Jeudi 25 avril 2024

Culture

Au coin du feu avec Godefroy Hakizimana

27/03/2021 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Godefroy Hakizimana
Au coin du feu avec Godefroy Hakizimana

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Godefroy Hakizimana.

Votre qualité principale ?

En tant que citoyen, ma qualité principale est « l’homme du bien ». Je suis très embarrassé quand je vois quelqu’un en nécessité, quand je ne peux pas lui venir en aide directement. J’aime aider les personnes en difficulté.

Comme chrétien, de l’Eglise Catholique, Sainte et Apostolique de Rome, je suis l’homme qui demande pardon directement à celui que j’offense. Aussi longtemps que je ne l’ai pas fait, je ne dors pas tranquillement.

Dans ma formation, je suis Ingénieur Electromécanicien. Depuis 1982, je travaille dans le domaine de l’hydraulique, de l’énergie et des mines. Ainsi dans ma vie professionnelle, mes collègues trouvent en moi, l’homme de la performance. Je suis donc performant car je n’aime pas les choses faites à moitié et en retard. Sur ce, mon principe est « Avant l’heure, ce n’est pas l’heure et après l’heure, ce n’est plus l’heure ».

Votre défaut principal ?

En général, il est difficile d’admettre un défaut. Comme je vous l’ai dit, ce sont les autres qui le disent, sauf après la mort.

En ce qui me concerne, je peux dire que mon défaut principal est de ne pas donner de valeurs à toute personne qui n’est pas productif. Même pour le saluer, je le fais en dernier lieu, alors que je suis chrétien.

La qualité que vous aimez chez les autres ?

La bonté et la tolérance.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Cette question est liée à la précédente. Une personne qui n’est pas tolérante et qui aspire en permanence à la vengeance, au vol des biens d’autrui et au pillage du trésor public, cette personne-là est à dénigrer. Dans le Burundi d’antan, une telle personne était bannie par la Société. C’était plus fort que d’être jeté en prison car quand une personne était bannie, elle était automatiquement exclue de son milieu de vie et contrainte au vagabondage. C’était donc une humiliation totale. Voilà pourquoi je n’estime pas les gens non tolérants et usurpateurs.

La femme que vous admirez le plus ?

Quand vous dites « Femme », c’est comme quand vous dites tout Homme en général. Les femmes sont de trois ordres. Il y a les mères, les épouses et les filles-enfants. J’aime donc ma mère. J’aime mon épouse. Et j’aime aussi mes filles.

L’homme que vous admirez le plus ?

La question est liée à la précédente. J’aime mon père. J’aime mes frères. Et j’aime mes fils. Ces trois dimensions sont très importantes, car elles constituent « la Famille nucléaire » dans la Société.

Votre plus beau souvenir ?

Mon plus beau souvenir est quand j’ai vu naître mon petit frère Denis Kantore en 1957. Je suis l’aîné de la famille. Je voyais donc venir un autre soutien de la famille.

Votre plus triste souvenir ?

Mon plus triste souvenir est le jour de la mort de mon père. Le pilier de la famille venait de s’effondrer même si j’étais déjà marié.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Dans la Société Burundaise, on ne parle jamais de malheur pour soi-même. Car c’est appeler les démons. Mais comme vous me posez la question, je ne pourrais pas me dérober. Mon plus grand malheur serait de perdre un bien-aimé.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

C’est le jour de la victoire de l’Armée du Chef Maconco à Kivyeyi, tout près de Muramvya contre les envahisseurs arabes de Rumariza. Ce jour-là, même le Mwami Mwezi Gisabo s’était retiré dans la région de Nyaburunga, et Maconco, grand guerrier intrépide et chef de la chefferie de Nyankarange (Musigati, Rugazi, Gihanga et Buvira), s’est organisé pour mettre en retraite ces envahisseurs esclavagistes.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

C’est le 1er juillet 1962, le jour où notre pays a recouvré son autonomie politique et sociale.

En effet, l’Indépendance est une condition pour une nation, un pays, un État, dans lequel les résidents et la population s’autogouvernent et où règne une souveraineté totale sur le territoire. L’opposition de l’indépendance est le fait d’être totalement régenté par une autorité suzeraine ou coloniale. Notre Indépendance a été donc essentiellement politique.

La plus terrible ?

Pour moi, il y a eu quatre plus terribles dates de l’histoire burundaise : le 13 octobre 1961 avec l’assassinat du héros national de l’Indépendance, le Prince Louis Rwagasore, le 29-30 avril 1972 avec le massacre à grande échelle des membres Tutsi de ma famille par des rebelles et la suite des assassinats ciblés de Hutu par le pouvoir de l’époque, le 21 octobre 1993 avec l’assassinat d’un président démocratiquement élu et le 22 octobre 1993 avec le massacre généralisé des populations Tutsi, alors qu’elles n’étaient en rien la cause de la mort du président Melchior Ndadaye.

Le métier que vous auriez aimé exercer dans une autre vie ?

Tous les métiers sont bons lorsqu’il s’agit de mettre notre pays sur les rails du développement. Seulement, j’ai toujours regretté de n’avoir pas été médecin-chirurgien, car j’aurais pu sauver beaucoup de personnes.

Votre souvenir du 1er Juin 1993 ?

Mon souvenir du 1er juin 1993 est d’abord une satisfaction de l’assise d’une démocratie multipartite. Il est ensuite une émotion de défaite car mon parti politique avait soutenu le Parti Uprona, qui n’a pas gagné les élections de juin 1993, même si la défaite électorale est une composante normale du fonctionnement démocratique d’un pays comme le Burundi.

En effet, la défaite électorale constitue une étape obligée dans la carrière politique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer en politique ?

Après le Sommet de la Baule en France en 1990, le Président Mitterrand a invité ses pairs africains à opérer une ouverture démocratique pour le pluralisme politique dans leurs pays respectifs. C’est l’époque où dans la plupart des pays africains, se sont succédé des conférences souveraines des pouvoirs politiques en place et la création de cadres politiques pour de nouveaux contextes constitutionnels permettant le multipartisme.

A cette époque, j’étais parmi les jeunes révolutionnaires qui militaient pour un changement politique permettant la participation de tout citoyen apte dans la gestion de l’Etat.

C’est de cette manière que j’ai retroussé les manches pour la création du parti Social-Démocrate – PSD-DUSABIKANYE.

Quel est le personnage qui vous inspire en politique ?

Le personnage qui m’inspire en politique est Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Joseph Staline. Avec la mort de Lénine le 21 janvier 1924, Joseph Staline prit les rênes du pouvoir et imposa la nouvelle politique économique que Lénine, chef d’Etat de l’Union Soviétique, avait fait adopter en 1921 pour sortir l’Union Soviétique de la misère que connaissaient les populations paysannes. A cette époque, la plupart des leaders du Parti Communiste commençaient à faire la fronde pour remettre en cause cette politique.

Quand Staline vint au pouvoir, il remit tout le monde sur la voie du Socialisme Scientifique et fit de l’Union Soviétique une puissance militaire qui milita pour les indépendances des pays africains.

De même, dans un contexte international de plus en plus tendu par la montée en puissance de l’Allemagne hitlérienne, Staline engagea l’Union soviétique dans la Deuxième Guerre Mondiale et battit les Nazis jusqu’à entrer dans le Bundestag (Parlement Allemand) pour libérer le monde du nazisme.

Vous avez été un des acteurs de la signature de l’Accord de Paix d’Arusha en 2000. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

L’Accord de Paix d’Arusha fut un contrat social, naguère prôné par la rébellion du PALIPEHUTU. Un instrument de Paix et de Bonne Gouvernance, comme le Tambour Karyenda, qui donnait confiance au peuple burundais.

Vous faites de la politique depuis une trentaine d’années. Qu’est-ce qui explique que tant de gens aient une mauvaise image de la politique et des politiciens en général ?

Les gens ont une mauvaise image de la politique et des politiciens en général parce qu’après les élections, ils font l’impasse sur les promesses à l’endroit de leurs électeurs.

De même, pour s’y maintenir, certains pratiquent la division et l’exclusion, alors que quand vous accédez aux institutions politiques, c’est UN RENDEZ-VOUS DU DONNER ET DU RECEVOIR.

En tant qu’ancien ministre de l’Artisanat, de l’Enseignement des Métiers et de l’Alphabétisation des Adultes, qu’est-ce qui explique la persistance d’une dévalorisation de l’Enseignement des métiers contrairement aux humanités générales ?

La persistance d’une dévalorisation de l’Enseignement des métiers, en un mot de la Formation professionnelle, contrairement aux humanités générales, est une mauvaise définition de la politique gouvernementale en matière de développement du monde rural dans la transformation et la conservation des produits agricoles et d’élevage (Coopératives), de la promotion des petites et moyennes Entreprises (PME) et même de l’industrialisation.

Tous ces secteurs ne peuvent prendre de l’envol sans des gens pour exercer un certain nombre de métiers y liés.
C’est pourquoi, nous devons renoncer à la philosophie de ceux qui veulent être rémunérés en étant uniquement en cravates.

Qu’est-ce qui devrait être fait pour mettre un terme aux clichés en rapport avec l’enseignement des métiers ?

Ceux qui véhiculent ces clichés sont ceux qui n’y connaissent rien et qui ne font que disserter. Car sans ces métiers, le peuple retournerait à la cueillette. Ces métiers constituent le pilier du développement économique et social et donc un instrument pour lutter contre la pauvreté en créant des emplois.

Votre passe-temps préféré ?

A mon âge, mon passe-temps c’est la lecture des livres pour connaître les faits de l’histoire de mon pays et rendre disponible des données historiques pour une contribution à la reconstitution de la cohésion sociale basée sur les valeurs traditionnelles burundaises. Je suis en train d’écrire un livre intitulé « Burundi, Pouvoir politique et Clans », dont le Tome 1 sera « Des Monarchies Claniques à la Monarchie Ganwa ».

Votre lieu préféré au Burundi ?

Les hautes montagnes parce que j’y suis né. Je suis né sur une chaîne de montagnes de Mukike, dans la province Bujumbura, qui fait face au Mont Heha. Dans cette région, il y a très peu de maladies. C’est pourquoi les gens y atteignent la centaine.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi. C’est mon cœur qui palpite quand je vois du désordre dans mon pays.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Jeune, j’ai voyagé sur tous les continents du monde. Le seul qui me reste, c’est d’aller visiter la tombe du Christ à Jérusalem.

Votre rêve de bonheur ?

Voir mes enfants grandir et se multiplier à leur tour. Cela a même été la bénédiction divine d’Abraham.

Votre plat préféré ?

J’aime deux plats. Le premier est constitué de la pâte de maïs avec le lait. Le deuxième est la pâte de blé avec la pomme de terre (pour ceux qui ne viennent pas de ma région – le Mugamba- c’est l’équivalent du pain et de la purée de pomme de terre). Ce sont des plats traditionnels Rundi.

Votre chanson préférée ?

La chanson de la mère pour calmer son nourrisson qui pleure.

Quelle radio écoutez-vous ?

Aujourd’hui, je n’ai pas le temps d’écouter les radios car les réseaux sociaux sont là.

Avez-vous une devise personnelle ?

Ma devise est meilleure en kirundi : « Nararahiye gusaba uwo nimye ngirango naramuhaye » (Je jure de ne rien demander à mon ennemi croyant que je lui ai fait du bien par le passé).

Si vous redeveniez ministre de l’Artisanat, de l’Enseignement des Métiers et de l’Alphabétisation des Adultes, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Mes deux premières mesures seraient les suivantes :

-Faire adopter par le Gouvernement une nouvelle politique sectorielle de la formation professionnelle et de l’enseignement des métiers, ainsi que le cadre légal et réglementaire y relatif. L’option d’alphabétisation devrait être confiée au ministre en charge de l’Education formelle, car l’Ecole fondamentale devrait être obligatoire et annihilerait l’analphabétisme ;

-L’adoption des Curricula pour les différents métiers existant dans le secteur de l’artisanat, la construction de centres modernes de formation professionnelle au niveau de chaque province et les centres de métiers équipés dans chaque Commune ainsi que le recrutement du personnel d’abord renforcé au niveau des centres de qualification pour enseignants.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

A l’origine, l’Homme était bon. C’est Satan qui l’a induit en erreur. C’est pour cela qu’au niveau de la réglementation, les Sociétés humaines combattent la méchanceté. Sinon, l’Homme est bon. Mais il a besoin d’une formation pour l’encadrer afin qu’il reste dans les limites de la bonté humaine.

Pensez-vous à la mort ?

Moi, je suis chrétien, je n’ai pas peur que Dieu m’appelle un jour parce qu’il m’aime mieux que je ne l’aime.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui diriez-vous ?

Il est le Tout-Puissant et la Bonté divine. Il a même envoyé, sur Terre, son fils Jésus, pour se donner en sacrifice pour tous les peuples.

Vous comprenez que si je me présente devant Dieu, d’abord je serais heureux de ne pas avoir commis de péchés, et ensuite je ne dirais rien, car Dieu m’aura tout donné.

Mais comme vous me posez cette question, je l’implorerais pour qu’il protège ceux qui sont les miens restés sur Terre car les pécheurs sont devenus nombreux.
Propos recueillis par Alphonse Yikeze

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Bio-express

Godefroy Hakizimana est descendant de Gishungura, chef des armées du Mwami Mwambutsa Mbariza, père du Mwami Ntare Rugamba, lequel était du clan des Abenengwe. Il est né le 15 août 1955 sur les contreforts de la chaîne de montagnes de Mukike, communément appelés « Umugamba wegamiye Mukike ». Il commence son Ecole primaire en 1963, qu’il termine en 1969 à l’Ecole primaire catholique de Mutumba, en Commune Kabezi. De 1969 à 1973, il fréquente le Petit Séminaire de Buta, où il acquiert le Certificat du Cycle Inférieur des Humanités. De 1973 à 1976, il poursuit son cycle supérieur des Humanités générales au Collège Notre Dame de Gitega. De 1976 à 1977, il fréquente l’année préparatoire aux Etudes d’Ingénierie à l’Université de Saint-Petersbourg en Russie. De 1977 à 1982, il fréquente l’Institut des Ingénieurs des Chemins de Fer de Moscou, du Nom de Staline, où il sort avec le Grade de Master en Ingénierie et Ingénieur Electromécanicien, avec une Spécialité d’Electrification des Chemins de Fer. A son retour au pays en 1982, il a enseigné l’Electricité Industrielle à l’Ecole Technique Secondaire de Kamenge. En 1983, il est cadre du ministère des Travaux Publics, de l’Energie et des Mines. M. Hakizimana a participé à l’édification du Système Energétique burundais avec la construction de la Centrale hydroélectrique de Rwegura et autres et de tout le Réseau électrique interconnecté du Pays. Après la signature de l’Accord de Paix et de Réconciliation nationale, il est devenu ministre de l’Artisanat, de l’Enseignement des Métiers et de l’Alphabétisation des Adultes. De 2006 à 2020, il était conseiller technique du ministre de l’Hydraulique, de l’Energie et des Mines. Aujourd’hui, il est consultant senior dans les domaines des infrastructures.

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