi mais ça veut dire acheter très cher au marché noir ! on ne développe pas le tourisme quand il n’y a pas de carburant, pas de connexion internet et que tout le pays subit les pannes d’électricité et d’eau. ça n’est absolument pas attrayant pour les visiteurs, seuls les burundais sont capables de supporter ça.

  2. Herve Sebastien

    Pour moi,il n’y a pas moyen d’aller faire un stage pour chez voisin du nord (Rwanda)
    L’industrie touristique du Rwanda est l’un des piliers majeurs de l’économie et un modèle développement en Afrique,ils possèdent parcs national des volcans(gorillesde montagnes)parc national des Nyungwe,parc national de l’akagera,lac kivu

  3. Macaire Bacamurwanko

    Tourisme et Marketing méconnus day Burundi.C’est domage. Ivyiza biri i Burundi,Tanganyika;Lac aux oiseaux nizindi mu Karere ka Kirundo……Les Parques dufise i Burundi …….. ntawobishiramwo ngaha…… ntabashomeri baba bariho munkumi n’imisore yi Burundi. Ubushikiranganji bakukira Budget annuell iba iri hehejuru mwi bahasha rivyibusheeeee….

  4. Gaspard Ndikumazambo

    Pensez aussi au marketing touristique. Les sites d’attraction touristique sont des biens à vendre. L’e-tourisme est à développer pour ne pas attendre les touristes qui viennent d’eux-même. il faut les attirer par la publicité.
    Organiser et médiatiser des campagnes et vous verrez des changements.

  5. Ngirankabo

    « Une semaine peut passer sans avoir un seul touriste. Dans un mois, on peut avoir 20 ou 30 touristes seulement. » L’économie touristique est exigeante : accueil dès la sortie de l’avion, facilités pour l’obtention des visas, la logistique facile (organisation des transports en commun pour faciliter les visites individuelles,…) ; la restauration, les lieux d’aisance !
    Faire un tour pas loin de chez vous pour savoir pourquoi ils ont tant de touristes puis faire des suggestions pour les améliorations. Essayons d’avoir une vision d’ensemble.

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