Jeudi 23 octobre 2025

Économie

Chroniques d’une résilience obstinée

05/09/2025 1
Chroniques d’une résilience obstinée

Par Thérence Niyongere

Poète économiste à propulsion électrique !

Chronique 7 : Le service public au Burundi, ou l’art de patienter debout

Qu’est-ce que le service public, au juste ? Une main tendue vers le citoyen, une assistance rapide et efficace, un sourire au guichet ? Ou bien est-ce, chez nous, une école nationale de la patience et de la philosophie appliquée ? La question mérite d’être posée, car au Burundi, le service public a pris une tournure tellement originale qu’il mérite une chronique entière, une pièce de théâtre à ciel ouvert.

Au Burundi, dans certaines administrations publiques, chercher un service public revient parfois à entrer dans un labyrinthe où l’attente, l’improvisation et la patience remplacent l’efficacité attendue, où le temps obéit à d’autres lois que celles de l’horloge. … Tu arrives tôt le matin, dossier en main, comme un soldat qui va au combat. Tu crois qu’en étant le premier, tu seras servi vite. Erreur ! Dès l’ouverture, le personnel est là, mais certains sont plus absorbés par leurs téléphones que par la file qui s’allonge. D’autres préfèrent se lancer dans des blagues entre collègues, riant à gorge déployée, comme si les citoyens en attente n’étaient que des spectateurs d’une comédie qui n’a pas été répétée. Et parfois, suprême humiliation, tu les vois sortir, traverser la salle en te regardant fixement… sans même t’adresser une parole, pas un mot d’excuse, pas même un « Rindire gato », juste un silence qui pèse.

Moi-même, je l’avoue, j’ai vécu une scène mi-burlesque, mi-tragique. Je m’étais rendu dans un bureau pour rencontrer une autorité, pensant que mes préoccupations trouveraient enfin oreille attentive. Mais voilà que le secrétaire, me fixant de son regard lourd de lassitude, me lança, sans la moindre gêne : « wazibiye inzira, za uraraba uwutuma apana wewe kuza ngaha » (Tu as bloqué le passage, dis ce que tu veux à quelqu’un, il nous le transmettra, au lieu que tu viennes ici). J’étais stupéfait : mes mots concernaient ma vie personnelle, mes inquiétudes profondes, et voilà qu’on me conseillait de les transformer en message codé à transmettre par messager anonyme ! … Et tout cela, devant une foule de citoyens qui attendaient patiemment leur tour, … je n’ai pas pleuré à haute voix, non, mais au-dedans de moi, mon âme s’est noyée de larmes invisibles.

Et pourtant, malgré tout cela, les Burundais ne renoncent pas. Ils reviennent encore et encore. Même après avoir fait dix allers-retours pour une même signature, ils gardent leur calme. Même après avoir été ignorés au guichet par un agent plus préoccupé par Facebook que par les formulaires, ils continuent à espérer, … parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que la vie continue, parce que la résilience est notre carburant secret.

Une administration publique inefficace ralentit considérablement l’économie nationale, gaspille le temps précieux des citoyens et augmente les coûts des transactions, obligeant parfois à multiplier les démarches ou à abandonner des projets. Cette lenteur décourage l’investissement et freine la compétitivité du pays.

Pour redonner dignité et efficacité au service public, il est indispensable de considérer chaque action comme une véritable mission, guidée par l’éducation civique, la responsabilité et la rigueur, transformant ainsi le service rendu au peuple en levier de croissance et de confiance.
Alors, chers lecteurs, … jusqu’à quand allons-nous applaudir notre propre patience sans exiger l’efficacité ? Est-ce que le citoyen burundais est né pour attendre indéfiniment ? Ou bien viendra-t-il un temps où le service public redeviendra ce qu’il devrait être : un espace d’écoute, de rapidité et de respect ?

Rendez-vous vendredi prochain, même heure, même esprit, pour une nouvelle chronique au parfum burundais

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Niyonizigiye

    Regrettable ,
    étant chanceux, avoir un titre de propriété de ma maison m’a pris deux ans.
    chanceux oui, j’y ai croisé un qui venait de faire 3 ans, et ce jour il a reçu comme réponse :
    Reka kugorana dossier yawe yarazimiye .
    Un autre personne à été stupéfaite d’entendre que son titre de propriété est dans les mains de la banque x comme hypothèque alors qu’il n’a jamais contracté un crédit.

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