Mercredi 24 avril 2024

Culture

La section Langues en voie de disparition

16/07/2021 Commentaires fermés sur La section Langues en voie de disparition
La section Langues en voie de disparition
Les élèves du post fondamental fuient la section Langues.

La section Langues au post-fondamental tend à disparaître. Il n’y a plus d’engouement pour cette section jadis « Lettres modernes » et prisée. Des éducateurs parlent d’un avenir des futurs lauréats hypothéqué.

Plusieurs établissements de la mairie de Bujumbura sont sur le point de fermer la section Langues. Elle ne fait plus partie des choix des élèves.

A l’école Saint Michel Archange, la section Langues n’existe presque plus depuis deux ans. Il ne reste que la classe terminale (3e post-fondamentale) qui finit cette année. Elle ne compte que 12 élèves, d’après le préfet des études, Dismas Baranyeguye.

Cette école n’a pas reçu d’inscriptions dans cette section depuis l’année scolaire 2018-2019. « Si nous ne recevons pas d’inscriptions pour cette année scolaire qui approche, cette section sera fermée pour de bon », précise le préfet des études.

Cet éducateur estime que ce manque d’engouement est dû au changement de programmes de cette section. Depuis la réforme fondamentale mise en œuvre en 2014, l’on a supprimé beaucoup de cours, comme l’histoire, la géographie et la philosophie ainsi que presque toutes les sciences (biologie, chimie, physique) Le cours de maths est dispensé jusqu’en 2e post-fondamental avec très peu d’heures, selon lui.

Avant le système fondamental, explique ce préfet des études, la section Lettres modernes comptait toutes les sciences. Ainsi, le lauréat de cette section pouvait poursuivre dans les facultés de médecine, d’économie, etc. Aujourd’hui, ce n’est plus possible avec les lauréats du nouveau système. De surcroît, les élèves considèrent les langues comme une section sans avenir, car elle n’offre pas beaucoup d’opportunités d’emplois comme dans les sciences, estime le préfet.

La réforme fondamentale, la racine du mal

Au Lycée SOS, c’est le même constat. Cet établissement est en train de supprimer la section Langues. La toute dernière promotion finira l’année prochaine, d’après le directeur de ce lycée, Télésphore Barikore.

Cette école compte aujourd’hui une vingtaine d’élèves par classe dans les deux promotions de Langues qui restent. Avant la réforme fondamentale, chaque classe des Lettres modernes comptait au moins 40 élèves, d’après le directeur.
Il estime que la réforme fondamentale et post-fondamentale est la principale raison : « L’on a supprimé les cours qui leur donnaient plusieurs choix à l’université. »

Ce n’est pas seulement cette section Langues qui souffre. Dans les sections scientifiques, les langues sont très négligées, selon le directeur du Lycée SOS. Elles n’ont qu’une heure par semaine dans les sections Sciences et Economique. Auparavant, ces sections avaient au moins 4h de français, 2h d’anglais… « Donc les élèves n’ont quasiment rien comme bagage dans les langues. »

Ce directeur estime donc que les lauréats d’aujourd’hui ne seront pas capables de composer une lettre ou de s’exprimer en français, en anglais ou même en bon kirundi. « Alors que dans le temps, les lauréats des sciences pouvaient bien tenir une conversation en français et en anglais».

Un avenir hypothéqué…

Au Lycée du Saint esprit, la section Langues n’est pas en reste. Les classes de 2e et 3e post-fondamental ne comptent que 8 élèves, chacune. La 1ère post-fondamentale compte 17 élèves. 33 au total pour toute la section contre une soixantaine pour les autres sections.

« C’est le moment d’étudier les langues par contre. Dans les 10-15 ans à venir, le pays aura besoin de gens qui s’expriment très bien en français et en anglais. Mais il n’en trouvera pas », déplore le préfet des études de ce lycée, Abbé Jean Claude Havyarimana. Car la nouvelle génération est en train de délaisser les langues, partout dans le pays. Dans les sciences, observe-t-il également, il est rare de trouver des élèves qui peuvent s’exprimer correctement dans ces langues, surtout à l’intérieur du pays.

Il pointe du doigt l’Etat qui a dévalorisé la section Langues. Auparavant, un lauréat des lettres pouvait facilement embrasser des facultés scientifiques, comme la médecine. « Et je comprends les élèves qui ne veulent plus étudier les langues. Ils sont très limités dans le choix des facultés universitaires».


La réforme fondamentale, un « drame national »

Un système éducatif « moribond », des futurs lauréats qui ne sauront pas communiquer, s’exprimer… Eclairage d’un expert en éducation, Libérat Ntibashirakandi.

« D’une façon globale, la réforme fondamentale est en soi un fiasco. C’est dramatique pour le pays. Le gouvernement a foncé sans tenir compte de l’avis des experts ni des principes pédagogiques. 7 ans après, ce n’est pas étonnant que les élèves continuent d’en faire les frais », observe Libérat Ntibashirakandi, expert en éducation.
D’après lui, tout système éducatif doit définir clairement le profil du produit fini. C’est-à-dire qu’à la sortie des humanités, l’Etat doit être capable de définir quels sont les compétences de tel élève. Qu’est-ce qu’il est capable de faire ?

Dans le temps, explique ce professeur à l’Université Libre de Bruxelles, un lauréat des humanités générales était capable de s’exprimer correctement en français, en anglais et en kirundi. « Car le lauréat des humanités générales, comme son nom l’indique, avait une culture générale». Il pouvait débattre sur n’importe quel sujet dans le domaine de l’histoire, des sciences, de la philosophie, de la littérature, etc. Il soutient aussi qu’il était capable de poursuivre dans n’importe quel domaine universitaire : « C’était cela le produit fini, dans le temps. Le lauréat des lettres modernes pouvait faire la médecine, les sciences économiques, etc. »

Aujourd’hui, cette réforme est un fiasco total, assure cet expert. Le lauréat des humanités est incapable de s’exprimer correctement dans n’importe quelle langue.

Or, dans la vie courante, la communication est une chose fondamentale et incontournable. Et d’enfoncer le clou : « Si tu ne sais pas communiquer, tu es d’une certaine manière rejeté par la société. Tu es incapable d’occuper des fonctions de responsabilité. Tu es incapable de négocier, si tu te lances dans le domaine du commerce. Communiquer, c’est maîtriser une langue. »

Les exemples sont autour de nous, selon cet expert en éducation. Et de conclure : « Il suffit d’écouter comment les autorités s’expriment en français, pire en anglais. »
Légende :
Libérat Ntibashirakandi : « La réforme fondamentale est un fiasco. »

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