Dimanche 28 décembre 2025

Économie

Anagessa : Plusieurs zones d’ombre

Anagessa : Plusieurs zones d’ombre
Alain Ndikumana : « Il faut que vous, députés et autorités, on travaille ensemble pour résoudre la question de l’Anagessa. »

L’Anagessa présente de nombreuses zones d’ombre que même le ministre en charge des finances et les députés n’arrivent pas à s’expliquer. Entre des millions de francs déjà consommés sans qu’aucune activité ne soit réalisée et des milliards BIF qui ne sont comptabilisés nulle part, la situation suscite de sérieux questionnements.

Le mercredi 29 octobre 2025, le ministre Alain Ndikumana a été l’invité des députés inquiets du manque de transparence et de résultats de la part de l’Anagessa, pourtant soutenue par d’importants financements publics.

Tout commence au sein de la Commission des finances où plusieurs questions ont été posées sur l’utilisation des fonds alloués à l’institution. Pour l’année budgétaire 2023-2024 par exemple, aucune opération d’achat de maïs n’a été réalisée alors que l’agence avait reçu environ 204 millions de BIF pour son fonctionnement, incluant les salaires, l’acquisition de matériel et l’entretien des équipements.

Malgré l’absence totale d’activité, l’argent a été entièrement dépensé un fait qui pousse les élus à se demander comment le gouvernement a pu débloquer de telles sommes sans résultat visible.

Des milliards introuvables

Les préoccupations ne s’arrêtent pas sur les millions décaissés seulement. Des milliards de francs burundais sont en effet sans trace. Par exemple, pour l’exercice 2024-2025, sur les 37 milliards de BIF provenant des ventes aux particuliers, seulement 24 milliards ont été comptabilisés. « Où se trouve le reste ? », a lancé le président de la Commission chargée des finances.

Face à l’embarras croissant, le président de l’Assemblée nationale a interrompu la présentation du rapport de la commission pour passer directement la parole au ministre des Finances, prié de s’expliquer.

Alain Ndikumana a reconnu l’existence de dysfonctionnements. « Nous ne partageons pas la même vision que la Direction de l’Anagessa et ses partenaires », a indiqué le ministre. Il a également pointé l’absence de planification stratégique au sein de l’agence, malgré la présence d’une vingtaine d’employés censés en assurer le fonctionnement.

Pour illustrer l’ampleur du problème, le ministre Ndikumana a rappelé les prévisions de l’Anagessa pour l’année précédente qui étaient passées de 71 000 tonnes à 150 000 tonnes, soit une valeur estimée à 224 milliards de BIF.
« Ils ont avancé une prévision de 150 000 tonnes, évaluée à 224 milliards de franc burundais. Lorsque nous leur avons demandé sur quelle base ils avaient fixé ce volume, leur réponse a simplement été que la production allait doubler ».

Il a aussi cité l’exemple de l’achat d’un million de sacs destinés au stockage des récoltes. Aucun inventaire fiable n’a été présenté pour expliquer la destination des sacs utilisés l’année précédente. « Nous avons constaté que la situation manquait de clarté. Avec le ministre des Finances de l’époque, nous avons autorisé le lancement des activités, en précisant que des contrôles seraient effectués progressivement. Cependant, nous n’étions pas d’accord avec les prestataires sur la rémunération qu’ils exigeaient pour chaque quantité collectée. Même l’Inspection générale a examiné le dossier et conclu que le budget demandé n’était pas justifié. »

Selon le ministre, l’Anagessa refuse parfois de fournir des rapports, arguant que le travail est effectué par une coopérative partenaire.
« Il faut que vous, les députés, les autorités, nous aidez à travailler ensemble pour résoudre la question de l’Anagessa. » Le ministre Ndikumana explique que la question Anagesa dépasse le ministère des en charge des finances.

À l’issue des échanges, Gélase Ndabirabe le président de l’Assemblée nationale a exprimé son indignation. « Yemwe nakumiro (ça dépasse l’entendement) … la commission parlementaire en charge des questions agricoles doit convoquer l’Anagessa et la coopérative Ciap afin de faire toute la lumière sur cette situation, car les informations que le ministre vient de nous communiquer sont particulièrement alarmantes. »

Iwacu a contact les responsables de l’Anagessa mais sans succès.


Réaction

Gabriel Rufyiri : « Anagessa est l’une des politiques qui sont venues justement pour détourner l’argent public. »

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, cette structure publique illustre bien l’échec répété de certaines politiques économiques mises en place par le gouvernement. Selon lui, le manque de planification rigoureuse et de mécanismes de contrôle efficaces explique en grande partie les dysfonctionnements observés.

Il déplore notamment l’absence d’une organisation fondée sur des données fiables et des objectifs clairement définis. « Effectivement, la question de planification dans les services publics est vraiment un grand défi. Mais nous voyons que pour presque tous les services publics, il y a un problème d’abord de planification, mais une planification sur la base des données fiables ». À cela s’ajoute l’insuffisance des mécanismes de suivi et d’évaluation qui devraient accompagner l’exécution des projets publics.

Pour Gabriel Rufyiri, l’Anagessa s’ajoute à une longue liste de réformes qui n’ont pas produit les résultats attendus. « Anagesa est l’une des politiques qui sont venues justement pour bouffer de l’argent. Souvenez-vous, je crois, dans sa première année, le gouvernement a donné une somme colossale pour acheter le maïs, mais vous avez vu qu’une bonne partie de maïs a pourri. »

Le président de l’Olucome estime que l’absence de sanctions favorise la répétition des erreurs. « Ces mécanismes d’évaluation doivent aussi installer des mécanismes de sanction pour les fautifs. Malheureusement, comme ces gens-là ne sont pas sanctionnés, il n’y a pas de suite favorable. C’est pour cette raison que ça se répète à chaque fois. »

Tout en appelant à une véritable volonté politique et à l’engagement de cadres compétents, il rappelle d’autres politiques publiques n’ayant pas atteint leurs objectifs. Il cite notamment celles liées aux plantations d’arbres fruitirs, au secteur caféier ou encore au programme « charroi zéro ». Pour lui, seule une gestion transparente, accompagnée de responsabilités clairement définies peut permettre d’éviter de nouveaux échecs.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Michel

    La faillite récente de cette initiative publique ne surprend personne. Depuis des décennies, les États peinent à gérer efficacement des structures à vocation commerciale. Ce constat dépasse largement le Burundi : partout où l’État tente de se substituer aux acteurs économiques, les mêmes difficultés ressurgissent.

    Les décideurs gagneraient à relire l’histoire économique du pays. Les cas de Sobecov et de l’ONC en sont des exemples parlants : ces sociétés publiques, créées avec ambition, ont fini par engloutir leurs capitaux avant de disparaître. Pourquoi alors reproduire le même scénario, en espérant un résultat différent ?

    Le problème n’est pas seulement économique, il est aussi structurel. Chaque fois que l’État crée une entreprise commerciale, il affaiblit le secteur privé et freine les initiatives citoyennes. Pourtant, c’est souvent dans ces initiatives locales que naissent les solutions les plus durables. On l’a vu avec les greniers communautaires, qui se développaient progressivement dans certaines régions : des projets modestes, mais viables, portés par les communautés elles-mêmes.

    Plutôt que de réinventer des modèles centralisés qui ont déjà échoué, il serait plus judicieux de renforcer les capacités du secteur privé et communautaire. Encourager la collaboration, offrir un encadrement technique, faciliter l’accès au financement et créer un environnement réglementaire clair : voilà des leviers concrets et efficaces.

    Les grandes entreprises privées, même avec des décennies d’expérience, peinent aujourd’hui à survivre, sans parler de leur rentabilité. Dans un tel contexte, créer de nouvelles structures publiques pour faire du commerce relève davantage de la politique que de l’économie.

    Le développement durable et inclusif ne se décrète pas, il se construit avec celles et ceux qui innovent, entreprennent et prennent des risques sur le terrain. Faire confiance au secteur privé, aux coopératives et aux initiatives communautaires, c’est miser sur la résilience et l’intelligence collective du pays.

  2. Jereve

    Je suis stupéfait d’apprendre qu’une vingtaine d’employés ont été engagés pour assurer le fonctionnement de l’Anagessa, mais qu’il s’avère qu’ils sont incapables d’accomplir leur mission. Vingt fonctionnaires, c’est plus que suffisant pour bien mener une mission aussi difficile soit-elle. Or justement, qu’est-ce qui est difficile dans la gestion d’un stock, avec les fonds de l’Etat à disposition ? Je me permets de douter sur les compétences intellectuelles de ces agents. Je le dis souvent, cela ne sert à rien d’engager et rémunérer des fonctionnaires qui à leur tour ne font pratiquement rien, si ce n’est que ruiner les institutions dont ils ont la charge. L’Etat nous expliquera un jour comment on est arrivé à ce manque de clairvoyance et gestion calamiteuse.

  3. kabingo dora

    Pourquoi le Président de la République ne cesse de critiquer Faustin Ndikumana de Parcem mais ne dit rien sur Gabriel Rufyiri d’Olucome . Cherchez vous trouverez .

    • Riraniga

      Il devrait plutot parler de l’Anagesa . Rufyiri est marie. Il ne saurait comment l attaquer. En plus il n a rien vole

  4. Nganyirande

    Mais ! Ces incompétences ne gênent personne !!! Quel est le ministère de tutelle de cet organisme ?
    Ou une caisse officieuse pour se servir ? Par qui ?

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