Par JC Ndorere
Tatien Sibomana était bien plus qu’une figure politique : il était un repère, une icône de sa génération pour ses proches, sa communauté de Gitega et tous les amis d’un Burundi prospère. Homme profondément engagé dans la vie sociale et l’encadrement de la jeunesse, il était reconnu par les ressortissants de Gitega non seulement comme un redoutable politicien, mais aussi comme un leader inspirant dans toutes les initiatives de développement depuis les années 1990.
Dès l’école secondaire, Tatien brûlait d’envie d’aider, de tirer les autres vers le haut. Je peux témoigner de son énergie inépuisable durant ces trente dernières années. En octobre 1993, en pleine tragédie qui secouait le pays après la mort de Ndadaye, il s’activait pour rassembler les rescapés des massacres, alors éparpillés dans des abris de fortune. Il eut ensuite l’idée de mobiliser les jeunes ressortissants de sa commune pour construire des maisons dignes destinées aux survivants. Jusqu’à sa mort, Tatien est resté le porte-parole de ces sans-voix des sites de déplacés intérieurs.
Durant cette même période, il créa avec d’autres proches une association des ressortissants de la zone Murambi pour rassembler les populations et les aider à rester debout malgré les blessures encore béantes. Grâce à lui et à d’autres, dont feu Habonimana Omer, le centre de santé et le collège communal virent le jour sur sa colline de Murambi, apportant un souffle de soulagement à une population qui manquait cruellement de ces infrastructures publiques.
Un homme d’exception
Socialement, tous témoignent l’avoir eu à leurs côtés dans les moments difficiles. Tatien était exceptionnellement empathique, confirme son cofondateur de ladite association. Mon oncle, feu Katihabwa Sébastien, me parlait souvent de lui comme de l’une des voix rares de toute une génération.
En politique, inutile de répéter ce qui est déjà connu : il fut un véritable combattant de l’État de droit. Admirateur du prince Louis Rwagasore, il milita avec ferveur à l’Uprona presque toute sa vie. Mais ce que la grande opinion publique ignore peut-être, c’est son souci profond d’unité. Il était très éloigné des considérations identitaires ou ethniques, malgré ses plaidoiries en faveur des minorités souvent oubliées. Son engagement à aider sa zone en témoigne, alors qu’aucun membre de sa famille proche ou lointaine ne pouvait plus mettre les pieds sur sa colline natale depuis la tragédie qui avait emporté tant des siens. Pour lui, aider les gens à sortir de la pauvreté sans distinction aucune, sans considération partisane, constituait l’une des voies de sortie des conflits interburundais.
L’orateur et le visionnaire
Comme l’un des initiateurs de l’Accord-Cadre pour la restauration de l’État de droit, dont AC Genocide était membre signataire, Tatien Sibomana a inspiré toute une génération. Débatteur et orateur hors norme, on se bousculait pour écouter ses discours au carrefour de Ngagara. On entendait souvent ceux qui arrivaient dans la foule murmurer : « Tasiyano yamaze kuvuga ? Tatien a-t-il déjà parlé ? » Anciens, lycéens, étudiants universitaires, fonctionnaires… tous se faufilaient dans les rangs pour entendre sa parole.
Tatien a lutté contre la maladie mais n’a jamais eu peur de la mort. Avec sa parole libre et juste, on le trouvait parfois trop courageux dans un contexte compliqué. Petite anecdote : un jour, après une sortie médiatique particulièrement audacieuse, je lui demandai s’il n’avait pas peur d’être persécuté. Sa réponse me surprit. Sur son ton habituel d’humour teinté d’ironie, il me répondit : « Mon frère, as-tu oublié comment je m’appelle ? » (Sibomana, rires). Avant d’ajouter : « De toute façon, se taire face à une injustice équivaut à une mort de l’âme. »
Jusqu’au bout, au service des autres
Feu Tatien n’a pas vécu sa maladie dans l’isolement comme le font certains. Même dans la souffrance, il voulait être parmi les gens et à leurs côtés. Surtout, il ne voulait pas qu’on s’apitoie sur son sort. Il préférait rester activement sociable et aider autant que possible. Même rongé par la maladie, il agissait dans les coulisses pour assister les nécessiteux. Homme calme et diplomate, il avait tissé des relations particulières avec certains partenaires et aidé de nombreux jeunes Burundais à décrocher des bourses d’études à l’étranger.
On ne peut épuiser la liste des champs d’action de feu Tatien Sibomana. Officieusement, même ses opposants politiques témoignaient : « Umushingantahe w’Ubuntu. » La famille, ses amis, les infatigables combattants de la liberté pleurent un homme exceptionnel.
Un héritage intemporel
Le Burundi et les Burundais pleurent un vrai patriote. La famille uproniste perd l’un de ses inspirateurs. Il vient de rendre l’âme alors qu’il était encore président d’une association des ressortissants de sa circonscription, avec de nombreux projets dans ses tiroirs et dans sa tête.
Seul regret : la maladie l’a emporté avant qu’il puisse honorer la promesse qu’il m’avait faite lors de nos dernières conversations. Je lui avais demandé d’écrire un livre de témoignages sur sa très riche vie et carrière politique.
Qu’il repose en paix !
Un homme ne meurt vraiment que lorsque plus personne ne se souvient de lui. Tatien Sibomana vivra éternellement dans nos mémoires et dans l’héritage qu’il nous a légué.
La culture veux qu’on ne dise que du bien des disparus
Que la terre lui soit legere.