Désormais, une distance d’au moins 50 km est le trajet exigé aux fonctionnaires de l’Etat pour bénéficier des frais de mission en cas d’une mission à l’intérieur du pays. Cela ressort du Conseil des ministres du 22 octobre 2025. « Un recul », critiquent les concernés qui qualifient cela d’injuste et de discriminatoire.
Le projet d’arrêté a été proposé par Alain Ndikumana, le ministre des Finances, du Budget et de l’Economie numérique. « Le projet propose que les déplacements à l’intérieur du pays puissent être considérés comme missions à l’intérieur du pays ou pas si le déplacement pris en compte est effectué en dehors du lieu habituel de travail et à une distance d’au moins 50km », lit-on dans le communiqué du Conseil.
Cet arrêté prévoit également des frais de déplacement pour des personnes invitées à une activité en provenance des localités différentes de celle où se tient l’activité.
Adopté le même jour, il vient modifier celui de 2024 dans l’optique de supprimer ou de réduire certaines dépenses non prioritaires. « Il apporte plus de clarification afin de limiter les abus. »
Il note aussi que « pour la bonne gestion des dépenses publiques, le projet propose également la suppression des frais qui étaient octroyés aux présentateurs internes à la structure ayant organisé l’activité ou l’événement. » Il précise que seuls les présentateurs externes seront éligibles à cette dépense.
Un coup de massue pour les concernés
« C’est vraiment inconcevable. Nos hautes autorités ne pensent qu’à leurs intérêts. En 2024, on avait revu à la hausse ces frais de mission. Elles avaient constaté que c’est intenable pour les gens qui partent en mission à l’intérieur du pays. Et voilà, en moins de deux ans, elles décident de rabaisser cela au lieu d’augmenter », lâche un fonctionnaire du ministère de la Justice.
S’exprimant sous anonymat pour des raisons professionnelles, il se demande comment un magistrat qui se rend sur le terrain, peut-être pour mettre en exécution un jugement rendu va s’y prendre. « Quand on parle de 50 km, supposons que c’est à Mugongomanga, dans ces montagnes-là. Il y a même des coins inaccessibles par véhicules où le magistrat sera obligé de marcher. Comment va-t-il faire sans même dix mille BIF pour acheter de l’eau à boire ? »
Cependant, il n’est pas contre cette politique d’austérité. « Mais, cela ne devrait pas commencer avec les fonctionnaires dont les salaires sont aujourd’hui insignifiants à voir le coût de la vie, le déplacement, la cherté des produits alimentaires, etc. »
De son côté, N.B, un autre fonctionnaire de l’Etat, ne comprend pas pourquoi chaque fois qu’il y a un nouveau ministre, au lieu d’améliorer les conditions de vie de ses employés, il se hâte à changer les arrêtés de son prédécesseur. « Où est finalement cette continuité de l’Etat ? »
Pour lui, si réellement le gouvernement veut bien gérer les fonds publics, il doit commencer par changer le train de vie de ses ministres et de ses hautes autorités au lieu de s’attaquer à ceux qui ne reçoivent presque rien. Les deux fonctionnaires demandent que cet arrêté soit annulé avant sa mise en application.
Réactions
Gabriel Rufyiri : « C’est injuste »
Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome (Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques), ne voit pas ce que gagnerait l’Etat en envoyant son fonctionnaire en mission à l’intérieur du pays sans frais de mission.
Pour lui, s’il se rend à Bukeye, Ijenda ou Rumonge, il ne sera pas tout près de chez lui. « Or, il doit manger. Donc, d’une manière ou d’une autre, il doit être pris en charge. C’est inévitable. »
D’après lui, il serait mieux de calculer les frais de mission par jour ou par nuitée. « Sinon, cet arrêté est injuste. » Par ailleurs, il trouve que si le gouvernement voit que son budget de fonctionnement est costaud, il faut prendre des mesures qui vont, d’un côté, faciliter le travail de ses agents sur le terrain et protéger les fonds publics de l’autre côté. « Nous recommandons qu’il y ait une étude minutieuse en attendant que les décisions prises soient appliquées. Il faut une commission qui étudie en profondeur la réduction des frais de fonctionnement de l’Etat. Car, les frais de mission sont donnés aussi à ceux qui voyagent à l’étranger. Il faut que ces missions à l’étranger soient préalablement analysées pour que ça soit des missions qui génèrent des résultats palpables au pays. »
Pour M.Rufyiri, si réellement le gouvernement a l’objectif de réduire les consommations, il doit regarder à travers les commandes publiques, il doit minimiser les coûts mais à travers le panorama général du budget de l’Etat.
Gilbert Nyawakira : « Une telle mesure devait être consensuelle »
Pour Gilbert Nyawakira, président de la Confédération des syndicats du Burundi (CSB), cette mesure n’a pas fait l’objet de concertation. « Les représentants des travailleurs n’ont pas été impliqués dans la commission ad hoc mise en place pour faire des propositions à soumettre au gouvernement. Une telle mesure devait être consensuelle. »
Pour lui, elle n’est pas opportune au moment où le pouvoir d’achat des fonctionnaires s’amenuise du jour au jour suite à la flambée des prix des denrées de première nécessité. « C’est donc une mesure qui vient démotiver les travailleurs qui l’étaient déjà, si on en croit aux fuites des cerveaux vers l’étranger. Avant, ça concernait les médecins et les professeurs, mais aujourd’hui, c’est toutes les catégories de fonctionnaires, y compris les enseignants du fondamental »
Il précise que personne n’est contre les mesures de minimisation des dépenses publiques ou la mesure d’austérité budgétaire. « Si tel est le cas, ça devrait concerner les missions à l’étranger ou supprimer certains avantages alloués aux hauts cadres de l’Etat, généralement les membres du gouvernement et d’autres de leur rang social »
Il rappelle qu’en 2024, ces frais de mission avaient été revus à la hausse passant de 36 000 BIF à 100 000 BIF par nuitée. « Comme c’était déjà un acquis de travailler en partenariat gouvernement et partenaires sociaux, nous demandons au gouvernement de revaloriser ce partenariat. Nous osons espérer que l’élaboration des textes de mise en œuvre sera faite dans un cadre tripartite ou bipartite pour dégager des propositions concrètes et applicables dans l’intérêt général du service et des travailleurs. »
Entretien
Jean Claude Ndenzako : « Les frais de mission représentent un signal de reconnaissance de l’effort supplémentaire et de la flexibilité demandée. »
Comment trouvez-vous la décision ?
Du point de vue de l’efficience allocutive, cette mesure présente effectivement une discontinuité marquée qui crée ce que les économistes appellent un ‘’effet de seuil’’.
La théorie économique suggère que les coûts réels encourus par un fonctionnaire effectuant une mission de 49 km ne diffèrent pas substantiellement de ceux d’une mission de 51 km, alors que le traitement budgétaire devient radicalement différent. Cette rupture dans la fonction de compensation génère une distorsion dans la structure incitative.
Car, elle ne reflète pas fidèlement la progression continue des coûts de transport et du temps consacré. L’économie comportementale démontre que de tels seuils arbitraires peuvent induire des comportements stratégiques non optimaux où les agents économiques rationnels chercheront à manipuler les paramètres pour franchir le seuil bénéfique.
La question de l’équité horizontale, principe fondamental en finances publiques, se trouve également compromise.
Comment ?
Deux fonctionnaires se trouvant dans des situations économiquement similaires reçoivent un traitement différencié uniquement en raison d’une différence marginale de distance. Cette asymétrie contrevient au principe d’équité selon lequel des situations économiquement équivalentes devraient recevoir un traitement équivalent. L’approche alternative fondée sur la distinction entre missions avec nuitée et missions sans nuitée possède une justification économique plus robuste. Car, elle reflète une différence qualitative substantielle dans la nature des coûts encourus.
En effet, l’analyse microéconomique des coûts de mission révèle que la véritable rupture structurelle se situe au niveau de l’hébergement et des frais de subsistance nocturne. Une mission nécessitant une nuitée engendre des coûts fixes significatifs (hébergement, repas du soir et du matin) qui sont qualitativement différents des simples coûts de transport. Cette distinction correspond à une réalité économique objective plutôt qu’à un critère spatial arbitraire. Les organisations internationales ont adopté cette méthodologie précisément parce qu’elle établit une différenciation basée sur la structure de coûts réels plutôt que sur une variable proxy imparfaite comme la distance.
Du point de vue de la théorie de l’agence, la motivation des fonctionnaires constitue un élément crucial de l’efficacité organisationnelle.
Que représentent normalement les frais de mission pour un fonctionnaire ?
Les frais de mission représentent non seulement une compensation pour les dépenses effectuées, mais également un signal de reconnaissance de l’effort supplémentaire et de la flexibilité demandée.
Que peuvent être les conséquences s’ils ne sont pas accordés ?
Lorsque la compensation ne couvre pas adéquatement les coûts réels encourus, on observe généralement une réduction de l’utilité nette du travailleur. Ce qui peut conduire à une diminution de l’effort optimal fourni. Les recherches empiriques en économie du travail montrent que la perception d’inéquité dans la compensation peut générer des externalités négatives sur la productivité globale, effet souvent plus coûteux que les économies budgétaires réalisées.
Concernant l’objectif de rationalisation des dépenses publiques, l’analyse coût-bénéfice doit être envisagée de manière holistique. Si l’on considère uniquement les économies budgétaires directes, la mesure peut paraître avantageuse.
Cependant, une évaluation complète doit intégrer les coûts indirects potentiels tels que la réduction de la mobilité fonctionnelle, la résistance accrue aux déplacements professionnels, et l’éventuelle détérioration de la qualité du service public lorsque les missions nécessaires ne sont pas effectuées de manière optimale. L’économie publique enseigne que les réformes budgétaires doivent être évaluées selon leur efficacité nette, incluant tous les effets de second ordre.
Quel avantage présente le calcul par nuitée ?
L’approche par nuitée présente également l’avantage de la simplicité administrative, réduisant ainsi les coûts de transaction associés à la vérification et au contrôle. La mesure de la distance kilométrique nécessite une infrastructure de contrôle et de calcul, tandis que la présence ou l’absence d’une nuitée constitue une variable binaire facilement vérifiable.
L’économie institutionnelle démontre que les mécanismes de gouvernance simples et transparents génèrent généralement moins d’opportunités de comportement opportuniste et réduisent les coûts de surveillance.
Il convient également d’examiner cette politique sous l’angle de la théorie de l’optimum de second rang.
C’est-à-dire ?
Dans un contexte de contraintes budgétaires serrées, le gouvernement cherche manifestement à réduire les dépenses. Toutefois, si la contrainte budgétaire impose des restrictions, il existe probablement des instruments plus efficients pour atteindre cet objectif.
Comme quoi ?
Une réduction proportionnelle uniforme des allocations de mission, ou un système de plafonnement budgétaire par institution avec autonomie dans l’allocation, pourrait permettre d’atteindre les mêmes objectifs d’économie sans créer les distorsions inhérentes au système de seuil kilométrique.
La littérature en économie comportementale suggère par ailleurs que les systèmes de compensation doivent maintenir une cohérence perçue pour préserver la confiance et l’engagement organisationnel. Un système qui apparaît arbitraire dans sa construction peut éroder le contrat psychologique entre l’employeur et l’employé, générant des coûts intangibles mais réels en termes de capital social organisationnel.
En définitive, l’analyse économique plaide pour une architecture de compensation qui reflète fidèlement la structure des coûts réels et qui minimise les discontinuités artificielles. Le critère de la nuitée répond mieux à ces exigences théoriques et pratiques, tout en permettant d’atteindre les objectifs légitimes de maîtrise des dépenses publiques dans un cadre plus cohérent et équitable.







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