Alors que les cérémonies traditionnelles de mariage au Burundi se font de plus en plus rares ou symboliques, les voix s’élèvent pour alerter sur une perte progressive des repères culturels. Entre contraintes économiques, désintérêt des jeunes et absence de transmission, les rites jadis porteurs d’identité sont aujourd’hui menacés. Une tradition devenue un luxe.
Pour A.N., respecter toutes les étapes traditionnelles du mariage est aujourd’hui hors de portée. « Ça demande trop de dépenses. La vie est devenue difficile. Tout le monde ne peut pas se le permettre »
A.M., de son côté, appelle à adapter les traditions aux réalités actuelles.« La vie continue après les cérémonies. Il faut d’abord tenir compte de sa situation financière. Mais si le couple en a les moyens, oui. Respecter les traditions est important. »
Cette tendance à alléger les cérémonies ne s’explique pas uniquement par des contraintes économiques. Pour D.K., parent et observateur averti, le problème réside aussi dans le manque de transmission culturelle.
« Les jeunes ne s’intéressent plus aux traditions, et c’est souvent parce que les parents ne les leur enseignent plus », déplore-t-il.
Il pointe notamment le cas des jeunes burundais qui, après avoir étudié ou vécu à l’étranger, reviennent avec des modèles culturels différents.
« Certains parents sont fiers de voir leurs enfants adopter des modes de vie venus d’ailleurs, sans réaliser que cette ouverture peut les éloigner de leur propre culture. », s’indiquent-t-il.
D.K. appelle les parents, enseignants et acteurs culturels à jouer pleinement leur rôle. « Il est urgent d’enseigner aux jeunes l’importance de ces cérémonies et leur véritable signification. Il faut organiser des forums, des séminaires, des discussions pour expliquer pourquoi ces rituels comptent et comment ils renforcent la cohésion communautaire. »
Une génération coupée de ses racines
L’artiste Jovin Bacinoni, fervent défenseur de la culture burundaise, exprime son inquiétude face à cette évolution. « La jeune génération ne sait même plus d’où elle vient. Elle ignore ce que représentaient ces traditions, et cela crée un vide culturel. » Il reconnaît que tous les rites ne peuvent pas être suivis à la lettre, mais il insiste sur la nécessité de les comprendre.
Il regrette également la disparition progressive de certains rôles clés, comme celui des tantes paternelles, autrefois incontournables lors des mariages.
« Elles conseillaient les jeunes époux, participaient aux cérémonies et transmettaient les valeurs. Aujourd’hui, elles sont reléguées au rang de simples invitées, parfois remplacées par des marraines qui ne remplissent pas la même fonction. Cela affaiblit aussi la symbolique du mariage. »
« Il estime qu’il ne s’agit pas de suivre des rituels par habitude, mais de comprendre leur profondeur. » Il appelle lui aussi à une mobilisation collective : enseignants, artistes, intellectuels et institutions doivent s’engager à transmettre ces valeurs.
« L’État lui-même devrait intégrer cette mission dans ses priorités culturelles. »
Des rituels vides de sens ?
Napoléon Ahishakiye Segihembe, éditeur aux Éditions Gusoma, met en garde contre une dénaturation des cérémonies. « Les rituels traditionnels ont une structure et un sens. Quand on ignore les règles, ils perdent toute leur signification. » Il évoque l’exemple du ugutwikurura (la levée de voile). « Si une femme est dévoilée sans que l’union ait été formalisée dans les règles, ce n’est plus un rite, c’est une mise en scène. Cela devient une formalité sans valeur. »
Selon lui, l’éducation culturelle est un socle indispensable : « La culture burundaise donnait une base solide à ces pratiques. Si l’on commence à trahir ces fondements, tout l’édifice vacille. »
S’adapter sans renier
Ahishakiye ne rejette pas l’idée de changement, mais il prône une adaptation raisonnée. « Il ne s’agit pas de refuser l’évolution, mais de préserver ce qui constitue notre richesse culturelle. Les rituels ne doivent pas être figés, mais transmis avec discernement et respect. »
Entre modernité et oubli, les cérémonies traditionnelles burundaises se retrouvent à la croisée des chemins. Le danger n’est pas dans le changement, mais dans l’abandon pur et simple d’une mémoire collective qui fait le ciment de l’identité nationale. Redonner du sens aux rites, en assurer la transmission et les adapter avec intelligence, tel est le défi à relever pour préserver l’âme culturelle du Burundi.
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