Mardi 05 août 2025

Ils sont venus au coin du feu

Au coin du feu avec Emile Mworoha

19/01/2019 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Emile Mworoha
Au coin du feu avec Emile Mworoha

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Emile Mworoha.

Votre qualité principale

Bien qu’il soit difficile de se juger soi-même, je pense que ma principale qualité est la générosité. Chaque fois que je peux rendre service à quelqu’un, j’éprouve du plaisir à le faire. Quand on fait appel à moi pour résoudre un problème, et que je suis en mesure d’aider, je réponds généralement favorablement à la demande. Évidemment, je n’ignore pas le risque de m’exposer à des abus.

Votre défaut principal

Je ne saurais le dire avec certitude. Mais je dirais qu’il s’agit du corollaire de la qualité que je viens d’évoquer : la naïveté, la crédulité. J’ai tendance à accepter facilement ce que l’on me dit, en oubliant parfois la duplicité de certains individus.

La qualité que vous préférez chez les autres

J’apprécie particulièrement la sincérité. Je suis attaché aux amis sincères, ceux qui savent dire la vérité et vous prodiguent de bons conseils en cas de difficulté.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres

Le mensonge et la prétention. J’ai en horreur le recours au mensonge. Trop d’individus n’hésitent pas à mentir pour obtenir des avantages ou fuir leurs responsabilités. C’est pour moi inacceptable. Il en est de même pour ceux qui se parent de vertus qu’ils ne possèdent pas, qui se croient beaux, intelligents, riches, alors qu’il n’en est rien. Ils vivent dans un déni permanent. Je supporte difficilement de telles personnes.

La femme que vous admirez le plus

Il s’agit sans hésitation de ma mère. Non seulement elle m’a mis au monde et guidé dans mes premiers pas, mais elle m’a aussi appris notre belle langue, le kirundi, et m’a transmis les fondements de notre culture : le respect et l’amour de l’autre, l’amour du travail, le goût de l’effort. Les tâches immenses que nos mères accomplissaient dans le monde rural — le travail de la terre, l’éducation des enfants, les nombreuses activités quotidiennes — forcent l’admiration et constituent une grande leçon d’héroïsme.

L’homme que vous admirez le plus

Comme pour la femme que j’admire, c’est mon père que j’admire le plus chez les hommes. Il a grandement contribué à ma formation, m’a envoyé à l’école malgré moi. Mais je dois aussi mentionner mon grand-père, Rugotora. C’était un leader respecté dans notre lignée, un homme droit et décisif. C’est à lui que j’ai dédié ma thèse de doctorat en histoire, soutenue à l’Université Panthéon-Sorbonne. Mon fils Bertrand porte d’ailleurs son nom.

Votre plus beau souvenir

La réussite à l’examen interdiocésain du père inspecteur Émile Vasse en territoire de Ngozi, en janvier 1954. Il s’agissait d’un examen d’entrée à l’école secondaire de Musenyi. Le père supérieur de la mission de Gatara annonça que j’étais reçu. Ce fut une immense joie. Les territoires de Ngozi et Muyinga ne comptaient alors que deux écoles secondaires : Musenyi et le petit séminaire de Mureke. Je faisais donc partie d’une infime minorité accédant à l’enseignement secondaire. Ce fut un tournant qui me permit d’accéder par la suite à l’École normale supérieure du Burundi, puis aux universités françaises.

Votre plus triste souvenir

L’assassinat du Prince Louis Rwagasore, le 13 octobre 1961. J’étais alors en deuxième année à l’école normale . La nouvelle nous plongea dans une grande stupeur. Nous avions suivi de loin les tragédies du Rwanda en 1959 et du Congo en 1960 avec l’assassinat de Patrice Lumumba. Et voilà que le Burundi était frappé à son tour. J’ai assisté à son inhumation au Mausolée de Vugizo. Je me souviens encore de l’oraison funèbre prononcée par le gouverneur Jean-Paul Harroy, aux côtés du Mwami Mwambutsa.

Votre plus grand malheur

Ce serait de voir le Burundi replonger dans les violences qu’il a connues dans les premières décennies de son indépendance.

Le plus haut fait de l’histoire du Burundi

Le règne du Mwami Ntare Rugamba (1796-1852). Il permit l’agrandissement du royaume, l’intégration des régions du Buyogoma et de l’Imbo, et assura la pérennité des frontières contemporaines du Burundi.

La plus belle date de l’histoire du Burundi

Le 1er juillet 1962, date de l’indépendance. J’étais présent au stade Prince Louis Rwagasore pour assister à la descente du drapeau belge, à la montée du drapeau burundais et au remplacement de l’hymne belge par Burundi Bwacu. Ce fut un moment de fierté immense.

La date la plus terrible

La crise identitaire de 1972, un moment effroyable de violences entre membres d’une même nation. Il faut œuvrer pour une nation burundaise unie, réconciliée et tournée vers un développement durable.

Le métier que vous auriez aimé faire

Les contraintes de l’époque coloniale ont fortement limité le choix des carrières. Je me destinais à l’enseignement et j’ai appris à aimer ce noble métier. J’ai gravi les échelons, de moniteur à docteur en histoire, en passant par l’École normale supérieure. Aujourd’hui encore, j’exerce et aime le métier d’historien.

Votre passe-temps préféré

La lecture, l’écoute de la radio et la natation. Je lis beaucoup d’histoire, d’essais politiques et la presse (notamment Libération, Le Monde, Jeune Afrique et Iwacu). Je pratique aussi la natation chaque matin avec les membres de l’« Amphibie Club ».

Votre lieu préféré au Burundi

La région de Nkiko-Mugamba, en particulier ma colline natale de Ramvya, en commune de Muruta. Perchée à plus de 2 200 mètres d’altitude, elle offre des paysages splendides. On y trouve également un riche patrimoine culturel, notamment les nécropoles royales et la source de la rivière Ruvubu.

Le pays où vous aimeriez vivre

J’ai voyagé à travers les continents, mais nul endroit ne me semble aussi accueillant que le Burundi. Sa beauté naturelle et sa culture me sont précieuses.

Le voyage que vous aimeriez faire

Visiter l’Amérique du Sud : Pérou, Colombie, Mexique, Chili… Découvrir la Cordillère des Andes et la civilisation maya. Ces pays ont bouleversé l’alimentation mondiale par la diffusion de plantes essentielles.

Votre rêve du bonheur

Demeurer en bonne santé et ne jamais être à la charge de personne.

Votre plat préféré

Je ne suis pas un fin gourmet, mais j’apprécie particulièrement le sangala meunière accompagné de pommes nature.

Votre chanson préférée

Les chansons de Canjo Amisi me plaisent beaucoup. J’aime aussi la musique classique, notamment La Flûte enchantée de Mozart. Le chant grégorien me touche également, surtout le Te Deum.

La radio que vous écoutez

J’écoute RFI pour son actualité internationale. J’apprécie aussi la Radio Isanganiro et la Radio nationale, notamment le matin et à midi.

Avez-vous une devise ?

Pas vraiment, mais je me reconnais volontiers dans cette maxime : « Aide-toi, et le ciel t’aidera. »

Votre souvenir du 1er juin 1993

J’étais alors en poste à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) à Paris. J’ai voté à l’ambassade du Burundi. La victoire de Melchior Ndadaye fut une surprise totale, déjouant tous les pronostics.

Votre définition de l’indépendance

L’indépendance, c’est à la fois la souveraineté nationale et la prise en main par le peuple de son destin. C’est aussi un engagement collectif vers le développement intégral du pays.

Votre définition de la démocratie

La démocratie repose sur la séparation des pouvoirs, le multipartisme et les élections libres. Mais elle ne s’arrête pas là : il faut le respect des engagements politiques, l’alternance, la bonne gouvernance et le respect des lois.

Votre définition de la justice

Le respect des droits fondamentaux : droit à la vie, égalité devant la loi, absence de discrimination, et refus des doubles standards.

Si vous étiez ministre de l’Enseignement supérieur…

Je renforcerais la formation doctorale des enseignants et soutiendrais la publication des thèses et mémoires de qualité, notamment à travers les Presses universitaires du Burundi.

Si vous redeveniez ministre de la Culture…

Je construirais un bâtiment pour les archives nationales, en mauvais état, et ferais adopter une loi protégeant le patrimoine culturel du Burundi, matériel comme immatériel.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

La violence humaine est ancienne et tenace, mais la bonté existe, cultivée par l’éducation et la culture. Il faut la chérir.

Pensez-vous à la mort ?

J’y pense naturellement, sans en faire une obsession. C’est le sort de tous les humains.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui diriez-vous ?

Je lui exprimerais ma gratitude pour les bienfaits reçus, et lui demanderais d’être indulgent envers l’humanité, car la vie terrestre est parfois rude.

Propos recueillis par Egide Nikiza

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Bio Express

Emile Mworoha est né en 1940 dans la commune Muruta de l’actuelle province Kayanza. Il fait ses études primaires de 1949 jusqu’en 1953 dans la commune Gatara. De 1954 jusqu’en 1960, il est admis à l’école moyenne pédagogique de Musenyi. Il poursuit sa scolarité à l’Ecole normale de Ngozi dont il sort avec un diplôme d’instituteur en 1965. Il est inscrit la même année à l’Ecole normale supérieure à Bujumbura. Il accède en 1968 au diplôme de professeur de géographie, d’histoire et de français. Il décroche une bourse d’Etudes la même année pour une maîtrise en France. Il défendra sa thèse en 1975 à l’Université de la Sorbonne à Paris. Après, Emile Mworoha exercera plusieurs fonctions : professeur à l’ENS (1975-1976), ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture (1976-1978), secrétaire général du parti Uprona (1978-1987), président de l’Assemblée nationale (1982-1987). Pendant cette même période, il co-préside l’Assemblée paritaire des Etats ACP-CEE. Emile Mworoha a été enseignant au département d’Histoire de l’université du Burundi entre 1987 et 1990, directeur général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) chargé de la Culture puis des politiques et de la planification (1990-1992), conseiller au cabinet du secrétaire général de l’ACCT (1993-1994). De 1995 jusqu’en 1997, il est consultant international auprès de l’ACCT, de l’Unesco et de l’Association internationale des maires francophones. Il est député (1998-2004) et dispense également des cours à l’Université. Il enseignera depuis 2004 jusqu’à son départ à la retraite en 2012. Emile Mworoha a reçu plusieurs distinctions au cours de sa carrière. Il a notamment été nommé en 1984 grand officier de la Pléiade par l’Association internationale des parlementaires de langue francophone. Il aura aussi le diplôme de commandeur des Arts et des Lettres lui décerné par le ministre français de la Culture, Jack Lang en 1984. Des professeurs de l’Université du Burundi et d’autres universités étrangères ont écrit en 2017 un livre à son hommage intitulé «Un demi-siècle d’histoire du Burundi. A Emile MWOROHA, un pionnier de l’histoire africaine».

Editorial de la semaine

Entre essence chère et sanctions : les transporteurs au bord du gouffre

Il devient de plus en plus difficile de comprendre ce qui se joue réellement dans le secteur du transport en commun au Burundi. Le constat dressé par notre correspondant à Gitega, mardi 29 juillet, a de quoi inquiéter : « (…)

Online Users

Total 2 808 users online