Vendredi 06 décembre 2024

Politique

Burundi : Entreprises publiques, victimes de mauvaise gouvernance

25/05/2024 4
Burundi : Entreprises publiques, victimes de mauvaise gouvernance

Il est fort surprenant d`entendre les autorités burundaises s`étonner que les entreprises publiques perdent de l`argent, qu’elles sont dans une situation financière catastrophique de quasi-faillite. Que le Gouvernement, après 20 ans de pouvoir annonce que les difficultés des entreprises publiques remontent aux régimes qui l’ont précédé. D`autant plus surprenant que la faillite d`une entreprise, publique ou privée, n`intervient pas en un jour, à moins d`une catastrophe financière soudaine. Les entreprises accumulent les dettes, leurs chiffres d’affaires s’effondrent considérablement, aucun investissement, une gestion catastrophique, aucune réforme de redressement et des conseils d’administration inefficaces. Et cela, durant plusieurs années. Malgré leur rôle de service public, ces entreprises tombent en faillite.

Les Entreprises Publiques ont un Rôle de Service Public

De manière générale, les entreprises publiques jouent un rôle fondamental dans une économie. En plus d’assurer des missions de service public, elles exercent souvent leurs activités dans des secteurs d’importance systémique dont dépend l’ensemble de l’économie. Ces entreprises publiques sont créées dans des secteurs qui fournissent à la population des services sociaux vitaux nécessitant de gros investissements et où la rentabilité s’effectue sur le long terme.

Ce sont des domaines dans lesquels les privés ne peuvent pas investir parce qu’ils veulent des profits immédiats. Ce sont notamment : la vulgarisation et l`encadrement agricoles, l`accessibilité a l`énergie et aux services de communication, la facilitation du commerce et de l`industrie, et d`autres.

C`est dans ce contexte que vers la fin des années 70, le Gouvernement de la Deuxième République avait favorisé la création de plusieurs entreprises publiques, qui ont permis des réalisations notables au cours de la décennie 80, notamment, fournir des services à la collectivité, créer des emplois, payer des dividendes à l’Etat et stabiliser les prix.

Mais vers le début des années 90, avec les crises politiques, certaines entreprises publiques ont commencé à connaitre des problèmes de gestion, qui ont eu des conséquences négatives sur l`économie nationale. Leurs pertes financières ont impliqué des transferts importants (subventions, dotations en capital, emprunts) du Gouvernement pour le redressement de ces entreprises qui ne pouvaient plus assumer les tâches de développement économique et de service public qui leur étaient dévolues.

Quelles sont les Raisons de la Faillite des Entreprises Publiques ?

La situation que les entreprises publiques vivent aujourd`hui ne devrait étonner personne, y compris les pouvoirs publics. Il y a 4 raisons à cette situation :

1) Le Manque de Planification Stratégique

Les entreprises publiques jouent un rôle prépondérant dans une économie. Elles ont une mission de service public pour appuyer le Gouvernement dans la mise en œuvre de ses programmes de développement, en particulier, l`accès de la population aux services de base : l`encadrement agricole, les communications, l`eau et l`électricité, le transport, la production des biens essentiels, mais également, assurer l`indépendance économique. Par conséquent, compte tenu des orientations du Gouvernement, toute entreprise publique doit planifier les activités pluriannuelles, qui vont servir de base pour les budgets annuels.

Il a été constaté que nombre d`entreprises publiques ne possèdent pas de tels plans stratégiques. Par exemple, la REGIDESO devrait connaitre, en début d`année, le nombre de personnes qui auront accès à l`électricité à la fin de l`année, pour les divers secteurs d’activités, pour les ménages et pour les entreprises de production, et ce, en fonction de l`énergie disponible et de la croissance démographique. Cette connaissance déboucherait sur la planification du nombre de personnel nécessaire pour la mise en œuvre de ce plan, les équipements, les coûts de ces dépenses, ainsi que l`origine des ressources nécessaires à l`exécution de ces programmes.

C`est à ce moment de planification qu`on identifie les goulots d`étranglement, que ce soit au niveau des équipements nécessaires ou des ressources financières, et comment y remédier en cours d`année. La REGIDESO étant une entreprise d’Etat, les investissements doivent être financés par le budget de l’Etat. Il est regrettable de constater qu’une telle planification est quasi absente.

Un autre exemple est celui de la détérioration financière de l’ONATEL, qui a débuté depuis 2008, année où, l’entreprise a commencé à afficher des résultats négatifs. La direction de cette entreprise a lancé des alertes au Gouvernement, qui sont restées lettre-morte. Le Gouvernement n’a pris aucune action de redressement. Au contraire, l’on a entendu le Chef de l’Etat blâmer le personnel de l’ONATEL, en l’accusant d’être responsable de la situation que vit l’entreprise. Comment cette entreprise publique peut-elle rester compétitive sur le marché intérieur, avec des équipements qui datent de la création de la société, il y a 40 ans ? Comment peut-elle être compétitive avec des équipements de deuxième génération, pendant que les compétiteurs sont à la troisième génération, et certains, à la quatrième génération ?

La même analyse peut être faite sur d’autres entreprises publiques qui connaissent actuellement des difficultés financières, et qui sont au bord de la faillite.

2) Interventionnisme de l`Etat

Les multiples interventions de l’Etat sur les entreprises publiques se sont manifestées au travers des nominations de personnels aux postes de responsabilité des entreprises, sans tenir compte de leurs compétences techniques et managériales. Cette pratique du clientélisme a conduit le pouvoir à nommer à la tête des entreprises publiques des hommes politiquement ou familialement proches du pouvoir, plutôt que des gestionnaires efficaces et compétents. Dans un tel environnement, les hommes se transforment en courtisans. Or, nous savons que « gestion » et « phénomènes de cour » sont difficilement conciliables. La gestion requiert, en effet, transparence et volonté, alors que la « cour » est fondée sur le camouflage, condition essentielle de l’absence de « vagues » indispensable à la survie. La gestion est focalisée vers le bas, le terrain et les clients, alors que la « cour » est tournée vers le haut, dont il faut prévenir les désirs.

La personne qui a été nommée dans ces conditions se comporte comme un vrai courtisan de ceux qui l`ont placée à ce poste. Il doit servir les intérêts du pouvoir et non de l`entreprise dont elle a la charge, surtout, si la personne est consciente qu`elle n’a pas les compétences requises pour le poste. Le Ministre de tutelle se mêle de la gestion quotidienne de l`entreprise. La priorité sera de plaire aux autorités qui l`ont placé à ce poste, et non se préoccuper de la rentabilité de l`entreprise publique.

3) La Gestion Défectueuse de l`Entreprise Publique

La gestion des entreprises publiques est, le plus souvent, fortement centralisée et hiérarchisée. Ce sont des structures rigides, totalement inadaptées à des entreprises qui doivent réagir vite dans une conjoncture nationale et internationale changeante.
Le Directeur Général, qui a été nommé selon les critères ci-haut indiqués, va, en priorité, se fixer des attributions, des primes et indemnités, en s`entourer, à son tour, d`une « cour », qui bénéficie des mêmes avantages. Puisqu`il est, lui-même, protégé par une autorité du pays ou du parti au pouvoir.

L`entreprise est alors plongée dans une situation financière plus que préoccupante : déficits cumulés, endettement excessif et trésorerie négative. Les systèmes de gestion (comptabilité analytique, contrôle de gestion, tableaux de bord, comptabilité générale…), ne sont pas tenus de manière rigoureuse, tandis que la gestion se fait dans une perspective à court terme, ce qui résulte de l’absence d’une planification stratégique, c’est-à-dire de long terme. La productivité et la gestion optimale du personnel ne sont pas rigoureuse, d`autant plus que beaucoup de ce personnel n`ont pas les compétences requises, et que le gestionnaire ne peut pas les remercier, puisqu`ils sont protégés par certains membres haut-placés du pouvoir.

La transparence et la corruption conduisent à la quasi-faillite de l`entreprise. Les contrats de fourniture des biens et services à l`entreprise sont attribués aux membres de la famille ou aux entreprises appartenant aux hommes du pouvoir, et les commissions techniques d`attribution des marchés ne sont que des passerelles pour endosser les décisions prises au plus haut niveau. L`Etat et ses services s`endettent auprès de leurs entreprises publiques, ils consomment des services qu`ils ne remboursent pas, que ce soit pour la fourniture d`électricité, les services de communication, et autres.

Confronté aux problèmes de trésorerie, pour payer son personnel et le fonctionnement, ne pouvant plus financer les investissements et les équipements de production, le Directeur Général va s`endetter auprès des institutions bancaires et financières, nationales et internationales, souvent avec l`aval de l`Etat. N`étant pas en mesure de rembourser ces prêts, la société va se retrouver en cessation de paiement. A qui la faute ?

4) Une Administration Politisée de l`Entreprise

Le Conseil d’Administration joue rarement son rôle de coordinateur efficace des activités de l`entreprise publique. Il est réduit souvent à une chambre d’enregistrement des décisions du pouvoir de tutelle: les membres sont des fonctionnaires de l`Etat, qui ont du mal à remettre en cause les décisions de leur ministre ou du responsable de l`entreprise publique, le protégé du pouvoir. Cette difficulté s`ajoutant à l`incompétence des membres de ces Conseils, qui, souvent, n`ont pas les rudiments de gestion d`une entreprise ou le suivi des indicateurs de performance d`une entreprise bien gérée.

Le Conseil d`Administration n`a aucune autonomie d`administration. Les membres se contentent de toucher les émoluments et approuver toutes les décisions leur soumises par le manager. Les conseils d’administration sont certes inefficaces, la solution réside-t-elle dans leur suppression ?

Alors, Que faire ?

L`entreprise publique a une mission de service public, mais elle peut, ou plutôt doit, être rentable, au même titre que toute autre entreprise. Face à une situation financière préoccupante de l`entreprise publique, dont les causes ont été identifiées ci-haut, la tendance des pouvoirs publics est de penser que la solution est la privatisation, estimant qu`une entreprise privée est plus performante qu`une entreprise publique. La vérité est qu`une entreprise privée ferait également faillite si elle n`applique pas les méthodes rigoureuses de gestion. Nous avons plusieurs exemples qui ont montré les limites des entreprises publiques privatisées.

Dans toute entreprise, qu`elle soit publique ou privée, il y a des notions-clés qui sont les fondements et la base de la réalité économique. Ce sont, notamment : le profit, la productivité, l’efficacité, l’efficience, la logique de marché. Une entreprise publique peut appliquer les mêmes critères de performance.

Compte tenu de la composante de service public, confiée aux entreprises publiques, l`Etat devrait, plutôt, renforcer les systèmes de gestion de ses entreprises, en veillant à une bonne planification stratégique des entreprises, une gestion rigoureuse, suivie de sanctions, en accordant une plus grande autonomie aux conseils d`administration, en finançant le remplacement des équipements, et accordant des subventions, quand c`est justifié, et conformément au programme d`action gouvernemental .

Une entreprise publique peut et doit être rentable, à condition que :

a) Le dirigeant soit recruté sur base de ses compétences professionnelles et managériales, si nécessaire, procéder par appel de services, national ou international. Le personnel d`appoint devrait suivre la même procédure.

b) Le responsable puisse suivre un Cahier des Charges bien précis, et que des indicateurs de performance soient régulièrement évalués par le Conseil d`Administration, sur base du plan stratégique et des orientations de l`Etat.

c) Tout écart de gestion soit signalé à temps, et que des mesures de redressement soient prises immédiatement.

d) L’Etat, qui est propriétaire des entreprises publiques puisse assumer ses responsabilités : en nommant des responsables compétents, en assurant le suivi régulier de la gestion, en veillant à leur rentabilité, et en investissant dans la modernisation des équipements, quand c’est nécessaire, et en entreprenant des reformes en vue d’améliorer leur rentabilité.

Dans tous les cas, la solution n’est pas de privatiser les entreprises publiques ou de supprimer les conseils d’administration. Ce serait manquer aux responsabilités de l’Etat de fournir aux populations et collectivités les services publics dont elles ont besoin.

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Hihi

    Arrêtons cette critique du parti au pouvoir
    ça vaut plus la peine
    Tout le monde connait la situation
    Il faut maintenant faire un choix
    On veut garder les gens du pouvoir !
    On veut les remplacer !

    A vous de choisir…..

  2. Hifi

    ,Mon Cher
    Voilà des semaines où de manière infatigable vous vous escrimez à décrire la décrépitude du Burundi et ce dans tous les domaines qui depuis 25 ans ont été déconnectés de la vie réel et est maintenant à bout de souffle
    Le CNDD FDD a tout détruit sur son passage.
    Vous le dites très bien……
    Vu la situation apocalyptique qu il a fait endurer au pays, vu ce que nous endurons comme pénurie, vu les désastres dans l’ éducation, la santé, le commerce……il va falloir faire UN CHOIX
    Ce choix, c’est les burundais qui le feront, pas la classe politique
    L autre choix sera un changement radical. Des personnes qui gèrent le bien public, l’État. Les personnes mais aussi les méthodes, la manière dont nous travaillons. Besoin de plus de rigueur dans tous les domaines, Fini le laisser aller, la médiocrité, la fainéantise.
    Nous devrons nous remettre en question.
    C est la seule manière pour sortir le pays du marasme actuel
    Ce choix va impliquer tout d’abord les dirigeants.
    Des gens avec expérience, compétence, qui pourront sortir l’état, les entreprises, les citoyens de la bassesse dans laquelle ils vivent
    Au niveau politique la classe actuelle sera démise, renvoyée. Chef de l’Etat, gouvernement, parlements, les partis politiques seront dissous.
    Dans un premier temps, il sera demandé à EAC de prendre en charge le pays, secondé par des experts internationaux dans tous domaines de la fonction publique et privée
    Pendant deux ou trois ans
    Afin que le pays retrouve une nouvelle direction, un nouvel espoir
    Ensuite la vie du pays reprendra son cours
    Entre-temps, tous les abus, les crimes et délis des personnes les ayant commis seront poursuivis par une « nouvelle justice »
    C’est cela le second CHOIX

    pourquoi de nouveau censurer
    C est le scénario qui va bientôt arriver
    il faudra faire un choix

    • Jean Pierre Hakizimana

      @Hifi,

      Bien dit. Pour l’instant la question sur laquelle il faut commencer à méditer est la suivante:

      ET SI LES BURUNDAIS RE-ELU ENCORE UNE FOIS CNDD-FDD?

      Le papier du Professeur Julien Nimubona et le billet de Mr Antoine Kaburahe, me donnent froid au dos.

      Je pose cette question car les probabilités que ces gens restent au pouvoir est plus de 50%. Et j’ai l’impression que le CNDD-FDD a purgé le pays de quiconque à la volonté de suivre ce dont vous décrivez bien. Autrement dit, remplacer ces gens par qui? Car j’ai l’impression qu’il y a plus personne au Burundi capable du changement radical.

      La faillite totale: Une forme de cancer généralisé partout, surtout dans les organes qui étaient justement mises sur place pour éviter la mort du patient.

      Je crains le pire. Je vois un Burundi devenu comme le zaire vers la fin de Mubutu. La description de la situation dans laquelle Mr Jean-Noël Manirakiza s’est vu humilié est exactement un chapitre du zaire de Mobutu: Vers la fin, les policiers emprisonnaient des gens dans leur maison personnelles car il voulait que les prisonniers les payent. Je vous rappelle que il était courent que les gens ne soient pas payés pendant des mois, donc se faisaient payés par la population civile.

      Si le CNDD-FDD est re-elue, commencez a imaginer la situation suivante:

      1-L’hyper inflation qui va rendre les salaires de la police et l’armée nul en termes du pouvoir d’achat. Et la les carottes seront cuites!
      2-

      • Kaziri

        L hyper inflation est déjà là, Cher Jean Pierre.
        La ré election du Cndd/Fdd est sûre à 90%.
        La culture de la corruption et la médiocratie sont bien implantées

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