Vendredi 29 mars 2024

Économie

Osez entreprendre/ Des tableaux à l’image du Burundi !

22/03/2016 6

Orphelin à quatorze ans, Johny Nibizi va tirer profit de sa passion du dessin pour survivre et aider sa fratrie. De petites cartes postales, il est passé à des tableaux qui s’exportent à l’étranger.

Comment êtes-vous devenu peintre ?

Johny Nibizi
Johny Nibizi

La peinture s’est imposée à moi. A l’école primaire (vers la 3ème primaire), j’avais une étonnante habileté à dessiner, Le professeur de dessin me demandait de faire faire des exercices aux autres. C’est vers la 5ème primaire que j’ai commencé à dessiner pour me faire de l’argent. Je venais de perdre mes parents, j’ai eu donc l’idée de faire de petites cartes postales pour aider mes petits frères. Je les vendais à 50Fbu.

Est-ce ainsi que vous avez créé votre business ?

Oui. Après la mort de mes parents, je n’avais plus de sources de revenus, et les membres de ma famille ne m’aidaient pas beaucoup. La seule chose que je savais faire, c’était le dessin et la peinture. J’ai donc commencé à faire des cartes postales, des dessins sur les tissus. Et petit à petit ça a marché. J’ai pu avoir les frais de scolarité grâce à ce petit business.

Et maintenant, c’est un business qui marche ?

Oh oui. J’ai essayé d’élargir mon domaine. Je ne suis pas seulement fixé sur la peinture des tableaux, je peins aussi sur de simples tissus, sur des pagnes, c’est plutôt original et les gens aiment bien.

Avez-vous rencontré des difficultés pour démarrer ?

J’ai été découragé d’une part et encouragé d’autre part. Certaines personnes ne croyaient pas que la peinture puisse être un métier rentable. Mais comme je continuais en parallèle mes études et que je réussissais plutôt bien en classe, mes proches ne se sont pas trop opposés à mon art (rires).

A combien vendez-vous vos tableaux ?

Mes tarifs varient entre 2000 et 500.000Fbu. Le coût dépend du tableau, du matériel utilisé, du temps et du client. Je fais des tableaux correspondants à tous les pouvoirs d’achat. Le but est de permettre à toute personne d’avoir une śuvre d’art qui vient de mon atelier.

Vous vivez donc de votre art ?

C’est la meilleure entreprise rentable (Rires). Il y’a tellement de débouchés dans ce métier, même si parfois des clients ne respectent pas le paiement des commandes. Mais j’ai pu fonder ma famille grâce à ce métier. Ce n’est pas tout. Grâce aux dividendes, j’ai également monté un business de vélos-taxis.

Un message derrière votre peinture?

Je peins la culture burundaise (les tambourinaires, ibisabo, inanga…). Je suis convaincu que la tradition burundaise regorge de beaucoup de richesses et j’ai le «savoir» de montrer cette diversité. Je n’ai pas besoin de copier Picasso ou Van Gogh. Toutefois, j’essaie aussi de diversifier ce que je fais pour enrichir mes créations.

Vous employez combien de personnes ?

Je fais moi-même la peinture. Mais j’ai une vingtaine de jeunes qui m’aident dans la vente. Ils font un commerce ambulant. Ils obtiennent un pourcentage sur chaque article vendu.

Vous ne visez pas l’exportation de vos tableaux à l’étranger?

J’ai déjà participé dans plusieurs expositions à l’Institut français du Burundi en 2014 et 2015. J’étais aussi présent au marché de Noël en 2015. Je fais également partie d’un collectif d’artistes, «Maoni», qui fait tout les deux ans des expositions de nos śuvres d’arts ici à Bujumbura. Il y a un autre collectif d’artistes «Chaza» qui vend mes tableaux à l’étranger (Kenyan, Tanzanie), lorsqu’il y a des sorties touristiques de jeunes talents burundais.

Quels sont vos défis aujourd’hui ?

La première difficulté est liée au matériel. Il m’est très difficile de trouver de la peinture à l’huile et des tubes pour les tableaux. Je me retrouve parfois à utiliser de la peinture pour maison. La seconde est liée à la mentalité des Burundais, ils n’ont pas une culture de l’art (rires). Même ceux qui ont un pouvoir d’achat n’achètent pas vraiment mes peintures. Je suis obligé de casser les prix pour écouler les produits.

Vos projets d’avenir ?

Mon avenir ne se limite pas à la peinture uniquement. Je fais de la musique, de la poésie, j’aimerais donc créer une entreprise multisectorielle pour exploiter tous ces talents.

Que diriez-vous à un jeune qui veut se lancer  dans l’artisanat?

Le plus important est de découvrir sa passion, son talent et de foncer. Moi par exemple j’ai fait des études d’agronomie, mais je suis un peintre (rires). La jeunesse burundaise est piégée par l’idée de faire un métier en rapport avec le cursus académique. La reconversion peut se faire et j’invite les autres de tenter cette expérience, obtenir un emploi de l’Etat n’est plus évident.


Bio express

Né en 1980 dans le quartier Asiatique, Johny Nibizi est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants. Après ses études primaires à l’Athénée de Bujumbura, il effectue le secondaire au Lycée du Lac Tanganyika. Il obtient ensuite une licence dans la faculté d’Agronomie à l’université du Burundi. Très jeune Johny a concilié la peinture et les études pour subvenir à ses besoins. Comme loisir, Johny aime le football, la musique et la cuisine.


>> Témoignages

« A force de le côtoyer, l’art est devenu ma passion »

Ezechiel Ndayizeye
Ezechiel Ndayizeye

Ezéchiel va rencontrer Johny dans un cadre qui n’a rien à voir avec la peinture. « J’ai rencontré Johny lors d’un culte religieux, c’était en 2004. J’étais alors élève au Lycée du Lac Tanganyika. »

Intrigué par les śuvres d’art dont se servait son église pour transmettre des messages bibliques, il fait alors la rencontre avec le fameux peintre, Johny. «Il était vraiment excellent, ses tableaux confirment son talent». Ce fut le début d’une d’amitié. Pour Ezéchiel, Johny est un «bourreau de travail».

Et de renchérir : « Il peut bosser toute une nuit pour respecter les commandes», avant d’enchaîner : « Il fait partie de ces personnes qui ne reportent pas un travail pour le lendemain.» En plus, ajoute son ami, Johny partage son art. « Il donne des formations ici et là aux jeunes dans l’espoir de les voir évoluer. »

Aussi passionné par l’art et la peinture en particulier, Ezéchiel va bénéficier du savoir-faire de Johny. « Johny m’a poussé à faire mes propres tableaux. J’en ai même exposé quelques uns. » En matière de peinture, Ezéchiel estime que Johny est le mentor idéal. «Il est prêt à aider».

« Johny est le roi de la technique silhouette »

Diya Sengele
Diya Sengele

«Johny a intégré le collectif Maoni vers 2013 », affirme Sengele Sampayi Diya. A cette période se rappelle-t-il, le collectif Maoni boitait. « Avec sa motivation et ses créations, Johny est parmi les artistes qui nous ont poussés à reprendre les pinceaux pour remettre Maoni sur les rails. » Il fait savoir qu’il pratique la peinture de silhouette. « Les contours de l’objet peint sont sur un fond noir et les formes ressortent un peu », explique-t-il. Et de souligner qu’il s’agit d’une technique de l’art africain, «C’est sa touche personnelle, et cette technique est appréciée ». Les hôtels et les restaurants huppés de Bujumbura s’arrachent ses tableaux. «Il fait aussi de tableaux simples pour un faible pouvoir d’achat»

Diya est également admiratif quant à la détermination de Johny : « Il aime la peinture et sa rapidité dans la réalisation des tableaux m’étonne toujours. » Et au-delà de l’objectif de vendre ses tableaux, apprécie Diya, Johny est une personne qui veut promouvoir l’art au Burundi.


>>> Conseils d’un pro

« Johny Niyibizi doit créer des tableaux correspondants au goût des clients. »

Pour Pierre-Claver Nduwumwami, le directeur général du Burundi Business Incubator, Johny Niyibizi doit améliorer constamment son produit pour répondre au besoin des consommateurs.

Pierre-Claver Nduwumwami
Pierre-Claver Nduwumwami

«Johny a certes des talents d’artiste et il est jeune mais il est aussi un entrepreneur par nécessité »,affirme le D.G du BBIN. Pour lui, explique M. Nduwumwami, Johny s’est servi de ses compétences pour survivre et gagner sa vie à défaut d’un emploi plus rémunérateur.

M. Nduwumwami considère que c’est erroné d’affirmer que «les burundais n’ont pas une culture de l’art». Il n’y a pas longtemps, démontre-t-il, bon nombre personnes croyait que les Burundais n’allaient pas acheter de l’eau minérale, mais ce secteur connait un étonnant succès.

Toutefois, le directeur de la BBIN reconnait que Johny doit relever quelques défis «Il peut vivre de son art mais c’est un challenge dans un pays où la majorité de la population peine à satisfaire les besoins élémentaires»

Pour le Directeur de la BBIN l’astuce serait pour ce jeune entrepreneur de comprendre pourquoi «même ceux qui ont un pouvoir d’achat n’achètent pas ses tableaux». Et de renchérir «Avoir un talent et produire parfois ne suffisent pas, il faut aussi être souple et écouter le client». D’une note optimiste, il conclut, « cibler la clientèle, lui offrir un tableau correspondant à son goût et un prix étudié, peut mener à la réussite.»

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Mayagwa

    Je connais ce type depuis plus de 10ans maintenant!
    Voilà ce qui manque encore à la jeunesse burundaise « la carrière professionnelle »! Vivre une vie sans aucune « Carrière professionnelle » est une vie sans issue! Pendant que les uns chantent et répètent chaque jour le mot « Chômage, pauvreté, misère », les autres sont entrain de forger leurs carrières professionnelles. Sont qui viennent me voir en quête d’emploi mais que je les demande de me préciser quel type d’emploi cherchent-ils, ils me répondent soudainement « AKARIKO KOSE » comme s’ils sont capables de tout, or c’est impossible.
    Jeunes ne perdent plus votre temps à courir derrière les politiciens, forgez plutôt au moins une carrière professionnelle. Une carrière professionnelle est la seule source sure des revenus! En plus de cela c’est la seule riche transmissible de génération en générations. Mon père état un technicien, il a transmis son métier à tous ses frères, ses voisins, ses fils. Moi-même et tous mes frères, avons étudié grâce à ce métier. Chaque jour après l’école, on s’occupait de ce métier et on gagnait de l’argent pour nos scolarités, habillements et loisirs. Aujourd’hui, je ne fais plus ce métier à cause de mon emploi actuel mais si demain ça ne marche pas, je retournerai à mon atelier!

    • Mizero

      Technicien ?? technicien de quoi ? Il faut plus d »éclaircissement pour ceux qui veulent suivre l’exemple

  2. KARABONA Simon

    Bonne chance à Johny.

  3. Mizero

    La question est « comment peut- on se procurer ces merveilles SVP quand on habite à l’extérieur du Burundi ( la Belgique par ex )

    • Mayagwa

      @Mizero, voulez-vous acheter ses produits? Contactez-lui via la rédaction ou via son facebook. Ou si tu connais quelqu’un de New Generation (ASBL), il peut vous connecter avec lui!

    • Martine Nzeyimana

      Bonjour, je suis Martine, l’auteure de l’article. Johny est sur le 75511127(whatsApp). Ou passez via facebook pour entrer en contact, c’est Johny Nibizi

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