Vendredi 19 avril 2024

Culture

Au coin du feu avec Zénon Nimubona

29/05/2021 2
Au coin du feu avec Zénon Nimubona

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Zénon Nimubona.

Votre défaut principal ?

L’impatience. Je ne supporte pas quelqu’un qui ne respecte pas le rendez-vous, que je sois obligé de l’attendre.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Le mensonge.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

La droiture.

Avez-vous une devise ?

Ne jamais faire du tort à personne exprès.

Quelle radio écoutez-vous ?

J’écoute essentiellement les radios pour les nouvelles. A 5h30 du matin c’est la RFI, à midi 20 c’est Rema FM, à 12h25 c’est la radio Isanganiro et maintenant aussi à 12h45 la radio Bonesha FM.

Votre chanson préférée ?

J’aime Umuduri de Nkeshimana. C’est la musique la plus originale, inimitable.

Votre rêve de bonheur ?

Pouvoir assister un jour à l’avènement d’un système politique moins mensonger. Le système politique fondé sur les partis politiques que la colonisation nous a laissés n’est pas stabilisant. Prenons le cas du vieux parti du Burundi, l’Uprona. Les premières élections après la mort de son fondateur, celles de 1965, se sont déroulées sur fond de division ethnique (Hutu-Tutsi). Cette rivalité continue à hanter les esprits même jusqu’à présent. Il faut s’interroger et se remettre en cause au niveau du système politique que nous avons adopté après l’indépendance, sans l’avoir essayé.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

J’aimerais refaire les voyages déjà faits avant, notamment le Japon, revoir l’endroit où la mer de Chine rencontre l’océan Pacifique.

Votre définition de la justice ?

La justice consiste à traiter tout le monde au même pied d’égalité suivant des lois convenables pour tout le monde. Parce qu’il y a des lois qui ne le sont pas. C’est le cas par exemple de la loi sur le statut des anciens chefs d’Etat. Elle n’accorde que des avantages à certains anciens présidents. Ces derniers tirent des avantages financiers du trésor public alors que, toute proportion gardée, leur passage à la tête de l’Etat n’aurait pas eu plus d’effets en termes de diversification des sources de revenus plus que les autres.

Votre définition de la démocratie ?

C’est tout système qui défend l’homme contre la toute-puissance de l’Etat. Autrement dit, tout système basé sur la justice.

Votre définition de l’indépendance ?

En réalité avec la mondialisation de l’économie à travers le commerce, l’indépendance n’existe pas. Tout le monde dépend de tout le monde. Il reste que dans la conduite des États, que cette interdépendance soit équitable. Pour le moment elle ne l’est pas. Les pays du nord achètent à vil prix les matières premières du sud pendant que les produits finis sont vendus aux pays du sud à un pays exorbitant. Aussi, la technologie est gardée jalousement par les pays du nord alors que c’est d’elle que viendrait l’équilibre.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Quelque chose que je ne comprends pas m’empêche de vivre à l’étranger. J’ai étudié à Bruxelles, je suis rentré quand les autres sont restés. Quand on a assassiné Ndadaye, et que le pays s’est embrasé, on m’a conseillé de rester. Je n’ai pas voulu. De même quand Ntaryamira est mort. Avec 2015 beaucoup d’occasions m’ont été offertes pour rester à l’étranger. Non plus je ne l’ai pas fait. Je suis fait pour vivre au Burundi.

Votre souvenir du premier juin 1993 (le jour où le président Melchior Ndadaye a été élu) ?

En réalité cette victoire ne m’a pas surpris. L’Uprona c’était auto-désorganisé en destituant tous les responsables du parti à la base et dans les communes sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de moyens pour les rémunérer. Ce qui avait pour conséquence, l’absence des rapports véridiques sur le poids réel de l’Uprona. Deuxièmement, à la naissance du Frodebu, l’insigne qui figurait sur son chapeau était le soleil, un insigne des rebelles de 1972. Étant donné la gestion chaotique des évènements de 1972, il se conçoit bien que l’Uprona était à chasser à tout prix. Il était assimilé évidemment aux Tutsis. Ce qui est plutôt surprenant, c’est comment l’Uprona a refusé l’offre de Ndadaye d’ajourner les élections afin que dans la transition on puisse étudier la question Hutu-Tutsi qui pollue l’atmosphère politique depuis la nuit des temps.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Pour le moment, c’est à Bujumbura que je dois vivre en raison des études pour mes enfants.

Votre passe-temps préféré ?

Faire du sport en allant escalader les montagnes.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

Lorsque j’étais au ministère de l’Enseignement supérieur, une voix intérieure m’a dit que je travaillerai à la banque de la République pour découvrir le mystère de la supervision des banques. Je n’y comprenais rien étant donné ma formation de base en science de l’Education. Mais c’est par là que j’ai fini par travailler. Sinon, la carrière de l’enseignant me passionnait beaucoup.

La plus belle date de l’histoire du Burundi ?

Elle n’est pas connue avec exactitude. Mais c’est celle de la formation de l’Etat Nation. Le Burundi fait partie des rares pays qui n’ont pas été créés par la colonisation.

La date la plus terrible ?

C’est celle de la colonisation. C’est cette date qui est à la source des maux que l’humanité puisse avoir à savoir le génocide. C’est cette date qui conduira lentement mais sûrement à la désintégration de notre pays.

Votre triste souvenir ?

La mort de mon grand frère suite aux évènements de 1972.

L’homme que vous admirez le plus ?

C’est le président Bagaza. Lui qui a compris ce qu’il faut faire pour que le pays puisse subsister, se tenir debout pendant longtemps. L’on doit reconnaître que la colonisation n’a pas fait grand-chose pour permettre à ce pays d’entrer dans l’économie mondiale alors que c’était une voie obligée. Le rapport de la banque mondiale, soit quelques semaines après son renversement, affirmait qu’en dix ans, il avait fait ce que les soixante-dix ans de la colonisation et les dix ans de la 1ere République n’avaient pas réussi à faire.

La femme que vous admirez le plus ?

Angela Merkel pour avoir dirigé la première économie d’Europe dans la plus grande simplicité.

Si vous deveniez ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique quelles seraient vos mesures urgentes ?

Je demanderai d’abord de scinder le ministère en deux pour faire de la sécurité un ministère à part. Pour m’inscrire dans la logique du gouvernement actuel qui veut que la population s’organise en coopératives, j’organiserais des séminaires de formation sur les coopératives et leur gestion. Sinon, on risque de tout perdre alors que l’Etat y aurait injecté beaucoup de moyens.

Deuxièmement je sensibiliserais contre les fêtes permanentes et réinitialiserais l’idée de l’épargne populaire imaginée sous Bagaza et abandonnée depuis son départ du pouvoir ainsi que d’autre projet comme le biogaz.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Si, j’y crois fermement pour l’avoir expérimentée à l’occasion de mes voyages à l’étranger. J’ai voyagé dans les pays limitrophes (RDC, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, en Europe (Belgique) en Asie (Japon) et en Afrique de l’Ouest (Sénégal). A toutes ces occasions, en faisant le pas en dehors des villas j’ai pu me rendre compte combien les gens sont merveilleusement bien à travers leur accueil chaleureux. Cela m’a rappelé l’époque où sur le chemin de l’école, on toquait sur n’importe quelle porte pour le loger avant de continuer le voyage le lendemain.

Pensez-vous à la mort ?

Pas tellement parce que l’on meurt tous les jours. Mourir c’est quoi ? C’est ne plus se réveiller pour toujours. Comme le jour où on ne se réveillera pas nous est inconnu, c’est inutile d’y penser.

Si vous comparaissez devant Dieu que lui direz-vous ?

Comparaître c’est se présenter devant le juge pour répondre des actes dont on est présumé auteur, qui auraient causé du tort à la société. A ma connaissance, de tels actes je n’en vois pas à mon chef. Si par hasard il y en aurait, cela n’aura pas été prémédité. Je demanderais alors pardon. Je le remercierai évidemment pour sa manifestation à moi dans plusieurs situations difficiles.

Propos recueillis par Emery Kwizera

Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Oui. Assister un jour à l’avènement d’un système politique moins mensonger.

  2. Nininahazwe Philibert

    Bagaza. Oui. Ce pays a eu la chance de l’avoir eu comme président

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Bio express

Zénon Nimubona est né en 1959 à Murango-Mugano en commune Matana. Il fera des études primaires et secondaires respectivement à l'école primaire de Mugano, l'école normale de Kiremba et le collège de Matana avant de faire les études universitaires en science de l'Education à l'Université du Burundi. L'actuel président du parti Parena a travaillé au ministère de l'Education comme conseiller au département de la recherche de 1985 à 1990 puis comme conseiller au ministère de l'Enseignement supérieur. Zénon Nimubona a fait des études postuniversitaires à l'Université Libre de Bruxelles en informatique appliquée à l'Education avant de retourner au ministère de l'enseignement supérieur comme conseiller du ministre. En 1996, il travaillera à la Banque de la République du Burundi. D'abord au service informatique, puis au service caissier de l'Etat, au service de contrôle des changes, au service supervision bancaire et au service logistique avant d'aller à la retraite, fin 2019. Au cours de son cursus universitaire, il a été représentant des étudiants au Conseil d'administration de l'Université du Burundi.

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2 réactions
  1. Oui. Assister un jour à l’avènement d’un système politique moins mensonger.

  2. Nininahazwe Philibert

    Bagaza. Oui. Ce pays a eu la chance de l’avoir eu comme président

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