Mercredi 30 juillet 2025

Politique

Interview exclusive avec Innocent Bano : « La diplomatie c’est l’art de pouvoir redresser les choses »

29/07/2025 1
Interview exclusive avec Innocent Bano : « La diplomatie c’est l’art de pouvoir redresser les choses »

Le président burundais, Évariste Ndayishimiye, a été désigné, jeudi 17 juillet 2025, Envoyé spécial de l’Union Africaine pour le Sahel. D’aucuns s’interrogent sur le gain pour le Burundi. Quid des atouts pour le président Ndayishimiye ? Les défis qu’il peut rencontrer. Pourquoi le manque de viabilité des organisations africaines. Eclairage par Innocent Bano, professeur dans le département des Sciences politiques et juridiques et Relations internationales à l’Université du Burundi.

Le président Evariste Ndayishimiye a été nommé Envoyé spécial de l’UA dans la région du Sahel. Qu’est-ce que le Burundi va gagner du point de vue politique et diplomatique ?

C’est un gain majeur du point de vue politique et diplomatique. Le fait que l’UA a pensé au Burundi et particulièrement à son président de la République c’est une reconnaissance manifeste qui traduit des actions qui parlent. Des actions menées par le Burundi dans la recherche, le maintien et la consolidation de la paix à travers le continent. C’est un gain politique dans la mesure où le Burundi va pouvoir partager cette expérience avec les autres pays.

Ça sera bénéfique pour le Burundi au niveau interne en termes de l’image du Burundi, au niveau de la région en termes d’un leadership engagé. Au niveau de la coopération internationale, le Burundi sera approché d’une façon ou d’une autre parce qu’il y a beaucoup d’acteurs. Ce n’est pas la partie Sahel qu’on voit, mais il y a d’autres acteurs plus importants qui sont impliqués dans ce qui se passe dans la région du Sahel.

A-t-il des atouts pour réussir sa mission ?

Ça ne sera pas du tout facile, mais je reste confiant que de par l’expérience du Burundi, de par son vécu, il pourra réussir sa mission.

Par ailleurs, depuis un certain temps le président Evariste Ndayishimiye est devenu Champion de l’UA pour la jeunesse, la paix et la sécurité. Alors tout ce qui se passe au Sahel aujourd’hui que ce soit en termes de conflits, que ce soit en termes de reconstruction des Etats du Sahel, la jeunesse est d’une façon ou d’une autre impliquée.

Donc, c’est une bonne opportunité pour le président burundais de pouvoir faire valoir cette casquette de Champion de la jeunesse.

Bien plus, il est le Premier vice-président de l’UA. Ce statut lui donne aussi un avantage par rapport aux autres, un avantage d’approche auprès des autres autorités internationales. Un autre avantage c’est que l’année prochaine, il va devenir le président en exercice de l’UA.

En outre, le fait qu’il y a des pays qui sont dirigés par des militaires et que lui-même est militaire, je pense que le dialogue sera facile et que les défis seront dissipés. Ce sont tous africains et ce sont les africains qui vont se parler entre eux.

Enfin, le fait qu’il a évolué dans un contexte de négociation, de dialogue et qu’il connaît pas mal de gens. Je pense qu’il est beaucoup plus outillé pour pouvoir mener ce contact diplomatique de haut niveau.

Il faudra qu’il identifie les vrais acteurs. Pour qu’un conflit puisse être bien résolu, il faut que les vrais acteurs soient identifiés. Il faut pouvoir approcher tout le monde.

Quid des défis ?

Les obstacles ne peuvent pas manquer. D’abord, il peut y avoir une résistance en termes d’acteurs qui sont impliqués dans le Sahel. Il y a des pays du Sahel qui sont dirigés par des hommes en uniformes. Ces militaires peuvent être intransigeants sur certains points. Il y a une coopération entre ces pays et leurs anciens maîtres qui n’est au bon point.

Un autre obstacle est lié à la réalité sur le terrain qui est peut-être différente de celle qu’il a vécue. Il y a des aléas exogènes qui ne reflètent pas la réalité africaine.

Parmi les pays du Sahel figurent le Mali, le Niger et le Burkina Faso qui ont récemment connus des coups d’Etats et puis suspendus de l’UA. Et le président Ndayishimiye a condamné ses coups de force. En plus, le Burundi fait partie de la CEPGL où il y a des conflits. Pourra-t-il gagner la confiance de ses pairs ?

La diplomatie c’est l’art de pouvoir redresser les choses. Ce qui s’est passé dans ces pays n’est pas une fin. S’il a été désigné comme Envoyé spécial c’est qu’il y a une raison. Vous savez négocier avec certains dans un contexte d’égal à égal peut constituer un avantage.
La région du Sahel est maintenant dans un processus de reconstruction comme d’autres pays. Il y a des chocs.

Mais le président Ndayishimiye n’est pas là pour changer les choses mais pour apporter sa pierre dans cette reconstruction du Sahel. Et cette reconstruction est voulue par les peules du Sahel et non imposée de l’extérieur. On ne peut pas imposer aux peuples un mode de gouvernance, on va les aider à arriver là où ils veulent arriver dans un contexte de paix et non de guerre.

Le chef d’Etat burundais est de l’Afrique centrale. Il va accomplir une mission en Afrique de l’ouest, n’est-ce pas un obstacle de plus ?

En politique, il faut un choix rationnel quand on a une mission. Le président Ndayishimiye sera obligé de faire un choix rationnel, c’est-à-dire s’adapter à la réalité sur le terrain et pouvoir prendre une décision rationnelle dans ce qu’il va faire.

Le président Ndayishimiye a des responsabilités nationales, régionales et continentales. Une autre mission comme Envoyé spécial n’est-ce pas une surcharge ?

Je pense qu’il ne va pas accomplir cette mission étant seul. C’est une mission du Burundi et ce dernier regorge de compétences qui vont l’accompagner. Même au niveau de l’UA, on va devoir l’accompagner.

Il s’observe un manque de dynamisme des organisations en Afrique. Pourquoi des conflits récurrents entre les pays d’une même organisation ?

Tout dépend de l’histoire même de la construction de ces organisations. Ce ne sont pas des organisations qui sont construites au modèle européen où l’intégration a été progressive. Ce sont des organisations qui se sont construites d’une façon opportune avec l’’indépendance des pays africains. La construction des Etats africains s’est heurté à ce dynamisme international de guerre froide.

Explicitez SVP ?

Au moment où ces Etats devraient consommer les indépendances, il y a la guerre froide qui arrive. Et il y a eu une certaine logique de tâtonnement politique en termes de construction de ces Etats africains.

Ce tâtonnement politique a des effets jusqu’aujourd’hui. On saute de l’indépendance à la guerre froide, après on va vers la démocratisation alors que ceux qui nous imposent ces modèles ont déjà atteint un autre niveau.

Autre chose ?

Une autre chose est qu’il n’y a pas de cohésion au niveau du leadership africain. L’histoire a montré qu’il y a eu des chefs d’Etats acquis à la cause nationalisme et d’autres acquis à la continuité de la volonté du colonisateur. Il n’y a pas eu d’unité en termes de leadership africain.

Que faire pour redonner un nouveau souffle à ces organisations ?

Aujourd’hui les choses commencent à bouger. Il y a quand-même des leaders qui comprennent que l’Afrique doit appartenir aux Africains. Il faut des solutions africaines aux problèmes africains.

Il faut regarder les réalités en face des Etats. Il faut aller au-delà des principes qui guident ces Etats. Sinon, on sera toujours dans une incertitude politique. Tout ce qu’on est en train d’être fait n’est pas une fin. C’est tout un processus. Il y aura des casses, bien sûr, mais il y aura aussi des réussites. Je pense que la mission confiée au président burundais s’inscrit dans cet espoir de réussite. Bref, comme je l’ai dit tantôt, il faut des solutions africaines aux problèmes africains.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Dr. Marc Pascal

    L’Afrique pèse quoi au niveau mondial?Le continent ne pèse rien à part ses ressourses naturelles pillées en plein jour.Union africaine financée par union européenne vaut quoi?Rien.L’afrique doit arrêter de se voiler la face et travailler pour être indépendant en résolvant ses propres problèmes.Personne ne viendra au secours des africains si ce n’est eux mêmes.Personne ne veut des africains mais du sous sol afrcains.L’afrique sans les africains tel est l’objectif visé.

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