Selon l’économiste Jean Ndenzako, l’avenir du Burundi dépendra de la capacité du pays à surmonter ses défis structurels et à construire un système politique plus inclusif et représentatif.
L’électeur burundais est-il rationnel ?
Tel que défini par Anthony Downs en 1957, l’électeur rationnel, est censé voter en fonction de son intérêt personnel, notamment économique. Selon cette théorie, un électeur compare les coûts et bénéfices des politiques proposées et choisit le candidat ou le parti qui maximise son bien-être.
Dans un contexte où un régime échoue sur presque tous les plans, y compris économiquement, la logique voudrait que l’électeur rationnel le sanctionne par son vote.
Pourtant, aux élections législatives et communales du 5 juin 2025, cette sanction électorale ne s’est pas produite, ce qui soulève des interrogations sur les facteurs qui influencent réellement le comportement électoral.
Depuis deux décennies, les indicateurs économiques montrent une stagnation préoccupante. Le PIB par habitant reste l’un des plus bas du monde, l’inflation dépasse les 20 %, et le taux de pauvreté avoisine les 62%. Malgré ces résultats, le parti au pouvoir revendique des scores électoraux “brejnéviens”, dépassant parfois 96 % des suffrages exprimés.
Pourquoi ce score ?
La peur, moteur du vote : Dans un climat politique marqué par des violences passées, des intimidations et une répression ciblée, voter devient un acte de survie, non de choix. L’électeur privilégie la sécurité physique immédiate – éviter les représailles – plutôt qu’un hypothétique progrès économique.
Le clientélisme, monnaie d’échange : Le soutien électoral s’achète parfois au prix de biens de première nécessité : un sac de riz, un emploi précaire, ou la protection d’un notable. Cette économie de la survie court-circuite toute évaluation des politiques nationales.
L’illusion du choix : Quand l’opposition est muselée, boycottante ou empêchée de campagne, quand les médias relaient un discours unique, et quand les urnes sont sous surveillance, le scrutin perd sa substance démocratique. Un score à 96 % trahit moins une adhésion qu’un système verrouillé.
Et le vote démocratique ?
Le cas burundais révèle crûment les limites des théories occidentales du vote. Ici, ce n’est pas la performance économique qui détermine le suffrage, mais : la machine coercitive de l’État-parti, la captation des ressources (terres, emplois administratifs, aides sociales) via des réseaux clientélistes, la manipulation des identités communautaires ou patriotiques.
Un électeur menacé, désinformé ou acheté par des promesses de survie, ne “calcule” pas: il subit. Le bulletin devient alors un outil de conformité́ forcée.
Quid de la théorie du choix rationnel ?
Ce principe fondamental, au cœur de la théorie du choix rationnel en économie politique, semble pourtant mis à mal au Burundi. Selon cette théorie, développée notamment par Anthony Downs (1957) dans An Economic Theory of Democracy, les électeurs comparent les bénéfices attendus des différents choix politiques et sélectionnent celui qui maximise leur bien-être personnel.
Ce comportement suppose un minimum d’information sur les politiques passées et leurs impacts, ainsi qu’un intérêt personnel pour l’amélioration des conditions économiques et sociales. En toute logique, si un régime politique échoue à répondre aux besoins fondamentaux de la population – emploi, revenu, santé, éducation, sécurité alimentaire – il devrait être sanctionné par les électeurs.
Stagnation du PIB et pauvreté extrême L’analyse des données économiques du Burundi depuis vingt ans présente un constat sans appel. Avec une population de 13,2 millions d’habitants en 2023, le Burundi demeure l’un des pays les plus densément peuplés au monde. Le PIB par habitant (PPA) était estimé à seulement 836 USD en 2022 selon la Banque mondiale, le niveau le plus bas au monde.
En 2023, 62% de la population vivait en dessous du seuil d’extrême pauvreté, et cette proportion devrait persister à 61,9 % en 2024. Cette situation contraste fortement avec les prétentions de popularité́ massive du régime.
L’inflation a explosé, passant de 18,8 % en 2022 à 45,6 % en 2025 (BRB), principalement due à une hausse des prix alimentaires de 37,2 %. Cette inflation est aggravée par la dépréciation de plus de 100 % du franc burundais face au dollar américain, érodant considérablement le pouvoir d’achat des ménages.
Une agriculture de subsistance en crise. 80 % de la population est employée dans le secteur agricole, mais environ 90 % de la population dépend d’une agriculture de subsistance. La subdivision des terres aux fils et la redistribution aux réfugiés de retour ont entraîné des par- celles plus petites, surexploitées et moins productives.
Quid des Indicateurs de gouvernance ?
Les indicateurs de gouvernance brossent un tableau sombre de la situation politique. Sur une période de vingt ans, le contrôle de la corruption s’est détérioré de manière constante. L’État de droit reste défaillant, avec des institutions minées par l’arbitraire et la corruption généralisée.
Et l’action gouvernementale ?
L’efficacité gouvernementale demeure faible, indiquant une administration publique dysfonctionnelle, incapable de fournir les services de base à la population. Le déficit budgétaire s’est aggravé, passant de 5 % duPIBen2022à5,3% en 2023, et la dette publique a augmenté de 68,4 % à 72,7 % du PIB.
Parlons du vote du 5 juin dernier
Le score de 96 % n’est pas un triomphe populaire : c’est le symptôme d’un espace politique confisqué. Tant que persisteront la peur, l’absence de contre-pouvoirs et l’impunité, les élections resteront des mises en scène, loin de toute rationalité économique. Pour que le vote redevienne un choix libre, il faudra d’abord garantir les libertés fondamentales – sans lesquelles aucune théorie ne peut prétendre expliquer la volonté du peuple.
L’élection de 2025 au Burundi illustre parfaitement la déconnexion entre les résultats électoraux officiels et les aspirations réelles des citoyens. Avec 62 % de la population vivant dans l’extrême pauvreté et une inflation de 45,6 %, il est difficile de concevoir un soutien authentique de 96 % de la population au régime en place.
Cette situation soulève des questions fonda- mentales sur la nature de la démocratie dans le contexte burundais et appelle à une réflexion approfondie sur les mécanismes nécessaires pour garantir une représentation politique authentique et des institutions démocratiques viables.
L’avenir du Burundi dépendra de la capacité du pays à surmonter ces défis structurels et à construire un système politique plus inclusif et représentatif, capable de répondre aux aspi- rations légitimes de sa population.
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