Mardi 16 avril 2024

Société

Affaire Kiraranganya : une histoire de soleil et de sous

08/01/2021 Commentaires fermés sur Affaire Kiraranganya : une histoire de soleil et de sous
Affaire Kiraranganya : une histoire de soleil et de sous
La centrale photovoltaïque de Mubuga

Sur le terrain du Prince Joseph Kiraranganya, située à la colline Mirama, zone Mubuga de la commune et province Gitega, une société, GIGAWATT GLOBAL BURUNDI SA, implante une centrale photovoltaïque. Elle signe un contrat de 58.000 dollars américains par an et pour 25 ans avec Eric Kira, un petit-fils du Prince Kiraranganya. D’autres petits fils du Prince dénoncent le contrat. L’affaire démarre.

Selon des témoignages, feu le Prince Joseph Kiraranganya avait trois fils : Antoine Hodari, Tharcisse Kiraranganya et Boniface Kiraranganya. Eric Kira, l’un des fils du Prince, Boniface Kiraranganya, vit au Canada. C’est lui qui va conclure cette juteuse affaire : un contrat de concession de 25 ans sur cette parcelle avec la société GIGAWATT GLOBAL BURUNDI SA. Cette dernière va exploiter la parcelle dans laquelle est érigé son projet de production de l’énergie solaire. Un projet d’intérêt général. Un contrat de 58.000 dollars américains par année à la clé. Interrogé par Iwacu, Eric Kira confirme le contrat.

Sauf que, les autres petits fils du Prince Kiraranganya, quand ils prennent connaissance du contrat, tombent de haut ! Ils jurent que « Cette parcelle n’a jamais été partagée entre les ayants droit. Elle serait toujours en indivision. Ce qui signifie que tous les copropriétaires doivent jouir des revenus provenant de son exploitation. » Selon eux, « les revenus provenant de l’exploitation de la parcelle doivent être partagés équitablement entre les descendants ».

Selon eux, la parcelle a été transférée illégalement et injustement à un seul petit fils, Eric Kira en l’occurrence. Le titre sanctionnant cette mutation devrait être annulé afin que la parcelle soit enregistrée au nom de la succession Kiraranganya. En attendant le partage entre les héritiers. « Le titre de propriété doit être au nom de la succession Joseph Kiraranganya et non d’un seul de ses petits-fils. » Un arrangement à l’amiable échoue.

L’affaire se complique et déchaîne les passions. Eric Kira conteste et contre-attaque. Selon Eric Kira, la parcelle n’a jamais été en indivision. « Pourquoi ils ne se sont jamais manifestés avant l’arrivée du projet ? », s’interroge Eric Kira. J’ai initié un projet de café sur la parcelle, confie-t-il, personne n’a rien dit. « Mais quand les Bazungu (les blancs, NDLR) sont arrivés, ils ont commencé à dire que le terrain leur appartient. C’est du banditisme tout simplement. C’est ridicule. Le terrain était vacant jusqu’à ce que ma grand-mère meure. Personne n’en voulait de ce terrain.

Plus grave, il dit ne pas connaître les autres descendants. « Je ne connais de Hodari. Dans quel livre d’histoire il est écrit qu’il y a des Hodari ? Je ne connaissais pas ces gens avant que les Blancs arrivent. »

Ces gens qui disent qu’ils sont de sa famille ne sont jamais apparus pendant plus de 40 ans, accuse Eric Kira. D’après lui, ils n’ont jamais fait signe. Marthe Muhimbare, ma grand-mère, qui est restée avec le terrain l’a donné à mon père Boniface Kiraranganya. Ce dernier me l’a légué. Il m’a dit : « Fais-le fructifier ».

Sur les 58.000 dollars américains, Eric Kira est clair. « Je suis payé pour les 6 ans de travail et de négociations que j’ai fait avec les Bazungu pour amener l’électricité au Burundi. »

Il ne voit pas pourquoi ces descendants de Kiraranganya qui, selon lui « n’ont pas participé au travail, auraient droit au revenu de son travail ? », s’interroge encore Eric Kira. « Même s’ils auraient droit à la moitié du terrain, est-ce qu’ils auraient droit à l’usufruit du terrain ou ils ont droit à la valeur du terrain ? Pose la question !», lance encore Eric Kira, très déterminé.

Et les autres de répéter dans un même refrain : « Nous voulons bénéficier des revenus provenant de la concession de la parcelle au même titre que monsieur Eric Kira. »

En attendant que la Justice tranche, ils demandent une mesure conservatoire : saisir les loyers provenant de la concession de la parcelle et de les abriter sur le compte du Tribunal de Grande Instance de Gitega en attendant l’issue du dossier sur le fond. « Malgré les nombreuses diligences effectuées pour le suivi, cette décision n’est pas encore prise », regrettent les petits enfants du Prince Kiraranganya en conflit avec Eric Kira, l’unique signataire du contrat avec Gigawatt.

Ils ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Gitega le 9 mars 2020, mais le procès n’est pas encore programmé. Ils se demandent pourquoi la justice est si lente. « La succession Joseph Kiraranganya demande aux ministres ayant respectivement la Justice et l’Hydraulique, Energie et Mines dans leurs attributions d’intervenir afin que la juridiction saisie et les autres partenaires concernés comprennent que leur action ne vise pas à saboter le projet de production de l’énergie solaire, mais a pour but de rétablir les copropriétaires dans leurs droits ».

A ce jour, chaque partie campe sur sa position : la succession Joseph Kiraranganya demande le droit de jouir de la parcelle qui lui appartient ainsi que ses fruits. Pour Eric Kira, le signataire avec GIGAWATT GLOBAL BURUNDI SA, ce sont des « usurpateurs. »A la justice de trancher.

Petite anecdote : un avocat d’une des parties en conflit, avec un peu d’énervement, a demandé pourquoi « la presse s’intéresse à cette histoire.

Iwacu a  simplement répondu  que  « ceci n’est pas un petit litige pour un lopin de terre, mais un projet qui revêt un caractère d’intérêt général (production d’électricité) dont l’arrêt aurait un impact sur le pays. La presse est dans son rôle quand elle s’intéresse à une telle question. Iwacu suivra donc l’affaire jusqu’à son dénouement. »

La balle est dans le camp de la justice.


Que dit la loi ?

L’article 24 du Code foncier stipule : « Si un fonds appartient à plusieurs personnes pour des parts indivises égales ou inégales, chacun des copropriétaires peut en user intégralement, mais en se conformant à sa destination et pourvu qu’il ne mette pas obstacle à son usage par les autres. Les fruits du fonds se partagent dans la mesure du droit de chacun. Chaque copropriétaire peut faire les actes d’administration courante, tels que les réparations d’entretien et les travaux de culture. Les charges sont supportées par chacun proportionnellement à sa part. Aucun des copropriétaires ne peut, sans le consentement des autres, changer la destination du fonds ni le grever de droits réels au-delà de sa part indivise.»


Une affaire en apparence facile

Il est très facile de connaître exactement les fils descendants du Prince Kiraranganya. C’était une personnalité connue dans la région. L’accusation « d’usurpateurs » avancée par une des parties peut donc être vite évacuée. La légitimité des descendants du Prince résolue, il sera alors question du titre de propriété au nom du seul Eric Kira, un des petits fils du Prince Kiraranganya. Ici encore, les autorités qui gèrent la question des titres fonciers au Burundi peuvent très vite déterminer à quel nom doit être la parcelle : à toute la succession ou à un seul petit fils ? Ici encore, la Loi sur la succession est claire.

Enfin, Eric Kira, avance tout ce qu’il a fait pour négocier le contrat, la mise en valeur du terrain. Il serait normal que ce travail soit reconnu par les autres membres de la succession et rétribué. Là il faut clarifier les ayants de la valeur du terrain et l’usufruit.
Apparemment, l’affaire semble très facile. En apparence seulement. A la clé, il y a 58.000 dollars par an et pendant 25 ans. Peut-être que ceci explique cela…

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