Jeudi 25 avril 2024

Culture

Au coin du feu avec Jean Bosco Harerimana

06/11/2021 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Jean Bosco Harerimana
Au coin du feu avec Jean Bosco Harerimana

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jean Bosco Harerimana.

Votre qualité principale ?

Je ne sais pas. Je laisse les autres le dire. Mais, il paraît qu’il m’est facile de commencer une conversation ou une relation avec les autres.

Votre défaut principal ?

Je ne sais pas. Je préfère laisser mes collègues, mes voisins, mes amis, donc ceux qui me côtoient, me voient agir le dire.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

La joie. Le visage éclatant de joie fait rayonner la paix, le bonheur dans le monde. La joie résout beaucoup de problèmes sans beaucoup d’efforts.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La méchanceté. Elle peut amener les gens à agir d’une certaine façon sans raison. Elle peut causer beaucoup de dégâts en un très peu de temps.

La femme que vous admirez le plus ?

Ma mère. Elle a de la joie. Elle est très chrétienne, pieuse. Elle aime un entourage joyeux, égayé, épanoui. Elle fait vivre le monde en sa manière.

L’homme que vous admirez le plus ?

Mon père. Une personne avec une vision, des qualités morales et humaines. Un homme de paix. J’ai eu le temps de le voir pendant les moments difficiles. J’ai témoigné de mes yeux ses attitudes, son comportement. Il montre les qualités de vivre ensemble, d’accueil, d’humanité, d’Ubuntu. Il pouvait toujours se maintenir au-delà de la mêlée et rester lui-même. Il évitait tout ce qui pouvait compromettre sa personnalité, sa famille et son entourage. J’admire ses qualités à aider les autres, peu importe le temps ou la raison.

Votre plus beau souvenir ?

Le 12 mai. Elle correspond à la date de mon mariage, le 12 mai 2012. Ça correspond aussi à la date de l’achèvement du premier cycle de l’enseignement supérieur à l’université du Burundi. Le jour de mon mémoire m’a permis de parler devant le public, défendre mes idées et obtenir une bonne note. A cause de ces deux événements, la date du 12 mai est un souvenir que je garde avec bonheur.

Votre plus triste souvenir ?

Le 21/10/1993. J’étais à ma colline natale, Murambi en commune Matongo, province Kayanza. Un petit garçon qui fait encore l’école primaire, je voyais les voisins se rentrer dedans, des ponts détruits, des routes barrées, des personnes qui meurent, je ne savais pas ce qui se passait. Tout ce qui suit cette date est l’horreur, le pire. Je vois toujours ces scènes d’horreur. A l’époque, je ne comprenais pas grand-chose.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Ne pas voir ce beau pays, le Burundi se développer, la population burundaise atteindre un certain niveau de bien-être. Voir un Burundi sans population qui n’a pas à manger, un Burundi sans enfant qui ne va pas à l’école parce qu’il n’a pas d’habits ou de quoi manger. Je ne voudrais pas mourir sans voir ce pays surmonter ses difficultés de droits humains, d’accéder aux services de base d’éducation, de nutrition, de santé, etc.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Le recouvrement de l’indépendance, le 1er juillet 1962. Je pense que les gens qui ont vécu la colonisation et qui ont en même temps vécu l’indépendance doivent avoir eu beaucoup de joie, beaucoup de bonheur, de se voir indépendant, de voir leur pays géré par leurs élus, même si ça a pris peu de temps.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Le 1er juillet 1962. Quand on a recouvré l’indépendance perdue en peu plus de 80 ans avant.

La date la plus terrible ?

Le 6 juin 1903. Quand le royaume du Burundi perd sa souveraineté aux colons allemands à coups de mitrailleuses, à coup de bataille rangée entre l’armée allemande de l’époque et celle de Mwezi Gisabo, après presque une décennie de lutte. Voir le roi du Burundi se soumettre au régime du colonisateur, c’est fatidique.

Le métier que vous auriez aimé exercer ?

Quand j’étais enfant, j’adorais être journaliste. C’est le métier que je courtisais le plus. J’écoutais le journal à la radio nationale et à la BBC. J’imitais les journalistes, la présentation du journal, ce qui me faisait beaucoup de plaisir. Par ailleurs, j’ai eu le temps de devenir journaliste plus tard après la fin de mes études. Toutefois, le journalisme dont je rêvais n’est pas celui que j’ai vu. Il y a eu un peu de déception par rapport à mes attentes en termes de conditions de travail, d’autonomie dans la prise de décisions qui concernent le métier, etc.

Mais le métier que j’adore est celui que j’exerce, enseignant chercheur. On reste en contact avec la jeunesse, on fait face aux défis. Voir de jeunes gens venir dans la première année, faire des progrès, et les transformations extraordinaires qu’ils subissent et dire quelque part j’ai contribué à ces transformations. Et je me dis que je participe à la transformation du monde, de l’humanité à ma manière.

Enseignant à l’Université du Burundi depuis presque 10 ans. Votre analyse sur le système éducatif burundais ?

D’une façon globale, le système éducatif burundais permet jusqu’à un certain temps une ascension sociale. Il permet aux enfants de familles d’agriculteurs de devenir ingénieurs, docteurs, professeurs, de se lancer grâce à l’éducation. Mais il semble que la tendance est à l’inverse. Aujourd’hui, les familles qui n’ont pas beaucoup de moyens ont des difficultés à accéder à l’enseignement de qualité. J’ai peur que dans l’avenir, le système éducatif actuel puisse contribuer à exacerber les inégalités sociales. Les enfants issus des familles riches vont continuer à avoir un enseignement de qualité au détriment des enfants issus des familles pauvres.

Si vous étiez nommé ministre de l’Education, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Réformer le système éducatif en profondeur pour s’assurer que l’enseignement dispensé a un minimum de standard. Mais aussi s’assurer que le système éducatif contribue à la réduction des inégalités. Que l’éducation ne soit pas une commodité de riches. Que cela soit accessible à tout le monde, d’une qualité très intégrée.

Votre définition de la justice ?

C’est l’équité. C’est veiller à ce que les catégories des personnes les plus vulnérables de la société soient protégées. Je pense à toutes ces personnes qui souffrent de marginalisation comme les Batwa et celles vivant avec un handicap. Il faut donc veiller à ce qu’ils aient leurs places dans la société et que leur statut soit reconnu comme tel. J’aimerais que les pouvoirs publics tiennent compte de cette catégorie de personnes dans toutes les activités.

Vos recherches portent actuellement sur les mécanismes de justice transitionnelle. Votre appréciation des réalisations de la Commission vérité réconciliation ?

Il y a un gap entre les résultats escomptés et bientôt sept ans de travail de la CVR.
Secundo, la CVR n’a pas les moyens pour son action et ce serait même la cause de sa lenteur. Il m’est difficile de comprendre comment la seule équipe de la CVR basée à Bujumbura va sillonner tout le pays pour l’aspect vérité, pour parcourir toutes les 40 mille fosses communes renseignées. Ils ont aussi les difficultés de financement.

En plus, ils ont des difficultés d’expertise. Pour arriver à faire la lumière sur le passé douloureux, elle devrait faire souvent recourir aux moyens scientifiques. Elle doit ainsi disposer de ressources humaines très qualifiées et compétentes. Je veux dire des équipes mixtes, de juristes formés, de psychologues, d’anthropologues, d’archéologues, qui conjuguent leurs efforts pour faire éclater la vérité.

Si vous étiez nommé président de la CVR, quels changements ou améliorations apporteriez-vous ?

Le plus grand changement serait la décentralisation des instances de la CVR. Mettre en place des équipes dans les provinces, les communes et les collines.

Il faudrait également changer sa stratégie de communication. La CVR travaille avec les médias, mais pas de façon régulière. Ses activités circulent principalement sur les réseaux sociaux, mais ces derniers sont pour l’élite, les citadins. Mais quid des gens de la colline ?

Un autre aspect est l’ouverture au monde qui est capitale. Les commissions vérité qui ont réussi sont celles qui ont inclus des experts internationaux. Cela peut contribuer beaucoup à la légitimité des initiatives de la CVR.
Enfin, je plaiderais pour qu’il y ait la volonté politique pour le renforcement des structures de justice formelle et informelle. Les mécanismes de justice transitionnelle sont voués à l’échec si les structures de justice formelle (les cours et tribunaux) sont faibles ou fragiles, mais aussi si ceux de la justice informelle ou traditionnelle (les bashingantahe, facilitateurs communautaires) ne fonctionnent pas bien.

Votre passe-temps préféré ?

L’apprentissage. Je passe du temps à apprendre. Aujourd’hui grâce à l’internet, j’apprends beaucoup de choses. Apprendre des choses sur l’agriculture, l’élevage, l’épanouissement personnel. Ça passe par la lecture, le visionnage de matériel audio-visuel, des documentaires, des films.
Mais aussi, lorsque je suis à Bujumbura ou ailleurs dans le pays, j’aime arpenter les montagnes, de belles collines qui surplombent la ville de Bujumbura. J’aime le cyclisme. J’adore aussi être avec ma famille.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Ma colline natale, là où je suis né et ai grandi, passé les premières années, mon royaume d’enfance. Se lever le matin et voir les belles collines, le mont Teza, ça me fait tellement du bien. J’adore aussi être sur les plages du lac Tanganyika.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi. C’est un pays adorable, extraordinaire. Il n’y a pas mieux que chez soi. Le Burundi est un beau pays. Moyennant peu d’efforts en termes de paix, de réconciliation, d’unité, on peut transformer ce pays en paradis. Nous avons de l’eau propre, nous n’avons pas de désert, ni de zones arides.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

J’aimerais voyager dans les iles du Pacifique.

Votre rêve de bonheur ?

Comme tout père de famille, je veux voir mes enfants briller, faire mieux que moi. Je vais voir le Burundi émerger, passer de cette histoire de violence, de division, de pauvreté à un beau pays loin de la famine, loin du manque de bases pour le bien-être. Et c’est possible!

Au niveau international, je veux voir les conflits violents cesser, la paix régner. La paix dont parlait le philosophe Emmanuel Kant. Il avait une théorie de la paix perpétuelle où toutes les nations seraient des républiques avec des Constitutions justes qui garantissent la sécurité et les droits à tous les citoyens.

Votre plat préféré ?

Je suis végétarien. J’adore les fruits. Je n’aime pas les plats avec la viande. Traditionnellement, les colocases naturelles, cuits de façon traditionnelle dans une marmite me font du plaisir.

Quelle radio écoutez-vous ?

J’écoute la radio de moins en moins. Mais lorsque j’écoute la radio, je préfère Isanganiro.

Avez-vous une devise ?

Non. Je me laisse aller comme ça et profiter des moments de vie avec mon entourage, mes collègues, mes amis, ma famille, mes étudiants.

Votre souvenir du 1er juin 1993 (le jour où le président Ndadaye a été élu) ?

La joie de ceux qui avaient voté pour lui. Cette joie qui fait que ses sympathisants sortent de leurs maisons, de leurs collines, sortent avec des casseroles, des bidons, des seaux, ils battent, chantent, dansent. Maintenant que je regarde le passé avec d’autres yeux, je vois un sentiment de libération, pour une grande partie de la population burundaise.

Votre définition de l’indépendance ?

L’indépendance veut dire marcher et progresser ensemble comme un peuple, comme une nation, et avoir le sentiment de fierté d’appartenir à une nation. Elle veut dire aussi faire face aux défis ensemble, jouir des instants de bonheur qui se présentent ensemble. Les défis dont je parle sont des défis non humains, les catastrophes naturelles, la pauvreté, etc.

En outre, l’indépendance signifie le partage équitable des ressources qui existent dans le pays. Elle traduit pour moi l’espoir d’un avenir meilleur et avec un sentiment comme quoi on y arrive progressivement.

Votre définition de la démocratie ?

La démocratie est l’équivalent de la liberté. Dans la démocratie, le pouvoir appartient aux peuples de façon effective. Il n’y a pas une catégorie de personnes qui soit plus forte que les autres. Si vous avez un mandat public, vous agissez comme le garant de ces libertés. Donc, la démocratie est la liberté d’agir, de penser, d’exprimer son opinion, etc. Elle est aussi la marche vers le développement intégral, dans tous les aspects, pas seulement matériel mais aussi au niveau de la mentalité.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

J’y crois énormément. Dans les contextes comme les nôtres et ailleurs, sans la bonté humaine, on ne pourrait pas vivre ensemble. Dans notre contexte où nous avons un passé violent, où les gens témoignent de la violence, on peut parfois croire que la bonté humaine n’existe pas. Mais, il suffit de voir le monde autrement.

Pensez-vous à la mort ?

L’idée ne me vient pas à l’esprit souvent. Mais j’y pense quelques fois, quand je dois me rendre au cimetière pour l’enterrement d’un ami, d’un proche, d’un collègue, mais en tout petit peu. Ce n’est pas quelque chose qui me hante.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je lui dirai que je n’ai pas été toujours juste comme je l’aurais voulu mais que j’ai fait mon mieux pour que les autres vivent mieux. Je lui demanderai de me pardonner là où j’ai failli. Enfin, je lui dirai de donner la paix au monde.
Propos recueillis par Egide Harerimana

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Bio-express

Jean Bosco Harerimana est enseignant-chercheur à l’Université du Burundi. Ses recherches se focalisent sur la consolidation de la paix dans des contextes post-conflictuels. Aujourd’hui, ses priorités dans la recherche portent principalement sur les mécanismes de justice transitionnelle au Burundi. Avant de rejoindre l’Université du Burundi, il a travaillé comme journaliste (producteur et réalisateur) à la RTNB où il était titulaire du programme NINDE? Par la suite, il travaille avec des ONGI au niveau local. Né à Runyinya, colline Murambi, commune Matongo, dans la province Kayanza, ses études commencent à l’Ecole Primaire de Murambi, ensuite le lycée Don Bosco de Ngozi, avant de commencer le Département de Langue et Littérature Anglaises. Puis il a décroché un diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées (DESS) en droits de l’Homme et résolution pacifique des conflits à l’Université du Burundi. Grâce aux bourses d’étude Michael Courtney Fellowship et Chevening Scholarship, Jean Bosco Harerimana poursuivra ses études supérieures au Trinity College Dublin (TCD) à Dublin en République d’Irlande puis, à l’Université de Bradford en Angleterre. Dès le début de ses études secondaires, il s’engage pour l’activisme en droits humains et la paix à travers l’Association pour la Paix et les Droits d’Homme (APDH), dont il deviendra plus tard le Secrétaire Général puis Représentant Légal. Il est aussi membre du Global Exchange on Religion in Society (GERIS). Marié, il est père de 4 enfants : deux filles et deux garçons.

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