Lundi 22 décembre 2025

Société

« L’Epouse du Tambour », une œuvre qui passionne

22/12/2025 0
« L’Epouse du Tambour », une œuvre qui passionne

Il s’agit d’un roman qui parle de l’histoire du Burundi précoloniale sous une autre forme de narration. A cette époque, le pouvoir du roi reposait autant sur les alliances politiques que sur les rites sacrés, en particulier autour des tambours dynastiques. L’auteure du livre, Leona Mbonyingingo, passionnée de lecture dès son bas-âge, veut faire revivre aux autres la passion qui l’a fait grandir.

Pourquoi avoir choisi « L’Epouse du Tambour » comme titre ?

« L’Épouse du Tambour » fait référence à l’épouse de Karyenda, c’est-à-dire la vestale chargée des soins au tambour sacré qui représentait le royaume du Burundi. Le roman raconte l’histoire de Nkindi, une jeune fille du clan des tambourinaires Bajiji, qui est choisie pour devenir la vestale du tambour Karyenda. C’est une jeune fille impulsive, éprise de tambours et de liberté et qui refuse l’idée du mariage. Paradoxalement, c’est dans cette relation d’épouse à un tambour qu’elle finira par trouver sa voie, une union qui n’est pas sans ses exigences et ses sacrifices.

Quelle a été votre principale motivation ?

La passion d’écrire et des récits. Avant même de savoir lire, je sollicitais sans cesse les adultes pour qu’ils me racontent des contes le soir. J’ai même fini par convaincre ma mère de recruter des nounous qui en connaissaient beaucoup.

Lorsque j’ai appris à lire, je suis allée à la source, dans les livres, et l’envie d’écrire est venue naturellement. L’Épouse du Tambour est née de cette passion ancienne pour les récits, en plus du désir de découvrir et de raconter une part de notre histoire encore peu présente dans la littérature.

Quel est votre objectif principal ?

J’ai toujours aimé les romans historiques et les œuvres d’auteurs classiques. Ayant grandi en Europe, j’ai été frappée par le peu de place accordée à l’histoire de l’Afrique, souvent limitée à l’Égypte ancienne, à l’esclavage et à la colonisation, aussi bien en classe que dans la littérature. Lorsque je suis rentrée au Burundi au lycée, j’ai découvert l’histoire de nos royaumes, la fête des semailles, les empires africains comme l’empire mandingue ou le Dahomey. Pourquoi cette Afrique souveraine était-elle si peu présente ?

Je me suis alors donné pour objectif d’écrire des récits qui montrent cette histoire de l’Afrique, faite de sociétés riches et complexes, avec leurs beautés et leurs violences.

Avec ce livre, vous voulez laisser une trace pour la postérité ?

Si cela arrive, tant mieux, mais je l’ai écrit par passion, sans prétention. Si le roman laisse une trace, ce sera à travers ses personnages. On se rappellera peut-être de Nkindi et de son amour pour les tambours et la liberté, du fou du roi qui dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, de la reine-mère, figure du pouvoir au féminin, ou encore du devin royal, gardien d’une spiritualité aussi fascinante qu’inquiétante.

Si, à travers le destin de Nkindi et de tous ces personnages, le roman parvient à éveiller la curiosité pour notre passé, à être lu, partagé et discuté, alors il aura accompli sa mission.

Certaines œuvres historiques sont menacées par la disparition de leurs détenteurs. Est-ce le cas au Burundi ?

On dit que lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. C’est tout un savoir qui risque de disparaître. Au Burundi, où une grande partie de l’histoire s’est transmise oralement, de génération en génération, et sans véritable tradition de griots comme dans d’autres régions d’Afrique, cette mémoire est particulièrement fragile. Cela rend le travail de transmission d’autant plus important.

Les romans historiques comme L’Épouse du Tambour, sans être des ouvrages d’histoire, peuvent contribuer à garder cette mémoire vivante.

Comment conciliez-vous la connaissance de l’histoire du Burundi avec l’avancée technologique ?

L’avancée technologique peut être un véritable atout pour la connaissance de l’histoire du Burundi. Les outils numériques facilitent la collecte des mémoires, le croisement des sources, la documentation et, surtout, la diffusion de l’information.

Bien que profondément attachée à la langue et à la littérature, j’ai suivi une carrière d’ingénieure en informatique, ce qui me place au cœur des technologies actuelles. J’utilise donc naturellement ces outils, y compris dans mon travail de recherche et d’écriture.

Lors de mes recherches, par exemple, j’ai pu préparer en amont depuis Montréal l’accès à plusieurs bibliothèques parisiennes disposant d’ouvrages sur l’Afrique. Grâce à Internet, j’ai identifié précisément une soixantaine d’ouvrages à consulter, ce qui m’a permis d’optimiser mon temps de recherche sur place, concentré sur trois jours. Sans cette préparation, un tel travail n’aurait pas été possible dans un délai aussi court.

Votre livre a-t-il un public spécifique ?

Il s’adresse à un large public adulte, aux lecteurs burundais bien sûr, mais aussi à ceux qui ne connaissent pas notre histoire. C’est un roman pour des lecteurs curieux, désireux de découvrir une époque africaine ancienne encore peu racontée.

J’ai ajouté, lorsque cela était nécessaire, quelques explications en annexe afin de faciliter la compréhension du contexte, y compris pour ceux qui ne connaissent pas le Burundi. L’Épouse du Tambour offre également une seconde lecture, plus philosophique, invitant à réfléchir à des thèmes comme la liberté sous la contrainte, la place de la femme, le pouvoir et la spiritualité.

Pour l’instant, le livre s’adresse aux lecteurs francophones, mais j’aimerais aussi le traduire en anglais afin de toucher un lectorat anglophone.

Quelle place devrait avoir l’apprentissage de l’histoire du Burundi ?

L’histoire du Burundi devrait occuper une place centrale car c’est en comprenant notre passé que l’on comprend mieux qui nous sommes. Cet apprentissage ne devrait pas être uniquement scolaire. Elle doit être racontée, incarnée et discutée pour devenir un véritable espace de compréhension de soi.

Pour ma part, c’est en lisant Les Misérables de Victor Hugo que j’ai compris l’époque de la Révolution française de 1789, ou en regardant le film Racines que j’ai saisi l’horreur de l’esclavage. L’histoire relate les faits, mais ce sont les récits qui créent l’émotion et marquent durablement les esprits.

C’est dans cet esprit que j’ai écrit L’Épouse du Tambour : pour faire vivre notre histoire et nourrir l’imaginaire.

L’enseignement actuel joue-t-il son rôle ?

N’étant pas dans le domaine de l’enseignement, il m’est difficile d’en juger précisément. Il me semble toutefois que l’école fait ce qu’elle peut, souvent avec des contraintes importantes.

Je dois néanmoins reconnaître à l’enseignement burundais le mérite de m’avoir transmis les bases de notre histoire, notamment autour de la fête des semailles. Par nature, l’école doit s’en tenir aux faits établis et simplifier pour faciliter la transmission.

En écrivant L’Épouse du Tambour, j’ai pris conscience de tout ce qui se situe en dehors de ce cadre : le quotidien, l’alimentation, les cultures, les paysages, la faune, la flore, les gestes de la vie courante. La fiction permet d’explorer ces zones laissées en marge et de donner voix à des personnages secondaires de l’histoire officielle, en proposant un regard complémentaire à celui de l’enseignement.

Selon vous, quelle place occupe la lecture dans la nouvelle génération ?

La lecture n’a pas disparu, elle a changé de formes. Les jeunes lisent différemment, souvent sur leurs téléphones, parfois sur des formats plus courts, mais ils restent sensibles aux histoires fortes. À nous de leur proposer des récits qui parlent à leur intelligence et à leur sensibilité.

Lorsque j’écris, je me place à la hauteur du lecteur d’aujourd’hui : souvent pressé, sollicité de toutes parts, avec une attention fragmentée. Il faut entrer rapidement dans l’histoire, susciter l’émotion, créer une immersion immédiate.

La littérature s’adapte ainsi à son époque, en intégrant parfois des techniques narratives proches de l’audiovisuel, avec lequel elle est en compétition.

Que faut-il faire ?

Il faut multiplier les passerelles : entre l’audiovisuel et l’écrit, entre le passé, le présent et même l’avenir avec l’afro futurisme, entre le papier et le numérique.

Pour mon roman, j’ai mené un important travail de recherche — plus de 80 ouvrages, une centaine d’émissions et podcasts, et plus de 300 articles. Pourquoi ne pas transformer maintenant cette matière en capsules d’information sur notre histoire, dans des formats courts, visuels, divertissants mais éducatifs ?

Que comptez-vous faire pour que votre œuvre atteigne plus de public ?

Aller à la rencontre des lecteurs, à travers les médias, les réseaux sociaux et les échanges. Je crois beaucoup à la circulation des récits : un livre se transmet aussi par la discussion, la recommandation et le bouche-à-oreille.

La traduction en anglais ainsi que l’ouverture à d’autres régions d’Afrique, élargiraient aussi le bassin de lecteurs potentiels.

D’autres projets dans l’avenir ?

J’envisage plusieurs projets. À court terme, je poursuis l’écriture autour du Burundi précolonial et j’ai entamé un deuxième roman. À moyen terme, je réfléchis au projet de capsules d’information ainsi qu’à la traduction du livre en anglais.

À plus long terme, je m’intéresse à l’histoire d’autres régions du continent africain, en particulier celle du Bénin, dont la culture et l’histoire sont très riches et avec lequel j’ai un lien personnel. J’avance sur l’ensemble de ces projets progressivement, en prenant le temps nécessaire pour les faire mûrir.

Bien entendu, je continue d’accompagner L’Épouse du Tambour, qui poursuit son chemin auprès des lecteurs et pourrait, à terme, trouver d’autres formes d’expression.

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