Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Emile Mworoha.
Votre qualité principale
Bien qu’il soit difficile de se juger soi-même, je pense que ma principale qualité est la générosité. Chaque fois que je peux rendre service à quelqu’un, j’éprouve du plaisir à le faire. Quand on fait appel à moi pour résoudre un problème, et que je suis en mesure d’aider, je réponds généralement favorablement à la demande. Évidemment, je n’ignore pas le risque de m’exposer à des abus.
Votre défaut principal
Je ne saurais le dire avec certitude. Mais je dirais qu’il s’agit du corollaire de la qualité que je viens d’évoquer : la naïveté, la crédulité. J’ai tendance à accepter facilement ce que l’on me dit, en oubliant parfois la duplicité de certains individus.
La qualité que vous préférez chez les autres
J’apprécie particulièrement la sincérité. Je suis attaché aux amis sincères, ceux qui savent dire la vérité et vous prodiguent de bons conseils en cas de difficulté.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres
Le mensonge et la prétention. J’ai en horreur le recours au mensonge. Trop d’individus n’hésitent pas à mentir pour obtenir des avantages ou fuir leurs responsabilités. C’est pour moi inacceptable. Il en est de même pour ceux qui se parent de vertus qu’ils ne possèdent pas, qui se croient beaux, intelligents, riches, alors qu’il n’en est rien. Ils vivent dans un déni permanent. Je supporte difficilement de telles personnes.
La femme que vous admirez le plus
Il s’agit sans hésitation de ma mère. Non seulement elle m’a mis au monde et guidé dans mes premiers pas, mais elle m’a aussi appris notre belle langue, le kirundi, et m’a transmis les fondements de notre culture : le respect et l’amour de l’autre, l’amour du travail, le goût de l’effort. Les tâches immenses que nos mères accomplissaient dans le monde rural — le travail de la terre, l’éducation des enfants, les nombreuses activités quotidiennes — forcent l’admiration et constituent une grande leçon d’héroïsme.
L’homme que vous admirez le plus
Comme pour la femme que j’admire, c’est mon père que j’admire le plus chez les hommes. Il a grandement contribué à ma formation, m’a envoyé à l’école malgré moi. Mais je dois aussi mentionner mon grand-père, Rugotora. C’était un leader respecté dans notre lignée, un homme droit et décisif. C’est à lui que j’ai dédié ma thèse de doctorat en histoire, soutenue à l’Université Panthéon-Sorbonne. Mon fils Bertrand porte d’ailleurs son nom.
Votre plus beau souvenir
La réussite à l’examen interdiocésain du père inspecteur Émile Vasse en territoire de Ngozi, en janvier 1954. Il s’agissait d’un examen d’entrée à l’école secondaire de Musenyi. Le père supérieur de la mission de Gatara annonça que j’étais reçu. Ce fut une immense joie. Les territoires de Ngozi et Muyinga ne comptaient alors que deux écoles secondaires : Musenyi et le petit séminaire de Mureke. Je faisais donc partie d’une infime minorité accédant à l’enseignement secondaire. Ce fut un tournant qui me permit d’accéder par la suite à l’École normale supérieure du Burundi, puis aux universités françaises.
Votre plus triste souvenir
L’assassinat du Prince Louis Rwagasore, le 13 octobre 1961. J’étais alors en deuxième année à l’école normale . La nouvelle nous plongea dans une grande stupeur. Nous avions suivi de loin les tragédies du Rwanda en 1959 et du Congo en 1960 avec l’assassinat de Patrice Lumumba. Et voilà que le Burundi était frappé à son tour. J’ai assisté à son inhumation au Mausolée de Vugizo. Je me souviens encore de l’oraison funèbre prononcée par le gouverneur Jean-Paul Harroy, aux côtés du Mwami Mwambutsa.
Votre plus grand malheur
Ce serait de voir le Burundi replonger dans les violences qu’il a connues dans les premières décennies de son indépendance.
Le plus haut fait de l’histoire du Burundi
Le règne du Mwami Ntare Rugamba (1796-1852). Il permit l’agrandissement du royaume, l’intégration des régions du Buyogoma et de l’Imbo, et assura la pérennité des frontières contemporaines du Burundi.
La plus belle date de l’histoire du Burundi
Le 1er juillet 1962, date de l’indépendance. J’étais présent au stade Prince Louis Rwagasore pour assister à la descente du drapeau belge, à la montée du drapeau burundais et au remplacement de l’hymne belge par Burundi Bwacu. Ce fut un moment de fierté immense.
La date la plus terrible
La crise identitaire de 1972, un moment effroyable de violences entre membres d’une même nation. Il faut œuvrer pour une nation burundaise unie, réconciliée et tournée vers un développement durable.
Le métier que vous auriez aimé faire
Les contraintes de l’époque coloniale ont fortement limité le choix des carrières. Je me destinais à l’enseignement et j’ai appris à aimer ce noble métier. J’ai gravi les échelons, de moniteur à docteur en histoire, en passant par l’École normale supérieure. Aujourd’hui encore, j’exerce et aime le métier d’historien.
Votre passe-temps préféré
La lecture, l’écoute de la radio et la natation. Je lis beaucoup d’histoire, d’essais politiques et la presse (notamment Libération, Le Monde, Jeune Afrique et Iwacu). Je pratique aussi la natation chaque matin avec les membres de l’« Amphibie Club ».
Votre lieu préféré au Burundi
La région de Nkiko-Mugamba, en particulier ma colline natale de Ramvya, en commune de Muruta. Perchée à plus de 2 200 mètres d’altitude, elle offre des paysages splendides. On y trouve également un riche patrimoine culturel, notamment les nécropoles royales et la source de la rivière Ruvubu.
Le pays où vous aimeriez vivre
J’ai voyagé à travers les continents, mais nul endroit ne me semble aussi accueillant que le Burundi. Sa beauté naturelle et sa culture me sont précieuses.
Le voyage que vous aimeriez faire
Visiter l’Amérique du Sud : Pérou, Colombie, Mexique, Chili… Découvrir la Cordillère des Andes et la civilisation maya. Ces pays ont bouleversé l’alimentation mondiale par la diffusion de plantes essentielles.
Votre rêve du bonheur
Demeurer en bonne santé et ne jamais être à la charge de personne.
Votre plat préféré
Je ne suis pas un fin gourmet, mais j’apprécie particulièrement le sangala meunière accompagné de pommes nature.
Votre chanson préférée
Les chansons de Canjo Amisi me plaisent beaucoup. J’aime aussi la musique classique, notamment La Flûte enchantée de Mozart. Le chant grégorien me touche également, surtout le Te Deum.
La radio que vous écoutez
J’écoute RFI pour son actualité internationale. J’apprécie aussi la Radio Isanganiro et la Radio nationale, notamment le matin et à midi.
Avez-vous une devise ?
Pas vraiment, mais je me reconnais volontiers dans cette maxime : « Aide-toi, et le ciel t’aidera. »
Votre souvenir du 1er juin 1993
J’étais alors en poste à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) à Paris. J’ai voté à l’ambassade du Burundi. La victoire de Melchior Ndadaye fut une surprise totale, déjouant tous les pronostics.
Votre définition de l’indépendance
L’indépendance, c’est à la fois la souveraineté nationale et la prise en main par le peuple de son destin. C’est aussi un engagement collectif vers le développement intégral du pays.
Votre définition de la démocratie
La démocratie repose sur la séparation des pouvoirs, le multipartisme et les élections libres. Mais elle ne s’arrête pas là : il faut le respect des engagements politiques, l’alternance, la bonne gouvernance et le respect des lois.
Votre définition de la justice
Le respect des droits fondamentaux : droit à la vie, égalité devant la loi, absence de discrimination, et refus des doubles standards.
Si vous étiez ministre de l’Enseignement supérieur…
Je renforcerais la formation doctorale des enseignants et soutiendrais la publication des thèses et mémoires de qualité, notamment à travers les Presses universitaires du Burundi.
Si vous redeveniez ministre de la Culture…
Je construirais un bâtiment pour les archives nationales, en mauvais état, et ferais adopter une loi protégeant le patrimoine culturel du Burundi, matériel comme immatériel.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
La violence humaine est ancienne et tenace, mais la bonté existe, cultivée par l’éducation et la culture. Il faut la chérir.
Pensez-vous à la mort ?
J’y pense naturellement, sans en faire une obsession. C’est le sort de tous les humains.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui diriez-vous ?
Je lui exprimerais ma gratitude pour les bienfaits reçus, et lui demanderais d’être indulgent envers l’humanité, car la vie terrestre est parfois rude.
Propos recueillis par Egide Nikiza