Est-ce que les journalistes ont failli à leur mission ou l’ont-ils accomplie ? C’est une question que certains Burundais se posent. Difficile à répondre. Selon les témoignages des journalistes qui étaient sur terrain, ils ont joué la carte de la « survie ». « Comme se dit de plus en plus dans le milieu : un bon journaliste est un journaliste vivant. Il fallait s’armer d’une certaine retenue pour pouvoir écrire sur ces dernières élections », confie un journaliste.
La veille des élections, dans la matinée, plus de 250 journalistes se sont rassemblés à « La Maison de la Presse », leur “État-major” habituel, en vue de leur déploiement dans différents coins du pays pour la couverture du scrutin.
Des consignes leur sont données : « Allez couvrir les élections et faites votre travail, mais évitez de donner des informations alarmistes. Un incident isolé ne doit pas entacher tout le processus. Ne soyez pas des reporters des incidents. »
Des propos qui ont fait tiquer plus d’un, avant qu’un autre membre de la coordination de cette synergie ne vienne sauver la mise en appelant les journalistes à faire preuve de professionnalisme.
Un journaliste d’un média privé confie :
« Cela suffisait à créer chez les journalistes un sentiment d’inquiétude, voire de peur, les incitant à rester sur leurs gardes pour éviter de s’attirer des ennuis. »
Et d’ajouter :
« À la rédaction centrale, seules les informations relatives au vote des hautes autorités semblaient intéressantes et étaient privilégiées. L’équipe de validation des reportages avait à elle seule le pouvoir de publier ou non les informations reçues. Il y avait une sorte de filtre. »
Selon les témoignages de plusieurs journalistes, les véhicules n’ont été disponibles qu’après 16 heures. « Personnellement, je suis arrivé en province à 22 heures. Travailler dans ces conditions était très pénible. On nous avait demandé d’arriver à la Maison de la Presse à 8 h 30. Les organisateurs de la synergie sont arrivés à 9 h 45 pour se réunir dans une salle avant de nous donner leurs directives. Ils ont tenu des conciliabules, puis sont venus nous informer que le carburant était disponible et que les véhicules faisaient la queue devant une station désignée.
Les journalistes devant couvrir des provinces éloignées comme Kirundo et Cankuzo ne sont partis qu’après 16 heures. D’autres ont quitté vers 22 heures. Ils étaient toujours coincés à la Maison de la Presse, devenue leur QG. Du point de vue logistique, c’était mal organisé. Tout a pris du retard », confie un journaliste.
La vie sur le terrain
D’après les témoignages recueillis, le jeu était faussé d’avance : centralisation de la synergie des médias au sein du ministère de la Communication, reportages dits « de paix », censure, intimidations…
Pour les professionnels des médias, tous les ingrédients étaient réunis pour compromettre la couverture du scrutin.
« Sur le terrain, le chef de desk contrôlait tout. J’aime mon métier, mais j’ai été privé de ce droit. J’ai eu l’impression que tout était préparé à l’avance », confie un journaliste chargé de la couverture dans la province élargie de Burunga.
« Ne vous y trompez pas, le terrain restait miné. Là où nous sommes passés, dans la province de Burunga, nous n’étions pas les bienvenus. Au moment du dépouillement, le président d’un centre de vote nous a tout simplement expulsés des bureaux, avec des menaces. Il nous a sommés de reculer à 50 mètres, comme des indésirables, des témoins gênants. »
Selon ce journaliste, même certains mandataires de partis politiques ont également été chassés.
« Ce qui nous a le plus blessés, c’est que nos articles relatant les irrégularités ont été censurés par les responsables de la synergie. Mais lorsque les irrégularités ne concernaient pas le CNDD-FDD, elles étaient publiées. »
Un autre journaliste, posté au centre du pays, témoigne : « Les articles évoquant les irrégularités n’étaient pas validés pour publication. Il y avait une forme de censure qui ne disait pas son nom. Les responsables de la synergie exigeaient des informations positives et rassurantes. On ne pouvait pas faire autrement. Il fallait danser au rythme imposé. D’ailleurs, un bon journaliste est un journaliste vivant. On ne cessait de nous le rappeler. »
Il précise : « Il y avait un groupe WhatsApp où il fallait envoyer nos propositions. Celles validées étaient publiées en ligne. Celles qui déplaisaient au coordinateur étaient rejetées. Les journalistes issus des médias privés n’avaient pratiquement pas voix au chapitre. »
Un autre journaliste, basé dans la province de Burunga, confie : « Il y avait une rédaction centrale, peut-être avec ses propres consignes. Des reportages ont été envoyés, mais leur publication se faisait attendre en vain. Honnêtement, les journalistes n’étaient pas libres de rapporter les faits réels. Beaucoup de nos articles ont été censurés. On constatait de nombreuses irrégularités, mais on se demandait où les publier. Certaines informations ne passaient tout simplement pas. Le CNDD-FDD occupait la première place dans nos publications. Rien n’était professionnel dans cette synergie : ce n’était que de la communication. »
Un journaliste ayant travaillé dans la province de Butanyerera renchérit : « La censure était bien réelle. On nous a demandé de faire des “reportages de paix”. C’était un langage euphémisé, mais les dés étaient jetés. On collectait des informations, on les partageait, mais elles étaient censurées. »
Un autre journaliste, basé dans la province de Gitega, abonde dans le même sens : « Jusqu’à aujourd’hui, je me pose une question : pourquoi sommes-nous allés sur le terrain ? On nous avait demandé des reportages basiques : nombre d’électeurs, problèmes logistiques, etc. En 2020, par exemple, le vrai défi était de suivre le dépouillement et d’annoncer les tendances. Ce droit nous a été confisqué. Le Code électoral nous l’interdit formellement. »
Un vaste territoire pour peu de journalistes
Avec le nouveau découpage territorial, la gestion des zones à couvrir était problématique : « Les journalistes étaient peu nombreux pour couvrir les nouvelles communes élargies. Il fallait cibler les bureaux de vote, et le carburant prévu était insuffisant pour certaines provinces », indique un journaliste affecté à la nouvelle province de Buhumuza.
« Couvrir une commune entière était difficile. Vu l’ampleur du travail, nous étions en sous-effectif. On nous avait prévenus que si le carburant était mal géré, il serait impossible de rentrer à Bujumbura. Il fallait s’organiser en conséquence. C’était mission impossible de couvrir seul un si vaste espace, avec peu de carburant. Cela a nui à la qualité de la couverture », ajoute un autre journaliste.
Interrogé sur la censure évoquée, le directeur de la communication au sein du ministère de la Communication et responsable de la synergie des médias, Oscar Ndihokubwayo, affirme que la synergie s’est bien déroulée.
« Cette synergie était une sorte de piège. Aucune irrégularité grave n’a été signalée alors que les journalistes étaient sur le terrain. Lorsque les politiques dénoncent ces irrégularités, on les traite de menteurs. C’est regrettable. Lors de leurs interventions, le président de la Commission électorale nationale indépendante, Prosper Ntahorwamiye, ou le porte-parole François Bizimana, prenaient les journalistes à témoin, alors que ceux-ci n’étaient pas libres de faire leur travail », analyse un journaliste senior.
Une couverture superficielle. On l’a senti cher Fabrice. J’ai lu pas mal d’articles et je me suis interrogé…Bon, c’est une démocratie procéduraliste, ne t’en fais pas. Restez debout!!