Dans la capitale politique du Burundi, une drogue appelée booster fait des ravages. Au-delà de ses effets dévastateurs sur la santé des consommateurs, elle déchire le tissu socio-familial et appauvrit les communautés. Récit d’une tragédie moderne qui gangrène la communauté.
Booster sonnait naguère comme une promesse de performance, d’énergie. Mais à Gitega, ce mot rime aujourd’hui avec ruine, tristesse et chaos. Cette drogue, dont le prix ne cesse pas de monter attire pourtant jeunes et moins jeunes et s’impose comme le fléau majeur de la ville.
Habitués à voir principalement des adolescents en décrochage scolaire, chômeurs et brigands consommer des drogues, aujourd’hui cette connotation à changer de cible. Des hommes mariés, des commerçants voire des fonctionnaires apparaissent parmi les usagers. Dénominateur commun des consommateurs : la saleté et le vol.
Nous allons les appeler Paul, Issa, Sandrine, Niyondiko, etc pour garder leur anonymat. Que ce soit les toxicomanes d’aujourd’hui et les ex-toxicomanes, ils parlent des effets dévastateurs de cette drogue dont même les dealers ne peuvent pas préciser exactement la provenance. Selon eux, on devient vite dépendant avec une seule inhalation.
« Je pensais avant que ça allait m’aider à diminuer l’anxiété et être plus actif au travail. Il m’a suffi de la première fumée et le calvaire avait commencé », confie Issa, 32 ans, un ancien chauffeur de taxi. « Mais, trois mois plus tard, j’avais tout perdu. Mon emploi, ma femme, ma dignité »
Il se souvient de ses premières doses : une petite boule blanchâtre glissée dans un papier d’aluminium d’un paquet de cigarettes vendue au coin d’une ruelle du quartier Nyamugari. D’après lui, il a tout tenté pour arrêter mais sans succès. Son manque lui faisait mal jusqu’à ce qu’il s’adonne de nouveau à inhaler la fumée de cette drogue.
En termes d’effets néfastes, le booster provoque notamment chez les consommateurs une perte d’appétit, une insomnie chronique, des hallucinations et parfois une violence incontrôlée
« Tu te grattes tout le corps jusqu’à t’écorcher. Il est impossible de se laver. Le contact avec l’eau est comme du piment dans les yeux », déplore -t-il. Il indique aussi que la tentation de vol devient plus grande pour se procurer 15 000 FBu d’une minuscule boule.
Il en est de même chez Paul qui affirme avoir tout vendu jusqu’au matelas et aux casseroles. Il reconnait qu’il a tout perdu et qu’il ne voit pas de solution pour s’en sortir. Les effets du booster ne s’arrêtent pas au corps de celui qui le consomme. Ils s’étendent à la famille, au voisinage, à l’ensemble du tissu communautaire. Certains pères de famille, autrefois piliers de leurs foyers, deviennent des inconnus pour leurs proches.
« Même mes enfants ne me reconnaissent plus. J’ai honte de retourner auprès d’eux car, à chaque fois que je vais dans ma famille j’y suis de nouveau chassé à coups de bâton après avoir commis le vol »
Une communauté qui s’effondre
A Gitega, la consommation et l’accès au booster inquiètent. Malgré son prix exorbitant, les consommateurs s’arrangent pour inhaler quelques fumées. Comme il est cher pour celui qui n’a pas de travail, ils se mettent à 2 ou à 4 pour parvenir à acheter une petite boule afin de soulager leurs maux. Le manque de perspectives d’avenir, le chômage des jeunes et l’inactivité chronique aggravent la situation.
Les quartiers Nyamugari, Magarama, Nyabiharage, Rango et Musinzira comptent parmi les plus touchés. Des jeunes errent, hagards, les vêtements sales, le regard vide. Les vols se multiplient, les agressions aussi. Pour une personne en situation de dépendance, il lui est facile de venir débrancher un poste téléviseur dans un salon de séjours remplis de téléspectateurs tout en pensant qu’il va partir sans être vue ni connue.
Pour les rares ex-toxicomanes, arrêter est difficile mais c’est possible. Niyondiko raconte qu’après avoir perdu son emploi et été emprisonné, il a décidé lui-même d’abandonner et de fuir ses anciens camarades.
« J’étais devenu un problème pour toute la famille. Je prenais n’importe quoi pourvue qu’on me donne de l’argent. Je n’avais pas peur de déchausser un enfant pour aller échanger ces souliers contre cette drogue », témoigne ce père de trois enfants. Il ajoute que « quand les voisins m’apercevaient dans les parages, c’était l’alerte générale, j’étais devenu un paria »
Un combat urgent
Dans les rues, les consommateurs invétérés sont reconnaissables : maigres, délirants et sales. Ils s’alimentent rarement, ils tombent souvent malades, ils sont souvent atteints de tuberculose.
Malgré les efforts de la police pour démanteler les réseaux, le trafic de booster prospère. Les vendeurs se montrent de plus en plus inventifs pour écouler leurs marchandises et changent souvent d’adresses. Et, malheureusement, les centres de désintoxication à Gitega sont rares. Pour la population, le booster n’est pas qu’une drogue. C’est un symbole de détresse, de fracture sociale, d’échec des structures de prévention.
Le combat est urgent et nécessite une mobilisation collective : l’État, la société civile, les familles. Il faut plus que des arrestations. Il faut de l’éducation, de l’écoute et de l’espoir. Sans cela, c’est toute une génération que le booster pourrait emporter.
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