Samedi 02 novembre 2024

Culture

Rencontre avec Gaël Faye : « Quand on tue quelqu’un à Bujumbura, c’est comme si on le tuait ici à Paris »

25/10/2016 9

Né à Bujumbura, Gaël Faye, chanteur, rappeur, poète, auteur-compositeur-interprète, reste attaché au Burundi, pays qu’il a quitté à 13 ans. La  Fédération nationale d’achats des cadres   (Fnac) vient de décerner à son premier roman « Petit pays » le prix 2016. Il partage avec Iwacu sa joie et sa compassion pour le Burundi.

Gaël Faye en séance de dédicace, à Paris
Gaël Faye en séance de dédicace, à Paris

Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

J’ai de la reconnaissance vis-à-vis des 400 libraires et 400 adhérents qui ont voté pour mon roman parmi toute une panoplie de livres. Je suis très content parce que contrairement à d’autres années où ce prix était décerné entre maisons d’édition, pour cet automne, ils ont associé d’autres. C’est vraiment des lecteurs qui ont élu ce livre, un panel de gens différents. C’est un plaisir pour moi que cet évènement ait touché un large public.

Ce qui me rend encore plus heureux, c’est le sujet du livre : peu de gens sont au courant du Burundi. Grâce à sa présence dans les librairies FNAC, ce livre sera très bien distribué. En France, on va commencer à avoir à travers ce roman, un début d’idée de ce petit pays d’Afrique.

On vous sent très ému…

C’est une fierté pour moi parce que quand je suis arrivé en France à l’âge de 13 ans et qu’à l’école, je disais que je viens du Burundi, tout le monde disait c’est quoi, c’est une ville ? On n’a jamais entendu parler… C’est un petit combat que j’avais depuis cette époque.

Pouvez-vous en quelques mots nous raconter votre roman ?

Il parle d’un enfant qui s’appelle Gabriel dont le père est français et la mère rwandaise et qui vit dans une impasse dans le quartier de Kinanira à Bujumbura, capitale burundaise. On suit cet enfant sur deux années (1993-1995). Son monde va basculer. Au départ, il a une vie heureuse, un quotidien très banal d’enfant avec sa bande de copains, ses parents, il est heureux à Bujumbura, il vit dans un quartier résidentiel, tout va très bien.

La première chose, ce sont ses parents qui se séparent et, en toile de fond, apparaissent en 1993, les premières élections démocratiques au Burundi. Au début, il prend cela pour un jeu : il voit l’Uprona, le Frodebu, les couleurs, les signes qu’on fait, etc. Il a vraiment l’impression d’être dans un match de foot, il y a une euphorie, une liesse de joie populaire d’avoir la démocratie. Il entend tout cela et se dit que c’est la joie des gens qui enfin décident de leur destin.

Après, il y a la bascule avec le coup d’état, la violence qui s’immisce dans la vie au pays. Et comme sa mère est rwandaise, il voit aussi de loin la guerre au Rwanda qui se termine par le génocide. C’est la descente du petit pays aux enfers. Lui, il assiste à tout cela, il veut essayer de ne pas prendre partie et de rester un enfant.

Malheureusement, la guerre assigne toujours des identités à tout le monde. Une fois en France, il se découvre et pense appartenir à cette histoire avec la violence qui va avec.

Est-ce une histoire réelle ou de la fiction ?

C’est une fiction dans le récit, les situations dont je parle sont complètement inventées. Par contre, la partie autobiographique est à divers degrés : cet enfant a les mêmes origines que moi, ce qui me permet de donner au narrateur plusieurs points d’entrée, de ne pas faire que du Burundi, ce qui m’aurait pas permis de parler du Rwanda comme je le fais. Lui donner cette appartenance au Rwanda et à la France, cela me permettait également de l’inscrire dans l’exil, l’inscrire dans un retour, il y avait tout une histoire lui donnant en même temps un carrefour de mes propres identités, de lui faire passer par les mêmes interrogations qui moi-même m’avaient traversé.

En tant que narrateur, j’ai vécu presque les mêmes années au Burundi, donc, cette situation politique, je l’ai ressentie également. A la différence du narrateur qui lui, est lucide de ce qui se passe, moi, je ne l’étais pas à cette époque-là. J’ai compris à postériori, bien des années plus tard, ce qui s’était passé au Burundi.

Pourquoi ce retour dans l’histoire non récente du Burundi ?

Pour moi, ce n’est pas aussi lointain que ça. A la différence d’un journaliste qui travaille sur l’actualité, en tant qu’artiste, je dois prendre du recul pour traiter un sujet. J’ai besoin de me délivrer des passions. Il serait impossible aujourd’hui d’écrire sur ce qui passe actuellement au Burundi parce que l’histoire est en marche. Quand on prend une certaine distance avec l’histoire, ça permet de laisser la place à l’imaginaire.

On dit souvent que les premiers romans ont souvent une part autobiographique. N’est-ce pas le cas ?

Les gens écrivent soit pour se délivrer d’un poids ou de quelque chose, de la thérapie ou une catharsis. Moi, ce n’était pas le cas car je m’étais déjà délivré de cette histoire en quelque sorte avec ‘Pili pili’sur un croissant au beurre’. Ça peut être une première possibilité d’écrire sur une histoire qui m’avait traversé, que j’avais ressentie.

Quel est le message voulez-vous transmettre à travers votre premier roman ?

Parfois, les sociétés voudraient mettre la violence à distance en se disant que la violence des autres n’est pas la nôtre, ce qui se passe ailleurs ne nous concerne pas. C’est un peu ce que le narrateur essaie de faire, il se dit hutu ou tutsi, ce n’est pas mon problème, moi je suis métis. Il s’enferme d’abord dans son impasse et ensuite quand la guerre s’y infiltre à travers la conversation des enfants, il finit par s’enfermer dans la lecture en se disant que ça va être une porte de sortie. Pourtant, même à l’intérieur de ces livres, la guerre finit par le débusquer.

J’ai voulu inventer cette impasse métaphoriquement parce que quand il y a eu des attentats en France, au début de 2015, c’est à ce moment que j’écrivais ce roman, j’ai eu l’impression que les Français découvraient la violence. On assassine des journalistes avec des kalachnikovs et d’un coup, les Français sont traumatisés. C’est normal mais
c’est comme si la violence faisait irruption d’un coup, qu’elle n’existait pas. Or, elle a toujours été là. Jusqu’à présent, la France a porté la violence ailleurs comme si elle n’a jamais existé sur son territoire. C’est cela qui me questionnait, comment transmettre comme disait Césaire, un homme qui crie quelque part, c’est moi qui crie. Tous les êtres humains sont liés, quand on tue quelqu’un à Bujumbura, c’est comme si on le tuait ici à Paris et inversement.

Votre roman vient sortir en pleine crise politico-sécuritaire au pays. Que va-t-il apporter ?

Il peut donner un point d’entrée pour des gens qui ne connaissent pas la situation au Burundi.

Je suis sûre que la plupart de mes lecteurs s’ils entendent dans les informations quelque chose sur le Burundi, ça va pas les intéresser alors qu’avec une œuvre artistique, c’est comme s’il y a quelque chose d’émotionnel, de personnel, etc. C’est une autre manière d’atteindre quelqu’un par un autre biais, le toucher plus profondément. Là, on fait connaissance avec des personnages, avec des psychologies.


>>>Lu pour vous

Petit pays, grand roman

Par Annabelle Giudice

Annabelle Giudice a vécu au Burundi. Elle a lu le roman.

Couverture de « Petit Pays »
Couverture de « Petit Pays »

Gaël Faye aime les mangues. Gaby, son narrateur, un enfant métis de Bujumbura, en vole, en vend, en mange beaucoup aussi dans le confort paisible de l’impasse où il habite avec sa bande de copains. Un petit paradis où s’installe « l’éternité de mes onze ans sous le ficus cathédrale de mon enfance ». Éternité fragile face à l’histoire qui avance : c’est l’heure des élections, « l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons. » C’est la peur qui s’installe, et elle commence dans le quotidien de Gaby, témoin des tensions entre Prothée, le cuisinier, et Innocent, l’homme à tout faire de l’entreprise paternelle ; puis le silence qui vide les rues de la capitale, et la musique classique qui comble les ondes de la radio. Les amis de l’impasse, comme les camarades d’école, se divisent, s’opposent. La guerre impose des identités : hutu et tutsi, blanc et noir. Gaby ne veut pas, et s’offre encore de l’espoir dans des moments de grâce comme cette baignade sous la pluie arc-en-ciel dans la piscine du collège du Saint-Esprit, où chacun peut encore être un « simple enfant qui faisait comme il pouvait dans un monde qui ne lui donnait pas le choix ». Puis la guerre, le cauchemar de l’autre pays, la mort laissent des tâches qui puent …

Nous avons tous un pays d’enfance, et ce que nous offre Gaël, c’est un billet retour. Que l’on soit de Bujumbura ou d’ailleurs, le trajet est le même : il y a eu un moment où notre insouciance à basculer et « Petit pays » vient faire résonner ce souvenir. Avec beaucoup de finesse, entre sourires et sourcils froncés, le roman nous emporte littéralement dans la vie de Gaby, dans cette impasse rassurante mais dont on ne peut pas s’extraire, dans l’histoire tourmentée du Burundi. Gaby est en décalage permanent : il est métis dans un pays où tout est noir ou blanc, il est né ici mais n’a pas de langue maternelle, il lit quand les copains fuient ou font la guerre. Et c’est peut-être ce décalage qui rend le roman si proche du lecteur qui ne connaît pas Bujumbura. Car si les références sont multiples à des détails que reconnaîtront tous ceux qui ont un morceau d’enfance dans la capitale, le rythme emporte tous lecteurs, passant de l’éclat de rire à une tristesse tendre. D’une page à l’autre, on se surprend à sourire bruyamment, à s’inquiéter en tournant furieusement les pages, à poser le livre un moment pour prendre la mesure de cette histoire vue par les yeux d’un petit garçon… Pour mesurer la distance si courte entre l’impasse de Gaby et l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le Burundi. Ce « petit pays » est aussi un monde qui existe, et une Histoire (avec une majuscule cette fois) qui se répète et que chacun doit connaître. Ce roman est tiré de l’essence de la région des Grands Lacs, et c’est avec beaucoup d’humour et de tendresse que Gaël Faye nous raconte ces hommes et ces femmes qui habitent les petits pays que sont le Rwanda et le Burundi, aux collines aussi rouges que vertes, selon les saisons. Le poète nous invite à nous ressaisir de nos imaginaires, car personne n’est exilé ou réfugié en écriture et donc en lecture : l’imagination, c’est l’eau de nos brasiers passés et présents.

Forum des lecteurs d'Iwacu

9 réactions
  1. abac

    Il y a aussi Patrice FAYE et ces aventures de vouloir attraper le géant crocodile surnommé GUSTAVE. On sait plus son sort. Peut être qu’il l’a attrapé et qu’il reparti dans son pays avec.

    • Niyonsaba Caroline

      Soyons un peu plus critique , soyons à la hauteur de ce livre , c’est merveilleux de lire ce livre , j’avais l’impression d’être à Bujumbura . Enfin une personne qui écrit sans intermédiaire  » on m’a dit , on m’a raconté ,…; » , j’avais assez des commentaires des journalistes qui racontent tout et n’importe quoi parfois sans savoir où se trouve exactement notre belle capitale « Bujumbura ». Néanmoins nous devons faire à ce que ce paradis perdu revienne , nous devons tous ensemble construire l’avenir de notre pays . Le paradis au Burundi serait qu’on retrouve des métis , des hutus , des tutsis , des noirs , des blancs .
      Honnêtement Gaël Faye a suivi son chemin et son père a suivi le tien , ne mélangeons pas les choses.
      Merci Gaël !!!!!!

  2. Gaétan Sebudandi

    La magie de ce roman de Gael Faye est irrésistible. Quand on a eu la chance, enfant ou adulte, de vivre la fascination de ce « Petit pays » avant l’irruption de la violence meurtrière, on ne peut s’empêcher de rêver au retour d’un paradis perdu par la soif du pouvoir politique entre les divers prétendants. Surtout quand ces derniers se croient investis d’une mission particulière de représenter l’ensemble du groupe ethnique dont ils sont issus.

    • Inyankamugayo

      Il n’y a jamais eu de paradis au Burundi. Il y a eu injustice contre une ethnie, tandis que une classe ethnique (tutsi) vivait le paradis, l’autre classe (hutu et tutsi esclave) vivait l’enfers.
      J’adore plutôt: « Un homme qui crie quelque part, c’est moi qui crie ».

      Soyons guidés par l’altruisme.

      • RUGAMBA RUTAGANZWA

        @Inyankamugayo: »Il n’y a jamais eu de paradis au Burundi. Il y a eu injustice contre une ethnie, tandis que une classe ethnique (tutsi) vivait le paradis, l’autre classe (hutu et tutsi esclave) vivait l’enfers »

        Malheureusement pour vous, les Hutus vivent toujours l’enfer sous un Gouvernement Hutu à presque 100% en termes d’occupation de e postes de grandes décisions politiques, les Tutsis ne jouant qu’un rôle secondaire de figurant (imperekeza) ou de faire valoir.
        En ce qui me concerne, je pense que ce qui compte ce n’est pas tant l’ethnie de celui qui est à la tête du Burundi, mais sa vision et son leadership pour tous afin que le pays puisse aller de l’avant. On a à un certain moment pensé que le CNDD-FDD et son chef NKURUNZIZA allaient être ce messie-là que nous attendions depuis belle lurette… ! On a dû déchanter car, à mon humble avis, c’est le pire Gouvernement que ce pays ait jamais connu depuis qu’il existe. Ce qu’on voit aujourd’hui dépasse l’entendement. Non seulement c’est un Gouvernement qui a paralysé toute initiative privée par l’insécurité qu’il a causée (3è mandat illégal) mais encore et surtout il terrorise la population car il a apparemment donné autorisation à sa police et autre Imnbonerakure, agents du renseignent etc….l’autorisation de disposer de droit de vie ou de mort sur qui ils veulent, où ils veulent, comment ils veulent et quand ils veulent sans craindre quoi que ce soit sur le plan de la justice… !
        Socrate disait ceci : « Le secret du changement, c’est de concentrer toute votre énergie non pas à lutter contre le passé, mais à construire l’avenir. » ! Ceci n’est apparemment pas la vision du CNDD-FDD qui, au lieu de faire face à ses échecs retentissants dans tous les domaines de la vie socio-économico-politique du Burundi, invoque tout le temps le passé chaque fois qu’on lui reproche son incompétence et son manque de vision pour notre pays. J’espère que tout cela va finir bientôt car les Burundais, ce peuple digne et travailleur, méritent mieux que le leadership actuel qui n’a absolument aucun résultat socio-économique à montrer à sa population.

        • BAZOMBANZA Nadine

          Oui on aurait pu croire qu’enfin la justice allait régner dans le pays, que les auteurs, toujours bien vivants des massacres de 1972 et autres allaient enfin payer leurs crimes. Pas les subordonnés, mais les deux ou trois qui ont organisé tellement bien les génocides, des hutus bien sûr, je suis une veuve de l’un d’eux de 1972 , mais aussi il faut tout de même le dire de certains tutsis modérés. Je n’aime pas me référer aux ethnies car des deux côtés il y a des bons et des mauvais. En 1972, des tutsis ont bien été assassinés aussi, par qui mystère, mais les faits sont là. On attendait donc de ce président actuel qu’il agisse, étant lui même orphelin de 1972 et qu’en la vérité éclate au grand jour Que les veuves osent enfin parler, que les enfants des victimes puissent savoir la vérité. Au lieu de cela voilà ce pays doté d’un régime qui s’en prend à ces descendants des victimes d’alors. Le monde à l’envers. On assiste impuissants à des assassinats tous les jours, des disparitions, et plus grave encore, à l’élite du pays encore une fois, tous ces jeunes diplomés, qui devaient enfin faire évoluer le pays et le conduire à la prospérité et la paix, le voilà dans le cahot le plus total. Tout le monde soupconne tout le monde. Les gouvernants osent nier l’évidence : leurs services et milices sévissent partout en toute impunité. Le plus grave encore étant que l’ONU, l’Union Européenne, et pire l’Union Africaine n’interviennent pas pour faire cesser cela. Pourquoi ??? Et voilà encore une fois un vague de burundais obligés de se sauver de leur pays s’ils veulent garder la vie et à quel prix ? Qui va enfin délivrer le pays et arriver à ce que les gens puissent y vivre en paix, les uns avec les autres. L’hypocrisie pour moi en plus, c’est cette commission Vérité car je ne vois pas comment dans un tel climat elle peut se tenir. Personnellement je constate qu’elle est à grande tendance dirigée par l’église. Pour moi, elle devait être neutre avant tout. J’ai connu 1972 puisque j’ai quitté le Burundi fin août de cette année là. De plus jusqu’à présent je ne connais personne qui ai pu faire aboutir un témoignage valable. Rappelons même que la diaspora de son côté a essayé d’agir, mais que beaucoup d’obstacles sont mis devant elle. Un certain nombre de témoignages, dont le mien notamment n’ont toujours pas été validés officiellement. Ma belle famille n’a jamais été approchée non plus malgré les pertes qu’elle a subi. Il est impossible que cela se fasse dans un climat serein actuellement et avec des gens de bonne volonté. J’ajouterai que pour être valable, il faudrait des témoignages des deux côtés. C’est mon opinion, chacun est libre d’avoir un avis contraire.

  3. Gaël est un poète. Gaël est un génie. Son écriture est absolument délicieuse. Je recommande sans réserve « Petit Pays ». Achetez-le et lisez-le vous ne le regretterez pas.
    Merci à Annabelle Giudice pour son magnifique résumé…

    • citoyen

      Félicitations et merci Gael pour ‘Petit pays »; merci beaucoup Anabelle Jiudice pour avoir lu pour nous.
      Comment avoir ce précieux ouvrage quand on n’est pas à Paris?
      Merci encore une fois

      • Casimir

        sur Amazone mon cher ami!!!!!

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