Jeudi 25 avril 2024

Culture

Au coin du feu avec Emmanuel Nengo

09/11/2019 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Emmanuel Nengo
Au coin du feu avec Emmanuel Nengo

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Emmanuel Nengo.

Votre qualité principale ?

Je suis patient et posé. Je considère tout ce qui se produit dans ma vie comme une destinée. Lorsqu’il s’agit de quelque chose que je comptais avoir dans l’immédiat mais qui tarde à se réaliser, je garde espoir. Les critiques ne me découragent pas. Je ne suis pas rancunier.

Votre défaut principal ?

Je parle peu. Je ne discute pas beaucoup surtout quand il s’agit des discussions non objectives. Je considère cela comme un obstacle pour moi à agrandir le champ de réflexion, surtout de recevoir plus de contributions des autres personnes autour de moi. Certains peuvent me qualifier de timide.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

Honnêteté et redevabilité.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La malhonnétêté et l’irresponsabilité. Ce sont des comportements difficiles à supporter. Parce qu’ils créent souvent des conflits. Ces défauts poussent à la perte de personnalité.

La femme que vous admirez le plus ?

Une femme courtoise et responsable. Pour ce, j’admire le plus ma mère pour sa responsabilité et son engagement pour que je puisse être ce que je suis. Elle n’a pas étudié. Mais, elle m’a beaucoup encouragé à continuer mes études malgré les renvois répétitifs suite au manque de frais scolaires. Elle vendait ses pots pour que je puisse avoir le minimum de ce dont j’avais besoin.

L’homme que vous admirez le plus ?

Un homme déterminé, décisif et rassembleur. Mon grand-père Mbonabirama était un des rares Batwa qui ont été nommés chefs de colline (Nyumbakumi) dans les années 90. Il était parmi les Bashingantahe de la colline auxquels les gens pouvaient se confier en cas de conflits ou litiges.

Parmi les leaders politiques, j’admire le plus Nelson Mandela. D’abord pour son combat contre l’Apartheid, puis pour son comportement affiché après sa libération de 27 ans de prison où il a accepté d’intégrer dans les institutions les hommes blancs qui l’ont malmené et emprisonné. Enfin,  il a cédé volontairement le pouvoir aux autres compatriotes et compagnons de lutte pour prendre sa relève. Je ne peux pas oublier combien il a aidé notre pays à recouvrer la paix à travers les Accords d’Arusha.  Il  est donc devenu un monument international sans égal.

Votre plus beau souvenir ?

(Rires). Ils sont nombreux. Mais, quand j’ai été premier dans toute la province au concours national, c’est vraiment inoubliable. Je me rappelle que beaucoup de gens voudraient voir cet enfant Mutwa qui a été le premier dans toute la province. Cela m’a permis de rencontrer pour la première fois le gouverneur de la province feu Philippe Njoni qui m’a promis de payer le minerval de toute l’année.

Votre plus triste souvenir ?

Là aussi, ils sont nombreux. Mais le plus triste, c’est quand j’ai été insulté et battu par mes collégues écoliers à cause de mon appartenance ethnique. Je me sentais humilié et j’avais peur de les approcher pendant la récréation ou les jeux.

C’est aussi lorsque je me suis réfugié en République Unie de Tanzanie. C’était en 1993 après l’assassinat du président Melchior Ndadaye. Je suis revenu une année après. Dans mon refuge, je voyais que tous les malheurs du monde sont tombés sur moi (la faim, les maladies de temps en temps). J’étais désespéré.

Quel serait votre plus grand malheur ?

J’ai la chance d’avoir mes parents et ma famille (femme et enfants) toujours en vie. Je considère le refuge comme mon plus grand malheur.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Pour moi, le plus haut fait de l’histoire c’est la délimitation du Burundi par Ntare Rugamba. Donc, ses conquêtes.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Le 1 juillet 1962, date de l’indépendance du Burundi. Car les Burundais venaient de retrouver la liberté. C’était donc une autre ère qu’ils venaient de commencer.

La plus terrible ?

Je considère que 1972 reste la plus terrible date de l’histoire du Burundi. En effet, il y a eu le premier massacre de milliers personnes (plus de 300 mille, selon certaines sources).

Le métier que vous auriez aimé faire ?

Médecin.  C’est un métier qui demande une déontologie spéciale, sauver les vies humaines. J’adore les médecins.

Votre passe-temps préféré ?

Le sport (basket, football, jogging, natation, etc) est une occupation qui m’intéresse beaucoup parce que je me détends et en même temps j’entretiens ma santé. Sur mon programme de la semaine, il y a des heures réservées pour le sport. C’est une pratique de longue date.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Ma colline natale est un bon endroit. Car, quand je suis là je me sens très à l’aise et surtout lorsque je suis avec nos voisins partageant souvent la bière locale. Ma colline natale est verdoyante. Il y a beaucoup de bananeraies, différentes cultures y poussent. On n’a pas besoin souvent d’engrais chimiques comme fertilisants.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

J’ai déjà visité certains pays des quatre continents mais je n’ai jamais envie de vivre dans un autre pays que le Burundi.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Visiter le continent Océanie (surtout l’Australie). Car, il est le seul continent où je n’ai pas encore mis mon pied.

Votre rêve de bonheur ?

Terminer ma vie au sein des miens dans un environnement paisible.

Votre plat préféré ?

Je préfère beaucoup un repas sans huile :Viande, banane, haricot et légumes.

Votre chanson préférée ?

La chanson de Canco Amissi : ‘‘UMUGABO NYAMUGABO YAMA AVUGA UKURI AKAMA AGWANIRA AMAHORO AHO ARI HOSE. ‘’ J’aime cette chanson parce qu’elle contient des mots  très émouvants et décrit ce qu’est un homme de valeur : un homme de valeur doit dire la vérité, contribuer à la consolidation de la paix, éviter la paresse, être au côté des autres pour le bien-être social, l’unité.

Quelle radio écoutez-vous ?

Isanganiro

Avez-vous une devise ?

La liberté et l’auto-détermination.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

La victoire du Président Melchior Ndadaye et les différentes considérations sur base des tendances ethniques.

Votre définition de l’indépendance ?

La fin de la colonisation et la prise en mains de la gestion des affaires nationales par les nationaux.

Votre définition de la démocratie ?

C’est la liberté d’expression de toute personne dans la limite de la loi et la participation effective et inclusive de tout le peuple dans la gouvernance de son pays sans discrimination. Le peuple reste le centre d’intérêt et élément moteur de cette gouvernance, et les élections restent la ligne directrice.

Votre définition de la justice ?

J’entends par ‘’justice’’ le fait de rendre un procès équitable aux parties en conflits dans le strict respect de leurs droits et que ces dernières (parties en conflits) adhèrent facilement à la décision.

Si vous étiez ministre de l’Education, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Une question difficile à répondre. Parce que tout ministre doit d’abord suivre le programme du gouvernement. Actuellement, il y a la vision 2025 et le Plan National de développement 2018-2027  qui guident toute stratégie de travail de chaque ministère. Mon humble souhait est de voir se réaliser :

– la réduction des barrières à la gratuité de l’enseignement dans le cadre d’augmenter le taux de scolarisation ;

– la promotion de la qualité de l’enseignement primaire et secondaire et l’augmentation de salaire pour les enseignants.

Si vous occupiez le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Comme je l’ai souligné ci-haut, le ministre doit suivre le programme du gouvernement. Ce qui peut être fait dans le cadre de garantir la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement :

Permettre aux populations d’accéder aux semences améliorées et au bétail ainsi qu’aux engrais chimiques et organiques en vue de l’augmentation de la production en quantité suffisante et de qualité ;

Renforcer les mesures de protection de l’environnement et de lutte contre les changements climatiques (plantations des arbres surtout fruitiers (Ewe burundi urambaye est un programme bien pensé), combattre l’usage des sachets et plastiques bio- dégradables).

Si vous étiez ministre de la Solidarité nationale, des Droits de la personne humaine et du Genre ?

Comme ce ministère s’occupe surtout des affaires sociales, il serait intéressant de faire :

Une identification des vulnérables à travers tout le pays et les catégoriser par degré de vulnérabilité dans le cadre de statuer les types d’aide à les apporter. Ceci dans le cadre de renforcer la solidarité ;
Une mise en place d’un fonds de solidarité nationale.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Pas tellement. A ce que je sache l’homme est naturellement bon; seul le péché le transforme. On dit également que personne n’est parfait  et le monde est méchant en général. Je trouve donc que cette bonté humaine est relative.

Pensez-vous à la mort ?

Bien sûr. C’est quelque chose qui vient par surprise. Elle est le pont de passage de la vie terrestre à la vie de l’au-delà. Si on croit à la vie céleste, on doit par conséquent penser à ce passage.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je lui dirais que la vie sur terre est vécue différemment et elle est difficile à comprendre et à définir. C’est un combat difficile surtout accomplir tout ce qui est recommandé à l’homme de Dieu. C’est donc tout un mystère. Je lui dirais grand merci pour sa miséricorde et sa bonté qu’il s’est réservées à la satisfaction de tout un chacun selon ses préférences. Je demanderais pardon où j’ai failli à accomplir correctement sa volonté.

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze

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Bio-Express

Né le 25 décembre 1975, sur la colline Bucana, commune Gitobe, province Kirundo, Hon. Emmanuel NENGO, est membre de la communauté Batwa du Burundi. Il a fait ses études primaires à l’EP Gihinga en commune Gitobe et a effectué ses études secondaires au Petit Séminaire Saint Pie X de Muyinga, puis aux Lycées Murore et Rugari. Avant d’entrer à l’Université, il a fait le Service Civique Obligatoire. Diplômé en langues et littératures africaines à l’Université du Burundi, il a suivi plusieurs formations au niveau national, régional et international en matière des droits de l’Homme. Il a également participé à des conférences régionales et internationales relatives aux droits de l’Homme, changements climatiques, à la protection de l’environnement, etc. Il a occupé les postes de secrétaire exécutif, Coordinateur des activités et aujourd’hui Représentant Légal au sein de leur organisation Unissons-nous pour la promotion des Batwa (UNIPROBA). Il a été membre de la Commission Nationale des Terres et Autres Biens (CNTB) et a été député (2012 –Juin 2017) au Parlement de la Communauté de l’Afrique de l’Est(EAC). Marié, il est père de quatre enfants.

Editorial de la semaine

Une responsabilité de trop

« Les décisions prises par la CVR ne sont pas susceptibles de recours juridictionnels. » C’est la disposition de l’article 11 du projet de loi portant réorganisation et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation analysée par l’Assemblée nationale et le Sénat (…)

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