Lundi 27 octobre 2025

Environnement

Interview exclusive avec Jérôme Nishishikare : « Il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme au Burundi ».

26/10/2025 0
Interview exclusive avec Jérôme Nishishikare : « Il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme au Burundi ».

Avec ses 3 300 hectares, la réserve forestière naturelle de Bururi (RNFB) est une aire protégée du sud riche en faune et en flore. On y trouve des espèces végétales et animales variées dont les chimpanzés. Néanmoins, le tourisme n’est pas rentable. Jérôme Nishishikare, son conservateur responsable, revient entre autres sur les menaces et les actions en cours pour sa préservation.

Quelles sont les différentes richesses biologiques de la réserve forestière naturelle de Bururi ?

Au point faunique, nous avons des mammifères, des amphibiens et d’autres petits animaux. Mais, l’espèce phare est le chimpanzé qui est l’animal le plus proche de l’homme.

Comment ?

Les scientifiques ont prouvé que l’ADN des humains et celui des chimpanzés se ressemblent à plus de 98%.

A part ces derniers, on y trouve des singes. Ce qu’on appelle cercopithèque à diadème et cercopithèque ascagne. Nous avons aussi les petits singes verts, plus de 200 espèces d’oiseaux, etc.

Elle abrite aussi une petite grenouille à longs doigts qu’on appelle cardioglossa cyaneospila. Elle y a été trouvée en 1949 et encore retrouvé en 2011. Elle a été découverte par les scientifiques de l’Université de Texas. Selon eux, cette grenouille est endémique dans la région du rift albertin.

Côté flore, nous avons des arbres géants. C’est par exemple ce qu’on appelle entendrophragma excelsum (umuyove) mais aussi beaucoup d’autres espèces dont les unes sont endémiques.

Comment les chimpanzés vivent-ils ?

D’abord, nous avons une population de plus de 60 individus. Ils vivent dans la nature indépendamment des hommes.

Ce qui signifie…

Personne ne les nourrit. Ils s’arrangent. Ils vivent des fruits comme les myriathus holstii (amufe), le syzigium guineense (umugoti) et d’autres espèces d’arbres.

Ils vont cueillir leurs fruits. Aussi, cela dépend des périodes de l’année. Il y a des périodes où ces espèces ne portent pas de fruits. Là, ils peuvent manger des écorces, des feuilles de certaines espèces. En cas de carence alimentaire, ils se ravitaillent dans les champs des riverains. Ils mangent les bananes et les pennisetum (ikibingobingo). Ce qui est souvent une source de conflits avec les riverains.

Comment dorment-ils ?

Après chaque journée, ils construisent des nids où ils doivent passer la nuit. Un chimpanzé adulte doit construire son nid. Seulement, si c’est une ‘’mère’’ qui porte un bébé de moins de cinq ans jusqu’à six ans, les deux peuvent passer la nuit dans un même nid. Sinon, à partir de sept ans, même si l’enfant reste tout près de sa maman, il doit loger dans son petit nid.

Comment procédez-vous pour suivre ces chimpanzés ?

Nous avons deux équipes. Il y a un groupe des éco gardes qui font la surveillance jour au jour et un autre des pisteurs. Ces derniers sont chargés de suivre les chimpanzés tous les jours, du matin au soir. Cette activité a commencé avec un projet financé par la Banque mondiale.

En fait, en novembre 2015, une équipe de huit pisteurs a suivi une formation sur les techniques de suivi des chimpanzés, à Gombe en Tanzanie. A leur retour, ils ont commencé à mettre en pratique leurs apprentissages.

Quel est l’objectif de ce suivi ?

L’objectif est d’habituer ces mammifères à la présence humaine pour la promotion de l’écotourisme. S’ils continuent à voir les visages de ces pisteurs, ça veut dire que ces animaux n’ont plus peur des visiteurs. Mais aussi, ça vise les recettes touristiques. Si nous avons des visiteurs, il y a des recettes qui vont rentrer dans le Trésor public et ça va aider dans le développement.

Qu’en est-il des menaces sur cette réserve?

Les menaces ne manquent pas. Il y a des gens qui tentent de s’approvisionner en bois de chauffage et en bois pour différents usages ; en herbes pour nourrir le bétail, pour faire le paillis du bétail ou des champs de café surtout le versant ouest de la réserve. Seulement, ces menaces sont minimisées du jour au jour.

Une équipe des pisteurs chargée de suivre les chimpanzés de la réserve forestière nationale de Bururi

Qu’est-ce qui le prouve ?

Par exemple, il y a bientôt quatre ans que nous n’observons pas des feux de brousse pendant la saison sèche. Ces feux constituaient une très grande menace. Maintenant, avec l’appui des communautés, nous voyons vraiment que ce phénomène n’est plus observé.

Mais, nous avons vu une partie où des hectares d’arbres ont été décimés par les feux de brousse ?

Non, ce n’est pas dans la réserve.

Qu’avez-vous fait pour arriver à cette étape ?

Nous avons d’abord procédé à l’intégration des communautés dans la protection de la réserve. Surtout en les sensibilisant sur l’importance de protéger l’environnement en général et spécifiquement cette réserve et sa biodiversité. Nous avons organisé des séances spécifiques pour parler des chimpanzés et de leur importance dans la contribution au développement économique du pays et de la localité surtout au niveau du tourisme.

Est-ce que la réserve dispose des techniques de soigner un chimpanzé malade ou blessé par exemple ?

C’est un grand défi. Car, dans d’autres pays, les pisteurs ou éco-gardes ont aussi une certaine formation sur comment détecter un animal malade. Mais, au-delà de cela, il y a des techniciens, des docteurs vétérinaires qui vont faire les prélèvements et aller dans les laboratoires pour détecter la maladie ou le virus qui ont attaqué l’animal.

Mais, ici à Bururi, et je pense que c’est pour toutes les aires protégées du Burundi, on n’est pas encore arrivé à cette étape. Si un chimpanzé ou un autre animal tombe malade, on ne peut rien faire.

Mais, vous confirmez que c’est une nécessité ?

C’est une très grande nécessité.

Quid des retombées touristiques? Quels sont les tarifs pour y entrer ?

Les touristes ne sont pas encore nombreux. Et ce n’est pas rentable. Pour les étrangers non-résidents, ils paient 20 euros ou 20 dollars tandis que les étrangers résidents c’est 10 euros ou 10 dollars ou l’équivalent en BIF. Pour les nationaux, c’est 5 000 BIF.

Pourquoi ?

Les gens ne savent pas réellement nos richesses végétales et animales. Il y a une très grande nécessite de faire des publicités. Si quelqu’un va à Bururi, peut-il voir le chimpanzé ? Oui. Mais, nous ne pouvons pas le garantir à 100% mais à plus de 70%. Les chimpanzés sont trouvables à Bururi.

Concrètement, quel est le problème?

Dans d’autres pays, il y a des systèmes de publicité que ça soit dans des lieux publics, dans des aéroports, etc. Il y a des publications pour montrer les richesses animales et végétales qu’on trouve dans les aires protégées. Dans ce cas, les visiteurs savent que s’ils ont besoin des chimpanzés, ils vont se diriger à Bururi. Bref, il n’y a pas assez de publicité pour promouvoir le tourisme au Burundi.

Combien de touristes par mois ou par semaine ?

Une semaine peut passer sans avoir un seul touriste. Dans un mois, on peut avoir 20 ou 30 touristes seulement.

Quelles sont les actions en cours pour sauver cette réserve ?

La première action c’est la surveillance ordinaire avec les écogardes. Il y a aussi le suivi et l’habituation des chimpanzés. Nous faisons également la sensibilisation.

Comment ?

Nous avons organisé des communautés volontaires. Les gens se sont regroupés dans vingt-quatre associations éparpillées autour de la réserve. Ils nous prêtent vraiment main forte dans la surveillance. Ils entretiennent gratuitement les pares-feux qui servent à séparer les propriétés privées de la réserve. Nous faisons en outre l’éducation environnementale.

Comment procédez-vous ?

Nous appelons les écoliers, les élèves et leurs encadreurs et nous animons une séance d’éducation environnementale. Nous parlons de la protection de l’environnement en général mais nous insistons sur la protection de notre réserve.

Nous encadrons aussi les Batwa. Ces derniers détruisaient beaucoup la forêt. A partir de 2016, nous leur avons montré comment vivre en harmonie avec la biodiversité.

Une autre action c’est la production des plants en pépinières et leur distribution gratuite aux communautés. Cette activité est faite en cas de disponibilité des moyens financiers. C’est surtout l’ONG 3C (Conservation et Communauté de changement) qui nous appuie en la matière. Notre but étant de minimiser dans l’avenir la pression qui est faite sur la biodiversité de cette réserve.

Pouvez-vous aujourd’hui affirmer qu’il n’y a plus du braconnage à Bururi ?

Je ne peux pas le confirmer à 100% mais à plus de 98%. A Bururi, il n’y a pas de chasses. Il n’y a pas de gens qui vont tuer les singes et les chimpanzés pour les manger. Il y a quelques années, on observait un piège ou deux pièges, mais au fur du temps, avec ces sensibilisations, vraiment même les pièges ne sont plus observés dans cette aire protégée.

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