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Politique

Justice transitionnelle : polémique autour de la gestion des mémoires blessées

25/10/2019 Commentaires fermés sur Justice transitionnelle : polémique autour de la gestion des mémoires blessées
Justice transitionnelle : polémique autour de la gestion des mémoires blessées
Térence Mushano : « La gestion des mémoires devrait être animée par un esprit de réconciliation.»

Les politiques et les activistes de la société civile ne s’accordent pas sur la gestion des mémoires blessées. Pour certains, la gestion se fait d’une façon disparate et ne permet pas une vraie réconciliation des Burundais. Pour d’autres, seule la justice pansera les blessures.

« La gestion des mémoires devrait être animée par un esprit de réconciliation », estime Térence Mushano, vice-président d’AC-Cirimoso. Il peut y avoir réconciliation entre les bourreaux et les survivants.
Mais cela ne peut se réaliser que si on laisse la justice travailler. Et de préciser : « Il faut donner la priorité à une justice impartiale et indépendante », avant de marteler : « Il faut éviter la politique du deux poids deux mesures.»

Cet activiste des droits de l’homme reconnaît que les victimes et les survivants ont le droit de vivre le devoir de mémoire. Il faut rendre hommage aux victimes et éviter le négationnisme et mettre en avant le respect des morts.

Néanmoins, fait-il observer, les événements douloureux se sont passés à des dates différentes. Les gens ne sont pas morts à la même date. Et de conclure que chaque événement doit être commémoré à sa date d’anniversaire.

La justice et la vérité sont des préalables

Serges Nsabimana, représentant légal du Centre des droits de l’Homme, n’est pas du même avis : « La gestion des mémoires n’est pas faite d’une façon disparate.» Pour lui, la question la plus importante est de permettre aux victimes de faire le droit de mémoire. Il fait observer que la gestion des mémoires n’a pas été faite dans le passé. Les gouvernements d’alors n’ont pas pris cette responsabilité.

Par ailleurs, Serges Nsabimana fait savoir que le Burundi traîne une histoire blessée. Les victimes et leurs proches doivent commémorer. Seulement, fait-il remarquer, il faut éviter le désordre. Et une compréhension commune des événements s’impose. Pour lui, une bonne voie a été déjà tracée avec le travail de la CVR. M. Nsabimana estime qu’il doit y avoir un préalable : « Il faut d’abord établir la vérité sur ce qui s’est passé », avant de marteler: « Des enquêtes doivent être menées pour connaître les bourreaux car il y a des bourreaux qui se font passer pour des victimes.»

François Xavier Nsabimana, coordinateur du Collectif des rescapés et victimes de 1972, estime que la gestion des mémoires dépend des événements qui ont blessé telle ou telle personne. Chacun doit être libre dans la gestion de sa mémoire d’autant plus que les événements qui ont causé les blessures ne sont pas nécessairement les mêmes. « La commémoration est un droit inaliénable pour toute victime. C’est un devoir pour celui qui a perdu le sien ».

Pour lui, une bonne gestion des mémoires blessées requiert plusieurs préalables. De prime à bord, la reconnaissance de la blessure de tout un chacun. La commémoration doit être un lieu de rassemblement non seulement pour les victimes, mais aussi pour les amis des victimes. « La commémoration d’un événement douloureux devrait rassembler tout le monde ». Par ailleurs, le silence doit être brisé sur les événements qui ont causé ces blessures. La vérité d’abord, rien que la vérité.
«En l’absence de cette vérité, il y aura toujours des divergences au niveau de l’interprétation de tel ou tel triste événement ». S’il y a convergence, il sera facile de gérer les victimes, même les victimes et les bourreaux ensemble.

En outre, il suggère aux bourreaux de demander pardon. Le pardon soulage et rassure les victimes. Mais aussi il faut que les victimes parviennent à pardonner à leurs bourreaux. Ces derniers sont rassurés.

Du côté du parti du prince Louis Rwagasore, le constat est le même. « Les commémorations sont disparates. La gestion des mémoires n’est pas réconciliante », affirme Olivier Nkurunziza, secrétaire général de l’Uprona. Chacun interprète les événements de sa façon. Mais, nuance-t-il, on ne peut pas empêcher les gens de s’incliner devant les leurs qui sont disparus. Pour le secrétaire général du parti du héros de l’indépendance, les discours prononcés au cours des commémorations devraient tenir compte des blessures et des frustrations des uns et des autres.

Il se dit préoccupé par le travail de la CVR : « Nous avons besoin de connaître la vérité pour savoir qui sont les auteurs de ces différentes tragédies. Et la justice doit faire son travail.»

Et de demander au gouvernement burundais et la CVR de donner une orientation quant à une date commune au cours de laquelle les gens puissent s’incliner devant les leurs.

« Le contexte n’est pas favorable »

Léonce Ngendakumana : « L’environnement actuel ne permet pas une gestion des mémoires blessées.»

« La gestion des mémoires s’inscrit dans le cadre de la CVR. Il faut d’abord établir la vérité sur les faits », indique Léonce Ngendakumana, vice-président du Frodebu. Il fustige la mise en place de cette commission. « Elle n’est ni conforme à l’Accord d’Arusha, ni à l’accord qui a été négocié entre le gouvernement du Burundi et les NU, encore moins aux résultats des consultations nationales ». Pour lui, l’environnement actuel ne permet pas une gestion des mémoires blessées. « Comment peut-on s’acquitter de cette tâche avec objectivité, impartialité, neutralité ?» Et de renchérir : « Dans ce contexte, la gestion des mémoires ne peut pas aboutir à la réconciliation des Burundais.»

Le vice-président du parti du héros de la démocratie propose des solutions. Il faut éviter les règlements de compte, et ne pas amnistier les crimes. Il plaide pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha. « Il faut négocier et mettre en place une commission qui soit conforme au prescrit de l’Accord d’Arusha. Ce dernier met en avant la justice, la vérité et la réconciliation ».

CVR

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