Vendredi 29 mars 2024

Politique

Burundi-UE : Sept clés pour comprendre le processus en cours

22/06/2021 7
Burundi-UE : Sept clés pour comprendre le processus en cours

Par Antoine Kaburahe

La complexité de la structure institutionnelle ne permet pas toujours de traduire en termes simples les décisions de l’Union européenne. On l’a vu ce lundi quand plusieurs médias et personnalités ont salué « la révocation des sanctions prises contre le Burundi par l’UE. » En réalité, c’est le début d’un processus qui peut être long.

Hier en milieu de journée, la radio-télévision nationale du Burundi a annoncé sur son compte twitter « La décision de l’UE de révoquer la mesure qui suspendait l’aide financière aux pouvoirs publics burundais qui fait suite aux évolutions du Burundi en matière de Droits de l’homme et Etat de droit. » Je ne ferais pas l’injure de « manipulation de l’information » ou de « sensationnalisme », à mes collègues du média public (où tout jeune j’ai d’ailleurs fait mes premières armes). Je veux juste montrer que dans ce domaine, la haute diplomatie, plus qu’ailleurs, pour les journalistes, la prudence et la nuance doivent être de mise et éviter la simplification. Ce n’est pas pour rien que les médias qui ont les moyens détachent auprès de ces « gros machins » tels l’ONU, l’UE, l’OTAN, etc., des journalistes permanents, spécialisés, souvent des juristes de formation, pour suivre et décortiquer les décisions et autres communiqués de presse de ces institutions pour les rendre un tant soit peu « lisibles » pour le citoyen lambda . Un exercice pas toujours facile pour les journalistes. Après 24 heures, de nombreux échanges et des discussions à Bruxelles, il est possible de dégager quelques clefs pour comprendre le processus enclenché.

1. Comprendre l’article 96 en bref

La mécanique de l’article 96 est la suivante : si une des parties à l’accord considère que l’autre ne respecte pas les dispositions de l’accord, il y a d’abord un dialogue. Si toutes les voies de dialogue ont été épuisées et si une partie continue de ne pas respecter ses obligations, l’autre partie peut lancer une procédure de consultation en vue de trouver une solution. Si aucun accord n’est intervenu à la fin des consultations (en pratique cette phase est souvent rapide dès lors que la violation de l’accord est flagrante et qu’aucune réponse satisfaisante n’est apportée), la partie qui a lancé la procédure de consultation peut prendre des « mesures appropriées » (c’est ce que dans le vocabulaire courant on appelle « sanctions »). Selon l’art. 96, ces mesures doivent être proportionnelles à la violation en question. Concrètement, le choix se porte sur des mesures qui auront un effet négatif aussi limité que possible sur la population. Par exemple, la décision de 2016 concernant le Burundi indique que les actions d’urgence continueront à être financées ; il s’agit notamment de deux programmes, l’un sur la santé l’autre sur la nutrition. Ce sont les modalités de financement qui se trouvent modifiées : l’aide est apportée à travers des agences internationales ou des ONG.

2. Quelles ont été ces mesures dans le cas du Burundi ?

Dans le cas de notre pays, les mesures ont consisté à interrompre l’aide directe à l’Etat burundais. A l’époque, l’enveloppe encore disponible pour le Burundi s’élevait à 322 millions d’euros. Les mesures prennent la forme d’une « décision du Conseil », qui, en droit de l’UE, est un acte obligatoire, qui s’impose à toutes les institutions et aux Etats membres. Cette décision, qui clôt les consultations, est accompagnée d’une lettre adressée à l’Etat concerné et d’une annexe qui détaille les mesures. Ce texte peut être lu ici : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2016:073:FULL&from=EN

3. Dans quelles conditions ces mesures peuvent-elles être levées ?

C’est bien précis : l’article 96 indique que « ces mesures sont levées dès que les raisons qui les ont motivées disparaissent ». La décision prévoit qu’elle fera l’objet d’un réexamen tous les six mois.

4. Quelles sont les différentes étapes du processus de levée des sanctions ? 

Selon différentes sources contactées à Bruxelles, schématiquement cela commence par une évaluation de la situation dans le pays concerné. La Délégation de l’UE au Burundi informe le siège à Bruxelles). L’UE et ses Etats membres ont l’obligation de réexaminer la situation tous les six mois. «  La tenue ou le redémarrage de réunions de dialogue politique est un élément favorable pour le pays sous sanction », explique un diplomate. Ensuite la discussion a lieu à Bruxelles au sein du Groupe Afrique qui rassemble, à un niveau technique, les représentants des Etats membres. Lorsqu’un consensus s’est formé au sein de ce Groupe, un projet de décision est préparé (par la Commission, en accord avec le Haut Représentant pour les affaires étrangères), la question est inscrite à l’ordre du jour du Conseil qui adoptera alors formellement la « décision ». En termes simples. Il faut comprendre que c’est cette nouvelle décision, qui donc n’est pas encore formellement prise, qui mettra fin à la précédente (celle de 2016).

5. Le processus peut durer combien de temps ?

Sur ce point, aucune de mes sources n’a voulu s’avancer pour donner un timing précis. Cependant, un consensus sur « une levée des sanctions » se serait formé à Bruxelles sur ce point. Il resterait à mettre en forme la décision. Là ce sont les services juridiques qui entrent en action. Puis la décision est inscrite à l’ordre du jour d’un prochain Conseil (c’est au niveau des ministres, et ce conseil se réunit en général une fois par mois). Cette procédure peut prendre encore plusieurs mois.

6. Qui prend la décision finale ? 

C’est le Conseil (des ministres) ; mais s’il y a consensus au sein du Groupe Afrique, le Conseil, en général, ne fait qu’entériner.

7. Est-ce que le processus de révocation des sanctions est aujourd’hui irréversible ?

Si l’on arrive à une décision qui met fin à la « mesure » prise sur la base de l’article 96, on revient à l’application normale de l’accord. Sur ce point, les différentes sources sont unanimes. « L’UE va maintenir sa vigilance. S’il advenait que l’UE considère qu’il y a une nouvelle violation de l’accord, une nouvelle procédure devrait être enclenchée. » Mais, « il n’est pas impossible que la reprise de l’aide directe à l’Etat burundais soit envisagée de manière progressive ; la décision de 2016 prévoit en effet que les mesures peuvent être “adaptées à l’évolution de la situation” (s’il y a une amélioration vers le respect de l’accord de Cotonou, une partie de l’aide peut reprendre).

Ce n’est donc pas par un “claquement de doigts” que les relations entre le Burundi et l’UE vont revenir à la normale. Les décisions de l’UE sont toujours « lourdes et longues à prendre, à lever aussi », expliquent les spécialistes. Mais les relations entre l’UE et le Burundi sont aujourd’hui sur « une bonne trajectoire », c’est indéniable. On ne peut exclure qu’il y ait une dimension « incitative dans la politique actuelle de l’UE » qui essaie de convaincre le Burundi à s’engager plus en matière de respect des droits humains et de l’Etat de droit en montrant par une certaine reprise de l’aide tout ce que le Burundi aurait à gagner en prenant les mesures attendues. Une carte que pourrait jouer le gouvernement burundais à la grande satisfaction de la population qui a besoin de respirer sur le plan économique et des libertés.

Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. Kagayo

    Merci pour l’éclairage sinon les tweets jubilatoires de certains montrent qu’eux-mêmes ne maîtrisent pas le long processus. Fallait-il une rencontre avec le Président de la République à ce stade pour lui annoncer le début d’un processus? Est-ce que l’Ambassadeur Bochu ne serait pas en train de surfer sur la naïveté ou l’ignorance du long processus de la partie burundaise, question de l’inciter à plus de concessions? Ceci rappelle la nécessité de mieux expliquer à la population et ainsi lui permettre de comprendre où le négociateur burundais est en train de l’emmener: cela s’appelle redevabiltié ou respect, pour le dire simplement.
    Réponse d’Antoine Kaburahe
    Cher lecteur
    Merci pour votre commentaire. Comme je l’ai dit dans mon article, sur certaines matières, les journalistes doivent être très prudents. Ce n’est pas pour rien que les grands médias détachent auprès de l’UE des journalistes qui ne suivent que les affaires européennes. Un exemple concret: Jean Quatrememer du journal Libération. Dans ce genre de communiqués et / ou déclarations, le journaliste doit savoir lire entre les lignes. Pour revenir sur notre cas, les journalistes ont créé l’événement. Comme si M. Bochu allait siffler , tel un arbitre, la fin des sanctions. La réalité, vous l’avez vit, est moins simple: il s’agit d’un processus. C’est cela que les journalistes devaient mettre en avant.
    Merci
    AK

  2. Albert Rugwe

    Evidemment
    Pour être un bon journaliste, il faut avoir été à l’école où la culture de la bonne information, complète et compréhensible est réalité.
    Le drame du Burundi est que le journalisme est devenu aujourd’hui un gagne-pain de tout jeune, y compris ceux qui savent à peine lire et écrire. Pourtant, c’est un métier très exigeant. Il faut absolument avoir une bonne plume, une curiosité de savoir et le souci permanent de coucher sur papier la vérité.
    Pour le cas d’espèce, certainement que seuls les militants ont été autorisés à couvrir l’événement. Et le militant ne doit pas s’encombrer de ce que nous venons de dire plus haut. Son appartenance au parti l’ immunise et il peut se permettre de servir à l’opinion ses propres souhaits ou ceux de son camp. Le message du représentant de l’UE, si du moins il a été compris, peut attendre.

    Pour ceux qui écoutent régulièrement la radio nationale comme moi, le pays a fait un grand bon en arrière. Le journal en Kirundi et en français ne dépasse plus 10 à 15 minutés. Et dans ce court temps , les fautes dans les deux langues sont si nombreuses qu’on a envie de pleurer.
    Pensez vous que j’exagère ? RVD ce soir
    Rugwe

    Réponse d’Antoine Kaburahe

    Surtout, le journaliste doit avoir l’humilité d’apprendre. D’accepter qu’il ne sait pas et d’aller à la source pour comprendre. Lorsque j’ai lu le tweet de nos collègues de la RTNB, j’ai sursauté ! Le principal média du pays ne peut pas véhiculer une information tellement légère ! Certains m’ont insulté parce que je disais que ce n’est pas ainsi que les choses se passent… Politiquement, les autorités burundaises devaient exploiter la situation. C’est normal. Mais, il nous faut (les journalistes) savoir rester dans le réel, le concret. C’est ce qui a manqué.
    AK

  3. Dieudonné Hakizimana

    Merci Antoine pour cet éclairage.

  4. SAKUBU

    Merci d’avoir éclairé.

  5. Pablo

    Birumvikana les Burundais turakeneye iyo mfashanyo twumvise rero gusa l’expression « levée des sanctions » tuca dutaruka tuti birakemutse !!!!
    Turindire ntakundi dutubike umukanda!!

  6. Irahoza joas

    Je suis un étudiant en sciences politiques et relations internationales au niveau de bac 1,chaque fois que je lis vos publications je m’enrichis davantage,merci bcp iwacu et surtout Antoine je ne regretterai jamais de vous avoir retrouvé sur Twitter

  7. nahayo JP

    Un article froid, clair, précis, informatif, aucun mot de trop, du vrai journalisme. Merci Iwacu

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