Vendredi 11 octobre 2024

#JeSuisIWACU

« Invictus »

JOUR 45

05/12/2019 Commentaires fermés sur JOUR 45. « Invictus »
#JeSuisIWACU

Par Amilcar Ryumeko*

Christine, Agnès, Térence et Egide,

Voilà près de 2 mois se sont écoulés depuis votre arbitraire arrestation par les autorités burundaises. Il y a quelques jours, j’ai essayé de faire appel à mon imaginaire pour avoir une idée sur les conditions de votre détention. Un intime ami, un de vos collègues journaliste en exil, m’a fait comprendre qu’aucun imaginaire ne peut être représentatif des conditions carcérales au Burundi, encore moins pour un parent n’ayant pas eu le temps de faire des adieux à sa progéniture avant l’incarcération. Cela m’a rendu triste et mon cœur a été envahi par l’amertume.

Amilcar Ryumeko

Cependant, je me suis rappelé de ce mot d’ordre de notre Mutama : Quoiqu’il advienne, « Rester debout ». La tristesse a tout de suite laissé place à l’espoir, car vous êtes le symbole d’une partie de la multiple résistance tranquille qui s’est enclenchée depuis l’indépendance de notre cher Burundi, pour une société libre et démocratique. En effet, vous représentez cette lumière, cette lueur d’espoir qui permet inconsciemment aux autres de continuer cette lutte malgré tous les obstacles sur le chemin.

La lutte pour une société libre et démocratique est perpétuelle, car il y aura toujours ceux qui s’opposeront avec véhémence à tout changement structurel menant à la mise ne place des droits et libertés, incluant la liberté de la presse. En effet, votre cas me rappelle la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en particulier l’article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En 2019, la mise en place effective de cet article, est toujours d’actualité au Burundi. Même si cette lutte comporte des hauts et des bas, soyez sans crainte, rassurez-vous, votre contribution ne sera pas vaine. Comme disais Georges Jacques Danton, « (…) nous confions au monde la mission de bâtir l’avenir sur l’espoir que nous avons fait naître. C’est plus qu’une victoire dans une bataille, plus que les épées, les canons et toutes les cavaleries de l’Europe. Et cette inspiration, ce souffle pour tous les hommes, partout, en tout lieu, cet appétit, cette soif de liberté, jamais rien ni personne ne pourra l’étouffer. Nos vies n’auront pas été inutiles. Nos vies n’auront pas été vécues en vain. »

Christine, Agnès, Térence et Egide, je termine en vous dédiant « Invictus », ce poème de William Ernest Henley qui a permis à Nelson Mandela de continuer sa résistance du fond de sa cellule à Robben Island.

Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.

In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.

Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.

It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate,
I am the captain of my soul.

*Amilcar Ryumeko est détenteur d’un Baccalauréat en Études politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke, d’un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en administration internationale ainsi que d’une Maîtrise en administration publique de l’École nationale d’administration publique de Montréal. Il est chargé de projet au Ministère des Transports du Québec, membre du comité des droits humains ainsi que du Conseil d’administration du Musée de l’Holocauste de Montréal.

Le mardi 22 octobre, vers midi, une équipe du journal Iwacu dépêchée pour couvrir des affrontements dans la région de Bubanza est arrêtée. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza voient leur matériel et leurs téléphones portables saisis. Ils passeront une première nuit au cachot, jusqu'au samedi 26 octobre. Jusqu'alors, aucune charge n'était retenue contre eux. Mais le couperet est tombé : "complicité d'atteinte à la sécurité de l'Etat". Depuis l'arrestation de notre équipe, plusieurs organisations internationales ont réclamé leur libération. Ces quatre journalistes et leur chauffeur n'ont rien fait de plus que remplir leur mission d'informer. Des lecteurs et amis d'Iwacu ont lancé une pétition, réclamant également leur libération. Suite à une décision de la Cour d'appel de Bubanza, notre chauffeur Adolphe a retrouvé sa liberté. Ces événements nous rappellent une autre période sombre d'Iwacu, celle de la disparition de Jean Bigirimana, dont vous pouvez suivre ici le déroulement du dossier, qui a, lui aussi, profondément affecté notre rédaction.