Jeudi 23 octobre 2025

Économie

Financements extérieurs : le Burundi patine dans décaissement

23/10/2025 0
Financements extérieurs : le Burundi patine dans décaissement
Alain Ndikumana : « Certains projets sont lancés sans tenir compte de leur véritable impact sur le développement du pays. »

Alors que le Burundi bénéficie des financements de plusieurs milliards de dollars (USD) de la part de ses partenaires au développement, une réalité inquiétante émerge. Une grande partie de ces ressources reste inutilisée alors que la population attend des projets concrets.

Dans une réunion tenue le 9 octobre 2025 avec les unités de coordination des projets financés par les partenaires au développement, le ministre des Finances, du Budget et de l’Économie numérique, Alain Ndikumana, a dénoncé le faible taux de décaissement des fonds comme un frein majeur à la croissance du pays.

Selon lui, sur près de deux milliards USD alloués par la Banque mondiale, seuls 21,4 % ont été décaissés laissant plus de 1,6 milliard USD inutilisés. Le ministre a également cité d’autres institutions comme la Banque africaine de développement (BAD) et le Fonds international de Développement agricole (FIDA), où les taux de décaissement restent également très faibles.
M. Ndikumana estime que cette situation découle avant tout d’une mauvaise identification des projets beaucoup étant conçus sans hiérarchiser les priorités nationales. « Certains projets sont lancés sans tenir compte de leur véritable impact sur le développement du pays ».

Il a par ailleurs souligné la nécessité pour les bénéficiaires de s’approprier pleinement les projets et pour les unités de coordination de faire preuve de compétence et de rigueur. Il a pris pour exemple le projet du barrage hydroélectrique Jiji-Murembwe, initié en 2011 mais toujours en retard alors qu’il devait être achevé depuis plusieurs années.

Le ministre des Finances a appelé à revoir la méthode de sélection et de gestion des projets en insistant sur la volonté politique et la discipline comme clés du changement. Il a rappelé qu’une meilleure utilisation des financements extérieurs permettrait non seulement d’accélérer la mise en œuvre des programmes de développement mais aussi de renforcer la stabilité économique du pays, notamment en réduisant « la pénurie de devises étrangères ».


Réactions

Faustin Ndikumana : « Il est urgent de restaurer la crédibilité du pays à travers une gouvernance axée sur les résultats »

Pour le directeur national de Parcem, le faible capacité d’absorption des financements extérieurs résulte d’un problème ancien et structurel. Il estime que cette situation perdure depuis plus d’une décennie, rappelant qu’en 2012, lors du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP II) à Genève, à peine 20 % des engagements avaient été mobilisés.
Selon lui, le Burundi accuse depuis longtemps un retard considérable dans l’accès et l’utilisation des fonds internationaux. Alors que d’autres pays avaient déjà bénéficié des huitième ou neuvième Fonds européens de développement (FED), le Burundi, lui, en était encore à sa deuxième phase. Les décaissements restaient faibles. Ce qui rend difficile la mise en œuvre effective des projets prévus.

D’après M. Ndikumana, cette lenteur a des conséquences directes sur les infrastructures, l’énergie, la santé, l’eau, l’internet et même sur l’approvisionnement en carburant. Il estime que ces projets auraient pu renforcer la production nationale et contribuer à améliorer les recettes en devises et si les financements avaient été correctement utilisés.
Il considère que les causes principales de cette situation résident dans « la corruption et le clientélisme » qui gangrènent la gestion publique.

Pour lui, il est urgent de restaurer la crédibilité du pays à travers une gouvernance axée sur les résultats. Il plaide pour un recrutement transparent et compétitif des cadres chargés de la gestion des projets, qu’ils soient nationaux ou étrangers, en vue de garantir l’efficacité et la rigueur dans l’exécution des programmes.

L’économiste estime également que le Burundi doit reconnaître qu’il a encore « besoin de l’aide publique au développement pour son démarrage » afin de financer ses projets d’infrastructures et soutenir sa croissance. Il rappelle qu’au sein du budget de l’Etat, une rubrique consacrée aux appuis-projets prévoit plus de 1 300 milliards de FBu.

Il juge indispensable d’améliorer la note du pays dans le rapport de l’évaluation des politiques et des institutions nationales (CPIA) de la Banque mondiale, en travaillant sur les critères de gouvernance et de gestion des institutions publiques.

Gabriel Rufyiri : « Ce problème découle avant tout d’une gestion politisée des projets »

Le président de l’Olucome estime que la faible exécution des projets financés par les partenaires au développement s’explique principalement par l’incapacité d’absorption au sein des structures chargées de leur mise en œuvre.

Selon lui, ce problème découle avant tout d’une gestion politisée des projets. Il déplore que des postes de responsabilité soient confiés à des personnes nommées pour leur appartenance politique plutôt que pour leurs compétences.

Gabriel Rufyiri insiste sur la nécessité de recruter sur base des compétences et de l’expérience professionnelle. Il cite en exemple le mode de sélection pratiqué à l’Office burundais des recettes (OBR).

Kefa Nibizi : « Le clientélisme mine la gestion des projets »

Le président du parti CODEBU déplore l’incapacité du gouvernement à exploiter les aides extérieures alors que le pays manque cruellement de devises. Il estime que cette situation traduit un manque de volonté et d’efficacité dans la conduite de l’action gouvernementale. Selon lui, les autorités se limitent trop souvent à des discours alarmistes au lieu de proposer des solutions concrètes et progressives pour améliorer la gestion des fonds.

Il évoque également des difficultés liées au système de cogestion entre le gouvernement et les bailleurs, où certains décaissements sont retardés faute d’autorisations rapides.

Une autre cause réside, selon lui dans le manque de réalisme dans la conception des projets souvent élaborés pour plaire plutôt que pour répondre aux besoins concrets du pays. Ce qui rend leur exécution difficile dans les délais prévus.

Le président du Codebu estime que les conséquences sont graves : retard du développement, aggravation de la crise économique et accentuation de la carence en devises.

Il appelle le gouvernement à analyser en profondeur les causes de ces blocages, à renforcer la rigueur dans le recrutement des cadres des unités de gestion et à s’inspirer des pays performants pour améliorer le taux de décaissement.

Olivier Nkurunziza :« Certains responsables privilégient l’enrichissement personnel »

Le président de parti Uprona estime que l’incapacité à absorber les financements extérieurs découle du recours à des critères partisans dans la nomination des responsables des projets. Ces responsables sont souvent recrutés parce qu’ils sont militants du parti au pouvoir et non pas parce qu’ils sont capables de suivre rigoureusement les consignes des bailleurs ou de gérer correctement les projets.

Il déplore que certains responsables privilégient l’enrichissement personnel aux dépens de l’exécution efficace des programmes en ignorant les besoins concrets de la population. Selon lui, cette situation est renforcée par le dysfonctionnement du marché public, les lourdeurs administratives et la corruption, qui ont freiné la mise en œuvre des projets depuis plusieurs années.

Pour M. Nkurunziza, il est essentiel que le gouvernement recrute des personnes de valeur, compétentes et honnêtes, indépendamment de leur appartenance politique. Il estime nécessaire de former ces responsables et de remplacer sans tarder ceux qui ne sont pas à la hauteur, afin d’éviter la perte des financements vitaux.

Le président de l’UPRONA estime que ces mesures sont essentielles pour accélérer les projets et assurer que les fonds profitent réellement aux Burundais.

 

Analyse de Jean Ndenzako : « Le faible taux de décaissement traduit un double blocage administratif et politique. »

 

Le Burundi peine à utiliser les financements de ses partenaires au développement, notamment ceux de la Banque mondiale. L’économiste Jean Ndenzako explique comment la gouvernance, la planification et la politisation freinent la mise en œuvre des projets de développement.

Comment expliquez-vous le faible taux de décaissement des projets financés par la Banque mondiale au Burundi ?

Ce faible taux traduit un déséquilibre profond entre les ambitions affichées des programmes de développement et la réalité institutionnelle du pays. Le problème ne se limite pas à la lenteur bureaucratique. Il touche à la gouvernance publique, à la faiblesse de la planification et à une perte de crédibilité vis-à-vis des bailleurs.

Quels sont les principaux freins sur le plan administratif ?

Le premier frein, c’est la gouvernance administrative. Le système public burundais reste marqué par une centralisation extrême : chaque décision, qu’il s’agisse d’un appel d’offres ou d’une nomination, doit remonter très haut dans la hiérarchie.

Cette verticalité ralentit tout le processus de mise en œuvre. Les retards dans la signature des conventions, les changements fréquents de ministres ou de directeurs, et la faible autonomie des unités de gestion bloquent l’exécution des projets. Souvent, les fonds sont disponibles, mais les conditions administratives locales pour les mobiliser ne le sont pas.

Qu’en est-il de la capacité institutionnelle ?

Elle demeure très fragile. Les unités de gestion des projets manquent de compétences techniques, de personnel qualifié et d’outils modernes.

Les spécialistes en passation de marchés ou en suivi-évaluation sont rares et souvent attirés par de meilleures opportunités dans les ONG ou les agences internationales. Cette instabilité du personnel nuit à la continuité et compromet l’application rigoureuse des procédures exigées par la Banque mondiale.

Et sur le plan politique, quel rôle joue la relation entre l’Etat et les bailleurs ?

La dimension politique est déterminante. Depuis la crise de 2015, la méfiance entre l’État et les bailleurs s’est accentuée. Certains décaissements ont été suspendus ou ralentis par précaution, faute de garanties sur la transparence et l’utilisation des fonds.

La politisation de l’administration et le favoritisme dans l’attribution des marchés publics ont également sapé la confiance. La Banque mondiale exige des audits indépendants et des preuves de conformité, mais leur validation traîne souvent dans les circuits administratifs. Ce qui retarde encore les paiements.

Les projets de la Banque mondiale sont-ils bien intégrés dans les priorités nationales ?

Beaucoup de projets sont conçus avec une forte composante technique, mais aussi avec une faible intégration dans les priorités réelles du pays. Certains ministères les perçoivent comme des initiatives imposées de l’extérieur plutôt que comme des instruments de politique publique nationale.

Cela entraîne une faible appropriation, un manque de coordination et un suivi limité après le lancement.

Comment résumeriez-vous la situation actuelle ?

Le Burundi se trouve face à un double verrouillage : administratif et politique. Le pays dépend de l’aide extérieure mais peine à absorber les financements disponibles, à cause de la rigidité des circuits internes, du manque de contrôle budgétaire et de la coexistence de plusieurs systèmes de gestion qui ne communiquent pas entre eux.

Tant que la gouvernance ne sera pas plus transparente, que la chaîne de décision restera politisée et que les capacités d’exécution ne seront pas renforcées, les décaissements continueront à stagner malgré la disponibilité des fonds.

Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu

Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.

Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.

Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.