Mercredi 29 octobre 2025

Économie

Crise du logement : Un casse-tête

14/09/2025 et Commentaires fermés sur Crise du logement : Un casse-tête
Crise du logement : Un casse-tête
Dans la ville de Bujumbura, il s’observe une flambée des prix des loyers

Les prix des loyers dans la ville de Bujumbura explosent. Parfois du simple au double, voire au triple. Les locataires ne savent plus à quel saint se vouer et accusent les bailleurs de spéculer. Inflation, appauvrissement de la population, présence massive des Congolais, une très forte demande, … les explications ne manquent pas. Au moment où certains demandent une régulation des prix des loyers par les pouvoirs publics, les économistes trouvent que le contrôle autoritaire des loyers constitue une réponse illusoire à une problématique complexe.

A une semaine de la cérémonie de son mariage, Elvis était au bord de l’AVC. Il n’arrivait pas à trouver une maison. « On m’a montré plusieurs maisons dans les quartiers Kinanira II et Kanyosha, mais les prix du loyer étaient exorbitants. Ils variaient entre 800 mille et 1 million de BIF par mois. Sans oublier la commission des commissionnaires. » Il a sillonné tous les quartiers du sud de la ville, mais les prix étaient presque identiques. « A Kanyosha, j’ai trouvé une maison de 2 chambres à 500 mille BIF, mais le propriétaire m’a demandé une avance d’une année. En plus des préparatifs du mariage, trouver 6 millions de BIF pour un jeune couple, c’est très difficile. »

A deux jours du mariage, il a opté pour une maison de 800 mille BIF à Kinanira II parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. « Ma femme n’a pas d’emploi, je ne sais pas comment je vais me débrouiller. »

Jean-Claude, un habitant du quartier Kinanira II, fustige le comportement actuel des propriétaires. « Un ami voulait déménager car il venait de terminer la construction de sa propre maison. Je suis allé voir le propriétaire, car mon ami m’avait dit qu’il paie 400 mille BIF par mois pour une maison de 3 chambres. J’ai été surpris lorsque le propriétaire m’a annoncé que le loyer est fixé désormais à 1 million de BIF. »

Une situation généralisée

« Il y a quelques mois, une maison de 2 chambres et un salon était à 100 ou 120 mille BIF. Aujourd’hui, il faut débourser 350 ou 400 mille BIF », témoigne Anatole, un habitant du quartier Mutakura de la commune Ntahangwa dans la ville de Bujumbura. De plus, trouver une maison d’habitation libre est un parcours d’un combattant. « Il faut avoir de l’argent sur toi pour payer l’avance. Dernièrement, on s’était convenu avec le bailleur sur un loyer de 350 mille BIF par mois. Le temps d’aller chercher l’argent, le bailleur avait changé d’avis parce qu’un autre locataire lui avait donné 400 mille BIF. C’est frustrant, car l’autre bailleur me harcelait tout le temps de lui remettre sa maison. Lui aussi veut hausser le prix du loyer. »

Salathiel est un père de famille avec deux enfants. Dans sa maison, il héberge également d’autres membres de sa famille. Au total, huit personnes y vivent. En l’espace de trois ans, le loyer de leur logement a connu une hausse vertigineuse, passant de 300 mille BIF à 800 mille BIF, soit une augmentation de plus de 140 %.

« Nous sommes arrivés à Bwiza en juin 2022. A l’époque, le loyer pour deux chambres et un salon était de 300 mille BIF par mois », raconte-t-il. « Au début de l’année 2024, le propriétaire a augmenté le loyer de 100 mille BIF. Puis, vers le mois de novembre 2024, il nous a informé qu’il fallait désormais ajouter 300 mille BIF de plus. Il nous a clairement dit que c’était à nous de choisir : soit nous payons, soit nous quittons la maison. Comme il devient très difficile de trouver un logement à Bujumbura, nous avons décidé de rester et de payer la somme demandée. »

Sans même attendre la fin de l’année, le propriétaire leur annonce une nouvelle augmentation. « Au début du mois d’août de cette année, il nous a dit que, dès octobre, le loyer passera à 800 mille BIF. Il a précisé que si nous sommes d’accord, nous pourrons rester. Dans le cas contraire, il nous remboursera ou nous laissera consommer l’avance. » Salathiel nous sait plus à quel saint se vouer.

Dans plusieurs quartiers de la ville de Bujumbura, le scénario est le même. Les loyers ont augmenté du simple au triple en moins de 3 ans. Les propriétaires justifient cette hausse par une inflation généralisée des produits alimentaires et des matériaux de construction. « Dans le temps, on attendait au moins deux ans pour augmenter le loyer. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Le haricot, le riz, …, les prix de tous les produits de première nécessité augmentent chaque jour. Il faut que nos familles mangent », confie un propriétaire de maison de la zone Nyakabiga.

« Nous avons aussi des problèmes. La hausse des prix des produits alimentaires nous concerne tous. Nos salaires n’ont pas augmenté pour autant. Nos conditions de vie sont déplorables et elles se détériorent du jour au lendemain », indique un habitant de Nyakabiga. « Lorsqu’on touche moins de 350 mille de BIF, où veux-tu qu’on trouve 700 mille BIF pour le loyer. Il y aura toujours des problèmes entre les locataires et les bailleurs. Les prix des denrées alimentaires ne montent pas pour les seuls propriétaires des maisons. Nous aussi, nous souffrons. Il faut fixer le prix que les Burundais moyens peuvent payer », renchérit un autre habitant de la zone Bwiza.

Spéculation ou inflation galopante ?

Les locataires crient à la spéculation à cause d’une arrivée massive des Congolais qui ont fui la guerre à l’Est de la RDC. Pour le bien du locataire et du bailleur, certains locataires trouvent qu’il faut fixer un plafond du loyer tout en tenant compte des standards des quartiers. « Il ne faut pas donner la latitude aux bailleurs de hausser les loyers comme ils veulent. »

Selon Alexis Manirakiza, juriste et professeur d’universités, les relations entre bailleurs et locataires relèvent d’un cadre contractuel. « Selon la loi, le contrat légalement formé tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait. Il ne peut être révoqué que de commun accord. Cela signifie qu’en droit, l’une des parties au contrat de bail, en l’occurrence le bailleur, n’a pas le droit de modifier unilatéralement les termes du contrat, comme le loyer. Pour cela, il faut l’accord du locataire. »

Le juriste fait savoir que les contrats de location sont de deux sortes. Il y a le contrat de location à durée fixe ou déterminée et le contrat de location sans durée fixe. « Si le contrat de location est à durée fixe, le refus du locataire de donner l’accord de modification du loyer n’entraîne pas la fin du bail tant que le temps pour lequel il a été contracté n’a pas expiré. » En revanche, si le bail est à durée indéterminée, le bailleur peut décider de mettre fin au bail à tout moment pourvu qu’il ait donné un préavis au locataire. « Le refus du locataire d’accepter la modification du loyer peut dans ce cas être contourné par cette possibilité si le bail est à durée indéterminée. »

Alexis Manirakiza fait savoir que les bailleurs peuvent abuser de cette possibilité de pression sur les locataires pour augmenter les loyers comme ils veulent. « Il y a des pays qui ont décidé d’encadrer les loyers, surtout dans les grandes villes, en vue de protéger les locataires qui se retrouvent dans une situation de vulnérabilité par rapport aux bailleurs. C’est le cas par exemple à Paris et à Bruxelles. Rien n’empêcherait de s’en inspirer même au Burundi. »


Réactions

Evariste Ngayimpenda : « L’origine de cette situation, c’est la croissance urbaine »

La flambée des loyers dans la ville de Bujumbura inquiète de plus en plus certains ménages. Entre plaintes des locataires et difficultés des propriétaires à rembourser leurs crédits, la question du logement révèle un déséquilibre profond du tissu économique burundais. Evariste Ngayimpenda, expert en démographie, analyse les causes et les conséquences de cette situation.

« Ce qui est à l’origine de cette situation, c’est d’abord la croissance urbaine qui est tout à fait un phénomène normal. La multiplication des personnes de troisième âge dans les villes produit nécessairement un impact sur l’offre et sur la demande du logement ».

Mais, au-delà de la simple demande, les coûts de construction jouent un rôle central. Le prix des briques, des tôles ou des fers à béton est fortement dépendant des variations de la monnaie et du carburant. « Même la brique qui est supposée être une production locale ne l’est pas tout à fait à partir du moment où pour la transporter, il faut des camions, des bennes, du carburant. » M. Ngayimpenda explique qu’à la moindre crise du carburant, les prix flambent, et par ricochet, les loyers suivent la même tendance.

Les salaires des ouvriers et des maçons connaissent également une hausse rapide. « À moins de cinq ans, les salaires ont doublé. Donc, c’est tout à fait normal que les prix des loyers doublent ».

Cependant, la hausse des loyers n’épargne personne. Si les locataires dénoncent des prix prohibitifs, les propriétaires ne se sentent pas pour autant favorisés. Evariste Ngayimpenda précise que : « Autant les locataires se plaignent de la hausse des loyers, autant les propriétaires se plaignent que ce qu’ils reçoivent est absolument insuffisant pour rembourser les crédits qu’ils ont dû contracter. » Il s’agit d’une manifestation sectorielle du processus d’appauvrissement général de la société burundaise ».

Face à cette situation, il appelle l’Etat à jouer un rôle clé. La solution passe par une politique active de production de parcelles à bon marché et à crédit, mais surtout par la relance du tissu économique. « Le plus important, il faut absolument que l’État pense à promouvoir le tissu économique. Le tissu économique, c’est le tissu industriel pour faciliter la fluidité des mouvements et du transport et par-dessus tout, créer l’emploi. »

Selon lui, créer l’emploi est améliorer le climat des affaires, c’est absolument sécuriser les investissements, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. « C’est surtout trouver des mécanismes beaucoup plus attractifs pour les investissements de manière à ce qu’il y ait une impulsion dans le secteur de l’emploi, pas dans les offres d’emploi, parce que les offres d’emploi publiques ne sont pas du tout créatrices de richesses, elles sont juste créatrices de salaires qui ne constituent en rien une impulse économique ».

Noël Nkurunziza : « Il y a un désordre dans la fixation des prix des loyers. »

Le secrétaire général de l’Association burundaise des consommateurs (Abuco), Noël Nkurunziza, constate une situation devenue insoutenable pour de nombreux ménages. « Depuis un certain temps, il y a du désordre dans les prix des loyers où les consommateurs ne savent plus à quel saint se vouer devant des propriétaires qui augmentent le coût du loyer au jour le jour. »

Selon lui, cette spéculation, qui profite essentiellement aux propriétaires, fragilise non seulement les locataires, mais aussi l’État. En effet, les augmentations anarchiques ne sont pas déclarées, ce qui prive le gouvernement de recettes fiscales légitimes. « Le service de l’État qui est en charge du suivi, de la réglementation des loyers doit normalement jouer le jeu pour essayer de limiter cette spéculation qui n’est là que pour l’intérêt des propriétaires des maisons parce que dans cette situation, le consommateur perd et l’État ne gagne pas sur les redevances qu’il devait gagner sur les loyers d’autant plus que ces augmentations ne sont pas signalées à qui de droit. » Pour l’Abuco, il devient urgent de rétablir un équilibre qui prend en compte les intérêts de toutes les parties.

Faustin Ndikumana : « C’est la conséquence d’une période de mauvaise planification sans politique claire dans le secteur du logement. »

« Le marché de location part de l’investissement dans l’immobilier. Ça veut dire qu’on construit une maison à partir des fonds propres ou à partir d’un crédit contracté auprès des institutions financières et qui sera payé avec des intérêts. Faire louer sa maison a pour objectif de rembourser, soit un crédit, de compléter ses revenus ou de survivre pendant la période de la retraite. »

Le directeur national de Parcem indique qu’aujourd’hui, le système de sécurité sociale au Burundi est très défaillant pour parvenir à disponibiliser des revenus permettant aux retraités de vivre décemment. « Acquérir une parcelle dans la ville de Bujumbura et parvenir à la construire, ça demande des moyens extrêmement élevés alors que l’accès au crédit aussi est actuellement difficile. »

Selon Faustin Ndikumana, les locataires sont de jeunes couples, de jeunes gens, ou même de vieux couples qui ne sont pas encore parvenus à acquérir une parcelle. « Nous venons de passer une longue période sans qu’il y ait une politique de logement au Burundi de la part du gouvernement. Une politique de logement permettant de promouvoir un secteur immobilier qui construit des logements simples, adaptés aux jeunes couples pour un prix abordable. »

Et de rappeler : « La mentalité au Burundi a toujours été celle de construire, dans de grandes parcelles clôturées, des immeubles qui ne sont pas des appartements. Au Burundi, il n’y a pas de logements adaptés aux jeunes couples, donc des appartements comme on le voit ailleurs, pour permettre aux gens d’acquérir des logements à un prix abordable. On voit une parcelle grande avec des jardins et parvenir à la louer devient un casse-tête. »

M. Ndikumana souligne que seuls des anciens quartiers offrent des logements simples, mais eux aussi deviennent de plus en plus débordés. « La demande a actuellement explosé suite aux réfugiés congolais. Aujourd’hui, la demande est très supérieure à l’offre de location. »

Quid de l’inflation ?

« Aujourd’hui, nous vivons une inflation inimaginable de plus de 40%. Les prix du marché pour plusieurs marchandises ont doublé ou presque triplé. Là où l’on bat blesse, c’est que la grande partie des produits qui influencent cette inflation sont des produits alimentaires, alors qu’ils sont des besoins vitaux. Pour parvenir à couvrir ces charges, certains propriétaires font recours aux revenus des loyers. Dans certains cas, ils sont aussi obligés d’augmenter leurs loyers pour parvenir à survivre. »

D’après Faustin Ndikumana, il serait difficile d’imposer à un propriétaire d’un logement le prix qu’il faut appliquer comme loyer. « Toute régulation dans ce secteur serait spéculative ou contraignante vu la spirale inflationniste actuelle. C’est la conséquence de toute une période de mauvaise gouvernance, de mauvaise planification, sans politique économique claire ou sociale dans le secteur du logement. » Malheureusement, ça se fait beaucoup plus sentir parce que le logement est parmi les besoins les plus vitaux.

Faustin Ndikumana trouve que la solution passerait par un redressement de l’économie toute entière, avec une politique claire et volontaire de lutter contre cette inflation. « C’est toute une gamme de mesures qui seraient prises de façon systémique pour qu’on aboutisse à un résultat. On ne peut pas agir sur un seul levier aujourd’hui et voir des changements immédiats. Malheureusement, c’est ça la réalité. »

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