Par Thérence Niyongere
Poète économiste à propulsion manuelle
Quand le carburant devient légende et la mobilité, une aventure : récit d’une nation au ralenti.
« Vous avez dit pénurie ? Non, cher lecteur… manque de carburant est un euphémisme. Ce que vit le peuple burundais, c’est une épopée nationale, un théâtre d’absurde où l’essence est devenue plus rare que la pluie en plein désert. »
Il était une fois… la semaine dernière, moi-même, humble serviteur de l’encre et de la mobilité à roulettes, je me rendais au centre de Bubanza. Là-bas, le mot “station-service” est presque relégué au rang de mythe ancien, à tel point que même les enfants nés après 2020 croient que c’est un vieux conte raconté au coin du feu. Les stations-service ? Et à la place des pompes à essence, ce sont des bouteilles en plastique (appelées IBIBUNI) qui trônent fièrement, remplies d’un liquide doré aussi précieux que de l’or : 30 000 à 50 000 FBu le litre ! Oui, tu as bien lu, cher lecteur : le carburant se vend désormais en cachette, au prix du désespoir.
Mobilité ou miracle ?
Ce jour-là, j’ai passé des heures sans trouver un taxi. Et pour cause : les chauffeurs ont presque tous garé les véhicules. D’un côté, ils fuient la répression : on dit que la police arrête ceux qui augmentent les prix, et de l’autre, ils n’ont même plus de quoi remplir leur réservoir. Une double peine. Un paradoxe national.
Et pourtant, la vie continue. À Bubanza, j’ai vu des scènes qui feraient rougir les scénaristes de “Fast & Furious” :
Contournement ou comédie nationale ?
Sur la route Bujumbura–Bubanza, déjà en état de coma asphalterré (comprenez : route détruite et sans soins), tel que je l’ai vécu, n’était ni droit, ni doux. C’était un labyrinthe de trous, de secousses et de réflexions profondes sur l’absurdité de notre mobilité nationale. A chaque soubresaut de la route, mon cerveau criait, on assiste à un autre théâtre :
« Cogito ergo tremble ! » Je pense, donc je bondis.
Les chauffeurs, à 30 mètres des policiers, demandent aux passagers de descendre en vitesse, marcher à pied, traverser le point de contrôle, puis remonter dans la voiture 30 mètres plus loin. Une chorégraphie bien rodée, digne d’un théâtre d’improvisation. Même Shakespeare aurait dit : “To ride or not to ride, that is the question…” Un ballet ridicule et quotidien. Une danse de l’absurde, comme si marcher 60 mètres transformait un transport clandestin en randonnée légale.
Et pendant ce temps, dans les centres reculés, des vendeurs de fortune, camouflés dans les buissons, s’approchent des véhicules arrêtés, sac en main, chuchotant : “ We Shoferi, ushaka ibibuni bingahe, …?” C’est propre, c’est frais… 30 000 le litre seulement. »
Quand la pauvreté s’invite à table…
Je m’arrête là, pour aujourd’hui. Car la pauvreté qui loge désormais dans nos foyers, qui s’invite sans frapper, qui mange avec nous sans rien contribuer, mérite une chronique à part entière. Oui, elle aussi a ses valises posées dans les coins de nos vies.
Mais la question qui demeure :
Jusqu’à quand roulerons-nous à la débrouille ?
Jusqu’à quand notre mobilité sera-t-elle une loterie nationale ?
Et surtout, jusqu’à quand les citoyens devront-ils choisir entre l’essence… et l’essentiel ?
A vendredi prochain, … pour un nouveau chapitre de notre aventure dans l’économie invisible… mais bien vivante.
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