Vendredi 26 avril 2024

Société

Société civile « patriote » – Exclusion ou spéculation ?

05/10/2020 Commentaires fermés sur Société civile « patriote » – Exclusion ou spéculation ?
Société civile « patriote » – Exclusion ou spéculation ?
En 2017, les associations de la société civile dites « patriotes » avaient appelé la population à manifester contre l’Union européenne.

L’UE a débloqué un financement d’environ 13 milliards de BIF pour appuyer la société civile au Burundi. Un programme qui sera exécuté sous le lead de l’Oxfam et le Cordaid. Onze organisations de la société civile locales dites « patriotes » voient rouge. Selon elles, leurs associations ont été exclues au profit des organisations « subversives ».

Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Alain-Majesté Barenga, Rénovat Ndabashinze et Alphonse Yikeze

« Nous avons été surpris du lancement du programme par les ONG étrangères, notamment Oxfam et Cordaid financé par l’Union Européenne. Ce qui est très scandaleux, c’est que ces ONGs disent aller exécuter ce projet dans 6 provinces où nos organisations sont présentes mais aucune des nôtres n’a été associée », écrivent-elles dans une correspondance, de ce 29 septembre 2020, adressée au ministre de l’Intérieur, du développement communautaire et de la Sécurité publique.

Ce programme intitulé « Appui à la société civile au Burundi » (PASCB) a été lancé ce lundi 28 septembre 2020. Il est financé par l’Union européenne à hauteur de plus de 7 millions d’euros (environ 13 milliards de BIF). Ce programme sera exécuté dans 6 provinces à savoir Cibitoke, Bujumbura, Rutana, Ruyigi, Kayanza et Muyinga. Lors du lancement, les gouverneurs des provinces ou leurs représentants, les administrateurs communaux, les représentants du peuple des provinces concernées ainsi que les associations impliquées dans ce programme étaient présents. L’objectif de ce programme est d’accroître la résilience des organisations de la société civile, en leur donner des outils et capacités de pouvoir participer activement à la planification, la mise en œuvre et le suivi du développement local.

« C’était trop tôt pour écrire des lettres »

Joël Ngba Nyanding : « Il n’y a encore aucune organisation qui a été définitivement désignée comme partenaire.»

Pour ces associations contestataires, il y a une violation grave de la loi. «Nous y voyons un agenda caché non encore révélé qui risquera de coûter cher à notre chère patrie tel que certaines ONG étrangères et l’Union européenne l’ont fait en finançant seulement les ONG et associations locales qui ont trempé dans la subversion et tentative de coup d’Etat de 2015». Et de demander leur intégration dans le programme, « faute de quoi le ministère de l’Intérieur, du développement communautaire et de la Sécurité publique serait obligé de suspendre le programme qui est discriminatoire et qui est un arbre qui cache la forêt».

Joël Ngba Nyanding, directeur national de l’Oxfam met les choses au point : « Nous sommes encore dans le processus. Il n’y a encore aucune organisation qui a été définitivement désignée comme partenaire.»

Le directeur national de l’Oxfam précise que sur les 11 organisations tributaires de la lettre, quatre ont été présélectionnées. « Nous avons ordonné une étude de base à une consultante qui a travaillé avec une commission de sélection composée par les gouverneurs et les administrateurs communaux de toutes les provinces et toutes les communes concernées », affirme ensuite ce haut responsable de l’Oxfam.

M. Ngba Nyanding souligne, en outre, qu’il n’y a encore aucune organisation confirmée pour travailler avec Oxfam. « Sauf ActionAid et Miparec qui sont des partenaires de longue date de l’Oxfam », dit-il avant d’avancer qu’il ignore l’objectif de ces organisations et les bases sur lesquelles elles se sont exprimées.

Enfin, le Directeur national de l’Oxfam tient à insister sur sa coopération avec l’administration. « Le gouvernement est informé de tout notre travail parce que nous l’informons de tout le processus à travers les administrateurs communaux et les gouverneurs de province qui font partie de la commission de sélection »

Libère Bukobero, Secrétaire général de l’Appui au développement intégral et à la Solidarité sur les collines (ADISCO) abonde dans le même sens : «C’est la première vague. Ces organisations dites ‘’ patriotes’’ n’ont pas raison de se plaindre. Tout a été discuté avec les autorités provinciales, communales, collinaires dans toutes les zones d’intervention du projet. Tout a été fait dans la transparence. Rien n’a été fait au hasard. » Il indique qu’avec le consortium ADISCO, OAG, CORDAID, seize communes de Muyinga et Kayanza seront touchées. « Nous allons appuyer 30 organisations de la société civile par commune». Ce qui fera, d’après lui, 480 organisations de la société civile au niveau de la base touchée.

Et neuf critères ont été utilisés pour sélectionner cette première vague : 50% des bénéficiaires sont des femmes, les jeunes sont priorisés, les minorités ethniques sont concernées, la spécialité du domaine d’action, l’assise communautaire, la légitimité dans le domaine d’expertise, l’ancienneté, la fonctionnalité et le référencement dans les bases des données des organisations de la société civile au niveau de la base.

Il souligne, par ailleurs, que ce n’est pas figé. D’après lui, pour chaque assemblée collinaire, appelé le jury citoyen, « il y aura toujours des délibérations participatives et inclusives pour aboutir à un consensus qui va nous permettre de mettre en œuvre efficacement ce projet »’.

Rénovat Nizigiyimana, directeur général au ministère de l’Intérieur, a indiqué que ce programme représente un intérêt capital pour les zones d’intervention. « Il est lancé au lendemain de la mise en place des nouvelles autorités notamment les élus locaux. C’est une opportunité pour eux d’être formés dès leur prise de fonction».

Une société civile divisée

Eric Nsengimana : «Une organisation qui met en avant l’affrontement et les frustrations peine à trouver des bailleurs.»

Pour Eric Nsengimana, président et représentant légal de l’Association pour une jeunesse africaine progressiste (Ajap), une organisation de la société civile qui se respecte doit avoir une vision et ses propres ressources provenant des cotisations des membres avant d’avoir un financement. «On ne finance qu’une association qui a déjà montré ce qu’elle vaut sur terrain. Certaines organisations de la société civile cherchent des financements instantanés sans toutefois volés de leurs propres ailes. La plupart d’entre elles n’ont pas de vision. Si vous avez une vision et des membres, rien n’empêche que les bailleurs financent tes projets. Cela devrait être un préalable pour chaque organisation de la société civile. »

Eric Nsengimana trouve que les organisations de la société civile ne devraient pas se regarder en chiens de faïence car elles ont un but commun. « Une organisation qui a un plan d’actions clair trouve facilement des partenaires tandis qu’une organisation qui met en avant l’affrontement et les frustrations peine à trouver des bailleurs».

Un activiste de la société civile, qui a requis l’anonymat, relève que le financement est un processus qui est issu d’un partenariat, selon le domaine d’intervention d’une association, les priorités de l’heure et les projets proposés et agréés par les deux partenaires. « Il ne suffit pas d’être dans les bonnes grâces du pouvoir pour décrocher un financement. Il faut le mériter. »

Pour financer un projet, poursuit-il, plusieurs critères sont pris en considération surtout en termes de capacités managériales et de structures de gestion. « Le patriotisme invoqué par ces organisations qui passent l’essentiel de leur temps à applaudir les activités du pouvoir, même lorsqu’il viole les droits de l’Homme, est loin d’être un critère suffisant pour obtenir un financement de la part d’une organisation internationale». Et de se poser une question : Comment évaluer le degré du patriotisme du moment que les organisations qui ont reçu le financement vont exécuter des projets qui rencontrent l’intérêt des Burundais ? « En écrivant au ministre de l’Intérieur, ces associations qui sont au service du parti au pouvoir ont dévoilées à la face du monde qu’elles se considèrent comme les enfants chéris du pouvoir. Le fameux patriotisme étant évalué par une jauge du parti de l’aigle. Cette lettre montre à quel point le militantisme primaire arrive à aveugler les gens».


Trois questions à Saturnin Coyiremeye : « Ce n’est pas obligatoire d’avoir des financements »

Après la sortie musclée des 11 associations, Saturnin Coyiremeye, président de l’Initiative et Changement Burundi, réagit.

Quel est votre commentaire après la lettre des 11 associations au ministre de l’Intérieur ?

Une organisation de la société civile doit d’abord être apolitique. Elle ne doit pas rouler pour l’une ou l’autre formation politique. Si vous le faites, même pour le parti au pouvoir, soyez certains que les partenaires techniques et financiers, qui suivent de près ce qui se passe dans le pays et qui suivent également la prestation des organisations de la société civile, ne pourront jamais financer les activités de votre association. C’est ça la réalité.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas appuyer le gouvernement car c’est le rôle de la société civile. Toutefois, il ne faut pas endosser la casquette d’un parti politique. Dire qu’un tel roule pour les « Bakoloni » (les colonisateurs), cela montre la faiblesse de cette société civile.

Pour bénéficier de ces financements, que doivent faire les associations ?

Ces associations doivent présenter leurs projets en dehors de toute considération politique. Si ce projet est en rapport avec le programme de ce partenaire, de cette ONG internationale, de cette ambassade ou de ce pays, cette association pourra avoir un financement. Mais, il faut que ces associations sachent que ce n’est pas obligatoire d’avoir des financements.

Les associations vivent-elles des seuls financements extérieurs?

D’abord, une association fonctionne par des financements produits à l’interne. Les moyens externes sont des suppléments. Créer une association sans but lucratif pour avoir des financements, pourquoi ne pas ouvrir une boutique. Ça ne marche pas comme ça.

J’en conviens que les financements internes ne sont pas énormes. Il faut d’abord travailler et montrer tes limites. Les partenaires pourront t’aider après. Les partenaires ne vous financeront jamais à 100%.

Dire que les uns roulent pour le gouvernement et les autres pour les colons est une division que les gens faibles avancent pour glaner à gauche et à droite des financements car leurs projets ne sont pas fiables.

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