La plupart des sociétés à participation publique peinent à être performantes. Elles n’assurent pas toujours le paiement des dividendes, des impôts ou des taxes. Ce qui aggrave ainsi les risques budgétaires. Malgré cette situation, le Premier ministre impose la centralisation de toutes leurs recettes dans un compte unique afin de lever le paradoxe d’un État endetté alors que des milliards dorment sur leurs comptes. Une mesure que contestent certains économistes.
Lors de la réunion avec les responsables des sociétés publiques et parapubliques du 23 septembre 2025, le Premier ministre Nestor Ntahontuye a tenu un discours sans concession. Devant des dirigeants parfois accusés d’inefficacité ou de manque de rigueur, il a rappelé que le rapport du ministère des Finances sur la période 2020-2024 met en évidence un bilan « moins satisfaisant » que prévu.
Selon lui, ces sociétés censées contribuer au développement du pays et alimenter le Trésor public, ne jouent pas pleinement leur rôle. Certaines affichent des pertes chroniques. D’autres refusent de ou tardent à distribuer des dividendes. Plusieurs manquent de transparence dans la présentation de leurs états financiers.
La Banque d’investissement et de développement des femmes (BIDF) illustre bien ce paradoxe. Déficitaire pendant trois années de suite, elle a enregistré un bénéfice en 2024 sans verser des dividendes. Ses charges d’exploitation progressent plus vite que ses produits. La Régie nationale des postes a également affiché des résultats négatifs entre 2020 et 2021. Elle n’a distribué aucun dividende tandis que ses états financiers récents restent introuvables. Ce qui soulève des doutes sur sa transparence.
L’Onatel présente une situation encore plus critique avec des pertes récurrentes de 10 à 29 milliards par an. L’endettement lié à ses crédits auprès de Huawei pour l’extension du réseau pèse lourdement. Son report à nouveau dépassait 120 milliards en 2024. Ses charges techniques excèdent largement la valeur ajoutée. Il est incapable de couvrir les salaires et les impôts.
La Cogerco, déficitaire presque toutes les années, combine baisse de production, hausse des charges du personnel et chute de ses impôts avec un report à nouveau négatif de plusieurs milliards. Enfin, certaines entreprises comme l’Office national du tourisme et la Regideso n’ont pas transmis leurs états financiers de 2024. Ce qui accentue les inquiétudes de la Primature.
Des résultats positifs mais fragiles
Plusieurs établissements affichent des bénéfices, mais leur gestion suscite des critiques. La Banque de l’Habitat du Burundi (BHB) et la BNDE distribuent des dividendes. Mais, leurs performances reposent sur des facteurs non durables comme la hausse du coût du risque ou la reprise des provisions. La BBCI a connu une dynamique avant une perte de 7 milliards en 2023. Elle n’a pas versé de dividendes en 2024.
La Bancobu reste bénéficiaire et distributrice mais, les charges du personnel et les commissions explosent tandis que ses résultats varient selon les gains et pertes de change. La BIJE enregistre des bénéfices depuis 2023 mais sans redistribution, ses performances étant liées aux risques de crédit.
La Brarudi demeure excédentaire mais n’a pas distribué en 2021 et 2024, ses pertes de change ayant réduit ses résultats en 2023. La Loterie nationale et l’Office du thé du Burundi, OTB, restent positifs mais sans dividendes tandis que la Sosumo et la Mutuelle de la Fonction publique redistribuent peu et font face à des anomalies de gestion ou des charges croissantes.
La centralisation des recettes publiques
Malgré les difficultés de ces entreprises, le Premier ministre a annoncé une réforme majeure. Désormais, toutes les recettes des entreprises publiques devront être centralisées dans un Compte unique du Trésor ouvert à la Banque centrale. « Chaque année, le budget est déficitaire et l’État est contraint de s’endetter, notamment auprès de la Banque centrale. Pourtant, plus de 400 milliards de francs restent immobilisés sur les comptes des entreprises publiques. Il est paradoxal d’utiliser l’endettement alors qu’une telle somme dort sans être utilisée. »
Pour le chef du gouvernement, les sociétés pourront continuer à financer leurs activités mais en justifiant leurs besoins réels. Il a averti que « cette fois-ci, nous verrons celui qui ne respectera pas la transparence en montrant la situation bancaire du compte de l’État. »
Nestor Ntahontuye a insisté sur l’urgence de restaurer la rigueur, la transparence et une gouvernance axée sur la performance. Selon lui, les sociétés à participation publique doivent cesser d’être un poids pour les finances publiques pour devenir de véritables moteurs du développement.
Réaction
Faustin Ndikumana (Parcem) : « Ces entreprises sont devenues l’endroit pour récompenser les militants des partis politiques »
« Dans un pays miné par la corruption comme le nôtre, les entreprises publiques constituent par excellence l’endroit où cette corruption ne peut qu’avoir pignon sur rue. D’abord, la simple philosophie qui considère que ce qui appartient à l’État n’appartient à personne. »
Faustin Ndikumana, président de Parcem regrette que ces institutions soient devenues « l’endroit pour récompenser les militants des partis politiques ». Il y voit une dérive où les entreprises publiques se transforment en « dépotoirs de tous les hauts cadres, ministres, députés » loin des exigences de performance et de professionnalisme. Selon lui, la culture du népotisme, du clientélisme et de la solidarité familiale sape leur efficacité.
La première faiblesse réside dans la politisation des nominations. Les dirigeants sont souvent choisis pour leur loyauté politique plutôt que pour leurs compétences. Ce système favorise l’incompétence et entraîne une gestion inefficace. À cela s’ajoute la pléthore de personnel résultant d’un clientélisme qui consiste à récompenser les militants par des postes dans les entreprises publiques. Ce qui alourdit les charges de fonctionnement et grève les budgets.
Le manque d’innovation constitue une autre entrave majeure. Ces entreprises fonctionnent dans une routine sans une véritable stratégie de long terme. Les changements fréquents de responsables empêchent la mise en place de politiques stables et adaptées aux évolutions de l’environnement économique. Dans le même temps, les marchés publics sont biaisés, marqués par la corruption et l’octroi de contrats à des fournisseurs privilégiés, souvent au détriment de la qualité.
M. Ndikumana évoque aussi la mauvaise gestion des stocks parfois constitués de produits ou de matières premières inutilisables ainsi qu’une comptabilité peu fiable, souvent dépourvue d’analyses permettant de maîtriser les coûts. Les conseils d’administration, loin de jouer un rôle de régulation, se distinguent par des avantages financiers exorbitants.
A cela s’ajoutent des missions jugées inopportunes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Elles servent de prétextes pour puiser dans les caisses. Les institutions de contrôle, telles que l’Inspection générale de l’État ou la Cour des comptes voient leurs actions minimisées leurs rapports restant souvent sans suite.
Le président de Parcem dénonce également les contributions forcées pour les campagnes électorales, le détournement et la mauvaise utilisation des biens sociaux ainsi que l’absence d’amortissement du matériel qui accélère la vétusté des équipements. Enfin, les dettes impayées de l’État viennent asphyxier des entreprises déjà fragilisées créant ainsi une situation où elles sont absorbées par des obligations financières qu’elles ne peuvent pas supporter.
Il estime que « tout cela réuni, il est difficile d’enregistrer des résultats probants des entreprises publiques ». Pour lui, une refonte profonde s’impose : « Il faut un changement de cap », avec une gestion modernisée et transparente. Faute de quoi, la privatisation partielle de l’actionnariat apparaît comme une alternative incontournable pour sauver ces structures.
Compte unique du Trésor : entre orthodoxie budgétaire et impératifs de développement
Que pensez-vous du compte unique du Trésor ?
La récente déclaration du Premier ministre, annonçant la suspension du recours à l’endettement extérieur tant que des ressources publiques dorment sur des comptes inactifs marque un tournant dans la gouvernance financière du pays. Cette posture s’inscrit dans une volonté de rationalisation budgétaire à travers l’opérationnalisation du Compte unique du Trésor (CUT).
Si cette réforme peut sembler vertueuse sur le plan de la transparence et de la discipline fiscales, elle soulève néanmoins des interrogations majeures quant à sa compatibilité avec les besoins structurels des entreprises publiques, leur autonomie de gestion et la soutenabilité du développement économique dans un contexte de pénurie de devises.
Quid des besoins opérationnels ?
L’argument central du gouvernement repose sur une logique d’optimisation des ressources internes avant tout recours à l’endettement extérieur. Or, cette logique ne tient que si les ressources disponibles sont effectivement mobilisables et convertibles en devises.
Parlons de la Regideso
Le cas de la Regideso est emblématique. Malgré des soldes positifs en monnaie nationale, l’entreprise peine à importer les équipements nécessaires à l’extension des réseaux d’eau et d’électricité, faute de devises. Cette contrainte structurelle révèle une asymétrie fondamentale : la liquidité en monnaie locale ne saurait se substituer aux besoins en devises pour des investissements stratégiques. En ce sens, l’endettement extérieur, même en présence d’un excès de trésorerie domestique, demeure un levier indispensable pour financer des projets à forte intensité d’importation.
Le Compte unique du Trésor : transparence ou recentralisation ?
Le CUT vise à centraliser les flux financiers publics pour améliorer la visibilité budgétaire et éviter les dépenses non prioritaires. Toutefois, son extension aux entreprises publiques soulève une question de fond.
Laquelle ?
Celle de leur autonomie de gestion. En théorie, les entreprises publiques sont censées fonctionner selon des logiques commerciales avec des marges de manœuvre propres pour planifier leurs investissements, gérer leur trésorerie et répondre à des impératifs opérationnels. En pratique, la centralisation des fonds sur le CUT, avec un accès conditionné aux « besoins réels », introduit une forme de tutelle budgétaire qui peut entraver leur réactivité et leur capacité d’innovation.
Par ailleurs, cette réforme pourrait servir à éliminer les comptes extrabudgétaires, notamment ceux liés aux missions de maintien de la paix ou aux financements internationaux. Ces fonds, souvent logés dans des comptes spécifiques pour des raisons de traçabilité et de conformité aux bailleurs, risquent d’être absorbés dans une logique de centralisation qui compromet leur affectation ciblée.
Une telle approche, si elle n’est pas accompagnée de garanties institutionnelles, pourrait nuire à la crédibilité du pays auprès de ses partenaires techniques et financiers.
Est-ce que le Burundi peut se passer de l’endettement extérieur ?
Dans un pays comme le Burundi où le PIB par habitant reste l’un des plus faibles du continent et où les infrastructures de base sont encore largement déficientes, l’endettement extérieur ne saurait être réduit à une variable d’ajustement budgétaire.
Il constitue un instrument de développement, permettant de financer des projets structurants, d’accéder à des technologies de pointe et de renforcer les capacités productives. Certes, une gestion prudente de la dette est nécessaire pour éviter les dérives. Mais, une suspension totale du recours à l’endettement extérieur, fondée sur une lecture comptable des soldes dormants, risque de compromettre les objectifs de croissance et de transformation économiques.
En outre, l’endettement extérieur offre souvent des conditions plus avantageuses que les financements domestiques, notamment en termes de maturité, de taux d’intérêt et de clauses de grâce. Il permet également de diversifier les sources de financement et de renforcer la résilience macroéconomique face aux chocs exogènes. Dans ce cadre, le rôle du CUT devrait être de renforcer la coordination budgétaire sans entraver la capacité de l’État à mobiliser des ressources externes pour des projets stratégiques.
Il faut donc nuancer la déclaration du Premier ministre ?
La réforme du Compte unique du Trésor et la suspension de l’endettement extérieur au Burundi traduisent une volonté de rationalisation budgétaire. Toutefois, cette approche, si elle n’est pas nuancée, risque de produire des effets contreproductifs sur le plan du développement.
La centralisation des ressources doit s’accompagner d’une reconnaissance des besoins spécifiques des entreprises publiques, notamment en matière de devises et d’autonomie opérationnelle. De même, l’endettement extérieur, loin d’être un signe de mauvaise gestion, peut être un vecteur de transformation économique, à condition d’être utilisé de manière stratégique et transparente.


Pardons le solde dormant de l’OTB c’est combien? Le prix payé au producteur est il rémunérateur? surtout comparé aux pays voisins qui vendent aussi aux enchères de Mombasse. Le solde de l’OTB mérite de prendre en compte cette question?
Cest toujours avec amusement que lon suit ces décisions à coups de Compte unique du Trésor au Burundi. On comprend lenvie de rigueur, mais devoir interroger le compte de lÉtat pour savoir où sont les 400 milliards ? Cest un peu comme demander à votre voisin où il a rangé ses clés, alors que vous voyez une voiture de marque rare garée devant chez lui. La réaction de M. Ndikumana sur la politisation des nominations est dailleurs dune justesse qui en fait une perle. Si ces entreprises deviennent des dépotoirs, nest-ce pas là que lon trouve les meilleurs écueils pour une gestion efficace ? On espère que cette réforme, bien que nécessaire, ne va pas transformer ces entreprises en purges de style Game of Thrones, où seuls les plus forts (et les plus loyaux politiquement) survivront. La question du financement en devises reste un casse-tête, et on se demande si suspendre lendettement extérieur nest pas comme essayer de guérir la fièvre en retirant le thermomètre. Bonne chance, Burundi !Đồng hồ đếm ngược online