Vendredi 27 juin 2025

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OPINION | Burundi – Le temps d’un « Reset » se fait pressant

27/06/2025 0
OPINION | Burundi – Le temps d’un « Reset » se fait pressant

Par Aloys NTISEZERANA*

La plupart des utilisateurs d’ordinateurs et portables le savent. Lorsque des dysfonctionnements inexpliqués surgissent, il est souvent nécessaire de relancer l’appareil pour réinitialiser les processus, supprimer les fichiers inutiles et nuisibles à son bon fonctionnement et relancer le système d’exploitation dans un état propre et efficient.

Les psychologues, les coach sportifs et spirituels empruntent le même vocabulaire informatique « Reset – Reboot » en parlant d’une remise à zéro du corps, de l’esprit et du mental afin de redémarrer sur de meilleures bases, plus saines et performantes.

Il n’échappera à personne que le parti au pouvoir au Burundi, le Conseil national pour la défense de la démocratie et forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), qui revendique la victoire totale aux élections législatives et communales, ne manifeste aucun besoin de réinitialisation du « logiciel Burundi » – tout au moins ouvertement. Bien au contraire. Les slogans assénés tout au long de la campagne, devant un public médusé, ont présenté un Burundi sur la bonne voie du développement et rappelé que l’eldorado est à portée de main….

A l’autre bout du baromètre, l’opposition burundaise, sous la plume de 20 parlementaires du Congrès National pour la Liberté (CNL), prochainement écartés de l’hémicycle, dresse un (très) long réquisitoire sur la situation socio-économique, sécuritaire et politique du pays. La note débouche sur le besoin urgent de surseoir aux élections et de « convoquer une Conférence Nationale….afin de définir ensemble les perspectives d’avenir et une feuille de route pour bâtir un Burundi pour tous, prospère et stable ».

En somme, chacun est dans son rôle : Le pouvoir prône la continuité et se félicite du plébiscite populaire, l’opposition dénonce des élections entachées de fraudes massives et exige un cadre de concertation. Rien de bien nouveau.

Sans vouloir s’immiscer dans ce contentieux électoral assez prévisible, cette brève contribution apporte un petit complément aux excellentes analyses publiées ces derniers jours sur le même sujet, en offrant une perspective historique de la situation du Burundi, en ce tournant décisif où les derniers garde-fous de la démocratie semblent céder.

Plus précisément, cette note analyse l’évolution économique du pays, à travers le PIB par habitant, sous le prisme de son histoire tumultueuse au cours des 40 dernières années. Cette trajectoire rétrospective est comparée à celles de deux pays africains de tailles relativement similaires ayant également traversé de graves crises sociopolitiques durant la même période : le Rwanda et le Libéria.

Figure 1 : Produit Intérieur Brut par habitant (source Banque Mondiale)

La trajectoire économique de ces 3 pays (Figure 1) fait ressortir une image très contrastée sur la dynamique de développement économique au sortir des épisodes de conflits subis par chacun des pays concernés :
Le graphique montre la percée remarquable du PIB par habitant du Rwanda qui a été multiplié par 9 durant les deux décennies qui ont suivi le génocide des Tutsi de 1994 (de USD 111 USD en 1994 à USD 1,010 par hab. en 2023). De même, Le Libéria a décuplé la richesse économique moyenne de sa population depuis la fin de la guerre civile en 1996 (de USD 71 en 1996 à USD 772 par hab. en 2023).

La trajectoire du PIB par habitant de ces deux pays est le fruit de plusieurs facteurs- dont notamment une stabilité politique, une aide internationale au développement et à la reconstruction accrue, un investissement public significatif dans les infrastructures, une redynamisation des secteurs économiques traditionnels couplée à une diversification vers de nouveaux pôles économiques de croissance, des réformes économiques ambitieuses et un environnement favorable aux investissements privés locaux et internationaux.

Il est inutile de préciser que ces chiffres ne livrent pas toute l’histoire. Une analyse portant sur les diversités de contexte, la structure des économies, l’impact des filières licites et illicites de ressources naturelles et minières, le poids de la démographie et des inégalités, les conditions de vie des populations, etc…permettrait d’apporter une lecture plus nuancée sur la performance socio-économique de chacun des pays concernés.

A l’opposé, la trajectoire du PIB du Burundi reflète une situation économique en dents de scie en dessous de la barre de 300 dollars par habitant et dont les principaux marqueurs sont les suivants :
(1) 1986 : A la veille de la 3eme république, le Burundi atteint le plus haut niveau du PIB par habitant depuis son indépendance (243 US$/par hab). Cette croissance est portée essentiellement par le développement des infrastructures et des cultures de rente et vivrières durant une période de relative stabilité, soutenue par un endettement extérieur important.

(2) Les années 1990 correspondent à la guerre civile et l’instabilité politique, l’isolement du Burundi, un embargo régional et l’effondrement de l’économie. Le PIB touche le fond en 2003 ( US$ 113 par habitant) lorsque le CNDD-FDD rejoint l’ Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation signé en août 2000. A noter que l’échelle de la figure 1 ne permet pas de prendre toute la mesure de l’effondrement de l’économie durant cette période de crise aiguë.

(3) De 2005 à 2015 : Le PIB/hab. a doublé, atteignant US$ 281 en 2015, un niveau certes modeste au regard de la situation économique 30 ans plus tôt, mais repositionne l’économie burundaise sur une trajectoire positive. Cette performance est en grande partie le résultat d’une stabilité politique retrouvée et du retour enthousiaste des partenaires au développement pour accompagner la relance économique.

(4) 2016 à 2020 : Les fruits de l’Accord de Paix auront été de courte durée. La crise de 2015 plonge le Burundi dans une grave récession et conduit à la suspension de l’aide au développement et la mise sous sanctions du pays. De nombreux investisseurs étrangers et nationaux quittent le pays ou mettent fin à leurs activités. La crise du Covid-19 vient aggraver la situation économique. Le PIB par habitant chute de 25% durant cette période (210 US$ par habitant en 2020).

(5) 2020 à ce jour : Malgré les promesses des nouveaux dirigeants depuis 2020, la page noire de 2015 n’est pas tournée, loin de là. La cohésion sociale, le cadre macro-économique stable, ainsi que l’image du pays, socle d’un climat des affaires propice, transparent et apaisé, tardent à se matérialiser. Le discours politique demeure clivant et les atteintes persistantes aux droits humains entretiennent l’image d’un pays prisonnier de ses vieux démons.

D’autre part, l’absence de progrès dans la maîtrise de la dette publique et de la gestion monétaire et budgétaire plonge le pays dans une grave crise économique sans précèdent, et prive le pays de ressources précieuses du FMI pour relancer sa croissance. Les dernières données disponibles sur le PIB de la Banque Mondiale placent le Burundi au bas de l’échelle mondiale avec un PIB de 193 USD par habitant en 2023, soit une chute de 20% par rapport à la richesse économique moyenne du Burundais…….en 1986.

A la lumière de ce contexte socio-économique profondément détérioré, entraînant des répercussions directes sur le quotidien du Burundais, la victoire écrasante du parti au pouvoir aux élections législatives et communales soulève des questions légitimes sur le bien-fondé et la légitimité d’un processus électoral qui s’appuie sur les mêmes leviers de répression, clientélisme et corruption pour imposer un statu quo insoutenable.

Aucun argument sur les insuffisances de l’indicateur du PIB par habitant ne peut occulter la vérité implacable qui s’impose sous nos yeux : le disque dur Burundi est défectueux, il génère de la pauvreté ou, au mieux, la maintient au même niveau, depuis 4 décennies. Le parti au pouvoir depuis 20 ans aura beau jeu d’invoquer la conjoncture internationale, les caprices des bailleurs de fonds, les complots des « ennemis de la nation » ou les catastrophes naturelles. Ces facteurs – avérés ou pas – n’épargnent pas les autres pays africains bien mieux placés sur la même échelle du PIB durant la même période.

L’opposition – CNL et Uprona en tête- s’empressera de pointer du doigt le CNDD-FDD, source de tous les maux dont souffre la gouvernance du pays. Le CNDD-FDD est certes la version la plus aboutie de ce dysfonctionnement. Cependant, comme le démontre la trajectoire du PIB du pays, le problème est plus profond, structurel et antérieur à l’arrivée du CNDD au pouvoir. Cette trajectoire est le reflet d’une classe politique qui depuis trop longtemps s’appuie sur les angoisses, rancœurs et divisions des Burundais, l’instrumentalisation de l’ethnie, la religion et autres leurres pour masquer son incompétence dans la gestion du pays, son inclinaison à l’exclusion pour conserver le pouvoir, au clientélisme et à la prédation pour entretenir la rente de l’élite au pouvoir.

Le CNDD – FDD aurait tort de se réjouir de cette impasse dans laquelle se trouve le pays, qui lui offre désormais le contrôle exclusif de tous les leviers du pouvoir. Sa responsabilité historique dans le déclin du pays n’en sera que plus importante. Le récent appel à l’apaisement et au dialogue du President de la République, Evariste Ndayishimiye, est certes louable. Néanmoins, les dirigeants du CNDD-FDD n’ont ni la capacité, ni la légitimité nécessaires pour arbitrer le contentieux électoral, et encore moins pour fédérer tous les courants politiques et acteurs de la société civile autour d’un projet de société à la hauteur des enjeux du moment.

Conclusion

L’issue troublante des élections législatives et communales est un rappel brutal du besoin urgent d’une refonte profonde du mode de gouvernance politique et économique du pays afin de pouvoir amorcer une nouvelle trajectoire de prospérité et de paix. Cette reconfiguration du système d’exploitation du logiciel Burundi – pour rester dans la même métaphore – implique un changement profond de paradigme reposant sur une gouvernance inclusive, apaisée, compétente, en rupture avec les maux du passé.

Pour réussir, les Burundais devront s’inspirer des pays qui ont pu surmonter le poids de leurs histoires tragiques pour bâtir des nations fortes, unies et prospères en s’appuyant sur des principaux fondamentaux : Une vision politique qui rassemble toutes les composantes de la population, le respect des droits fondamentaux pour tous, une justice véritablement indépendante qui consacre la primauté du droit, une administration publique compétente, intègre et apolitique aux service du citoyen, des forces de l’ordre garantes de la sécurité de tous et non au service d’un pouvoir arbitraire, des dirigeants comptables de leurs actes, et non des guides suprêmes au pouvoir divin, élus ou sélectionnés pour leurs compétences, réalisations et probité, un climat des affaires favorable aux investisseurs locaux comme étrangers. Espérons que la classe politique burundaise, dans son ensemble, aura l’humilité d’assumer sa lourde responsabilité historique dans la gestion calamiteuse de ces 40 dernières années, et la sagesse d’accorder davantage d’espace à la société civile et la diaspora pour co-piloter les profondes réformes qui s’imposent pour reconstruire et transformer durablement notre cher pays. L’avenir de nos enfants en dépend.

*Aloys NTISEZERANA est consultant

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