Mardi 19 mars 2024

Société

Gasenyi-Nyakabondo : Entre crainte et espoir

26/01/2022 5
Gasenyi-Nyakabondo : Entre crainte et espoir
La carte du site que l’Etat a déclaré d’utilité publique.

Les habitants de la colline Gasenyi-Nyakabondo, occupant les 160 hectares se trouvant dans les alentours du bâtiment-Kwa Ntare Rushatsi, vivent la peur dans le ventre depuis l’annonce de leur expulsion. Récemment, leurs représentants ont été accueillis par des conseillers du président Evariste Ndayishimiye. Ils attendent, non sans appréhensions, la décision du numéro un burundais.

La lettre du chef de cabinet civil du président de la République, Commissaire de police chef Gabriel Nizigama, envoyée au ministre des Infrastructures, de l’Equipement et des Logements Sociaux et à celui en charge de l’Environnement, a fait l’effet d’une bombe. « Instruire vos services techniques habilités de cartographier le site déclaré zone d’utilité publique par le Décret N° 100/ 128 du 23 juin 2016 et proposer le plan de lotissement du site (disposition des maisons appropriées à y construire : le Palais résidentiel ; les maisons à construire par l’Etat où les fonctionnaires peuvent occuper suivant leurs rangs, les maisons administratives et les infrastructures connexes)», peut-on lire.

Il ajoute : « En plus, vérifier minutieusement les cas d’indemnisation d’une partie de la population sur 160 ha mentionnés dans les rapports produits antérieurement par le Ministère ayant l’Environnement dans ses attributions pour éviter le double comptage. »

Ledit décret portant déclaration provisoire d’utilité publique de la zone destinée à accueillir les infrastructures des services de la Présidence de la République déclare « provisoirement d’utilité publique le site de Gasenyi situe dans la Commune Mutimbuzi de la Province Bujumbura. (…) Le site sera aménagé et viabilisé en vue d’y installer les bâtiments de souveraineté dont la Présidence de la République et les infrastructures connexes».

« Où sont nos indemnités ?»

Emmanuel Niyongabo : « Aucune autorité ne nous a contactés afin de discuter sur cette indemnité ainsi que les autres modalités d’expropriation. »

Le premier décret portant déclaration provisoire d’utilité publique de la zone destinée à accueillir les infrastructures des services de la présidence de la République est sorti en 2009 et concernait 500 hectares. En 2016, il y a eu un nouveau décret et cette fois-ci, le gouvernement a revu ses ambitions en baisse en prenant 200 ha. « A cette époque, le gouvernement a donné des indemnités à ceux qui vivent dans le périmètre de 40 ha. Les habitants qui vivent dans les 160 ha n’ont pas été informés de quoi que ce soit », raconte Emmanuel Niyongabo, un des représentants de ces habitants.

En 2017, une lettre du ministre en charge de l’Aménagement du territoire est tombée. « Le ministre nous a sommés de déguerpir dans les plus brefs délais. Le hic est qu’on disait de partir alors qu’on n’a pas encore reçu les indemnités d’expropriation. De plus, aucune autorité ne nous a contactés afin de discuter sur cette indemnité ainsi que les autres modalités d’expropriation».

Selon Emmanuel Niyongabo, ils ont rédigé plusieurs correspondances au chef de l’Etat, aux parlementaires élus dans leur circonscription, au ministre en charge de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme mais ils n’ont jamais reçu de réponse. « On ne sait pas si ces autorités n’ont jamais reçu ces lettres ou s’ils ont ignoré exprès nos correspondances. On n’en sait rien».

Lors de la dernière émission publique du président de la République, poursuit-il, la question a été posée. « Sa réponse nous a poussé à nous poser des questions : ‘’Est-ce que cette commission mise en place a-t-elle dressé une liste de tous les propriétaires ? Quand a-t-elle commencé ses travaux ? En tout cas, nous ne l’avions jamais vue’’.»

Selon M. Niyongabo, cela a coïncidé avec la lettre du chef de cabinet civil du président de la République. « Cela nous a mis la puce à l’oreille. Nous nous sommes demandé si ce genre de travaux peut se faire sans consulter les propriétaires ? Sans avoir eu nos indemnités d’expropriation ? Normalement, ces travaux dont parle le Chef de cabinet civil se font quand les propriétaires ont déjà eu leurs indemnités».

D’après ce représentant, c’est pourquoi ils ont écrit, le 26 décembre 2021, une correspondance au chef de l’Etat pour manifester leur stupéfaction. « Nous lui avons montré les fautes qui ont été commises avec le décret de 2016. Ça n’a pas respecté le Code foncier du Burundi».

Ces habitants citent l’article 412 du Code foncier qui stipule : « (…), seul le terrain nécessaire aux infrastructures d’utilité publique et leurs dépendances peut faire l’objet d’expropriation. » D’après eux, les maisons ne sont pas incluses. Ils évoquent l’article 413 : « La mutation résultant de l’expropriation ne peut être effectuée qu’au vu de la décision de justice ou de l’acte constatant l’accord des parties, après paiement de l’indemnité de l’expropriation. » Ils assurent qu’il n’y a jamais eu d’accord entre les deux parties et à cause de cela, l’indemnisation est impossible.

Selon ces habitants, la procédure d’expropriation, à l’article 417, prévoit des étapes : dépôt du projet, déclaration provisoire d’utilité publique, rapport d’enquête, avis de la commission foncière, décret ou ordonnance d’expropriation. « Le décret n’a pas été précédé par ces différentes étapes prévues par la loi ou ces dernières n’ont pas été rendues publiques », commente un des représentants de ces propriétaires.

Les propriétaires évoquent également l’article 433 : « L’indemnité d’expropriation doit être fondée sur la valeur du bien exproprié appréciée à la date du jugement. Elle doit être acquittée avant l’enregistrement de la mutation et au plus tard dans les quatre mois suivant l’accord amiable des parties ou la signification du jugement irrévocable y relatif. Passé ce délai, l’exproprié peut demander à l’autorité expropriante ou à la juridiction compétente l’annulation de l’expropriation, avec dommages-intérêts s’il y a lieu. » Pour ces habitants, le décret de 2016 ne regarde plus les 160 ha au regard des années écoulées. « L’Etat a pris ce dont il avait besoin à savoir les 40 ha dont il a payé les indemnisations d’expropriation. La lettre du Chef de cabinet civil indique que l’Etat va construire des maisons que les fonctionnaires peuvent occuper suivant leurs rangs, ce n’est plus de l’utilité publique. Il parle également des cas d’indemnisation d’une partie de la population sur 160 ha mentionnés. Et pourtant personne n’a été indemnisé».
Ces habitants trouvent que le délai du décret de 2016 sur les 160 ha a déjà expiré. « Si l’Etat a besoin de cet espace, il faut une nouvelle procédure sinon ça serait une injustice».

Le 11 avril 2017, un bulldozer en train de détruire une maison à Gasenyi dans le périmètre de 40 ha.

D’après ces habitants, le coût des indemnités pose également problème. Selon un juriste, l’Ordonnance ministérielle de 2011 applique des tarifs de 2008. Du coup, le calcul de l’indemnité se fait au moyen d’un texte dépassé. Des tarifs ne correspondent pas au prix du marché. « Pour les gens de Gasenyi qui sont dans une zone périurbaine, on parle de 2500 BIF par mètre carré. On va donc donner 250 mille BIF à un are alors qu’on sait qu’il coûte approximativement 1 million».

Emmanuel Niyongabo fait savoir qu’ils ont demandé au président de la République d’abroger le décret de 2016 parce qu’il est contraire à la loi. « Nous avons proposé, si c’est possible, d’opérer la viabilisation par intégration c’est-à-dire que chaque propriétaire va donner une partie de sa parcelle pour remplacer l’argent de la viabilisation. Du coup, il reste avec une propriété où il va vivre car c’est difficile aujourd’hui de trouver une parcelle».

La rencontre avec les conseillers et questionnements

Emmanuel Niyongabo indique qu’ils ont été contactés, la semaine dernière, par les conseillers du président de la République. « Nous leur avons fait part de nos appréhensions et nos souhaits. S’ils veulent nous expulser, nous voulons des parcelles et des indemnités pour ce que nous possédons sur nos propriétés. C’est impossible de construire avec les indemnités d’expropriation. C’est une misère».

Ces représentants de ces habitants assurent que leurs inquiétudes se sont apaisées après la rencontre avec les conseillers du numéro un burundais : « La discussion était franche. Ils nous ont dit qu’ils vont soumettre nos doléances au Chef de l’Etat et qu’il va nous donner une réponse dans au moins 2 mois. Nous attendons la réponse que nous espérons positive.»

Toutefois, des questionnements subsistent chez certains habitants occupant ce périmètre. « Vu la superficie de ce site et ce que le gouvernement prévoit d’y construire, on se pose beaucoup de questions : ‘’Est-ce que les ministres vont vivre à Gasenyi et leurs bureaux à Gitega vu que c’est désormais la capitale politique ? Comment vont-ils alors exercer leurs fonctions ?’’», relève un habitant concerné par cette décision. Pour lui, il y a anguille sous roche. « Cette superficie est trop grande. On ne voit pas quel genre d’infrastructures on veut y ériger. Nous aussi on ne voit pas où nous irons », renchérit un autre habitant.

D’après ces habitants, des doutes ne manquent pas. « On se demande s’il n’y a pas de hauts dignitaires qui veulent s’emparer de nos propriétés ? Cela serait insensé car on ne peut pas déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul. Est-ce que certains pensent qu’ils ont le mérite de vivre là-bas plus que les autres ? Ce sont ces questions qu’on se pose avant la réponse du président de la République », confie P.N., un autre habitant de cette localité.

Selon Emmanuel Niyongabo, plus de 2700 familles vivent sur ce site. « Trouver où vivre sera difficile. Les terres domaniales qui se trouvent aux environs de la mairie de Bujumbura ne sont pas très nombreuses. On ne peut pas nous reloger à l’intérieur du pays alors que nous travaillons à Bujumbura. Nous avons espoir que le président va trouver une solution idoine d’autant plus qu’il a dit qu’il ne veut pas qu’il y ait des procès entre l’Etat et les citoyens».

D’ailleurs, ces habitants n’excluent pas l’option de porter ce dossier devant les juridictions si la réponse ne les convainc pas. En ce cas, insistent-ils, il n’y aurait pas une autre solution. « Nous comptons aussi demander un dédommagement pour le préjudice causé durant ces années».

Un manque à gagner énorme

« Depuis 2016, nous avons beaucoup perdu. Nous n’avons pas le droit de construire, de vendre ni d’acheter une parcelle dans ce périmètre. Nous vivons comme des gens qu’on héberge, comme des réfugiés dans notre propre pays. Lorsque tu vis quelque part et que tu ne peux pas y exercer une activité de développement, tu marches dans ce cas à reculons », relève un habitant. « Par exemple, les natifs de cette localité ne peuvent pas marier leurs fils parce qu’il est interdit d’y construire quoi que ce soit. Et pourtant, nous avons des parcelles à donner à nos fils pour qu’ils puissent fonder leurs foyers. Nous avons même des parcelles à vendre afin de subvenir à quelques besoins familiaux. Ça fait trop mal », se lamente S.B., un natif.

De plus, soulignent les habitants, certains avaient des maisons sur ce site depuis longtemps mais qui ont été endommagées par les pluies. « A cause de la décision du gouvernement, ils ne peuvent pas les réhabiliter. On se demande comment l’Etat va les rétablir dans leurs droits alors que le décompte n’a pas été fait bien avant ? » De surcroît, ces habitants indiquent qu’ils ne peuvent même pas réhabiliter les voies de communication. Et de conclure : « Certains d’entre nous ont contracté des crédits bancaires. Ils continuent de rembourser alors qu’ils n’ont pas pu terminer leurs chantiers faute d’avoir le droit de continuer. Nous souffrons énormément !»

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Jean

    Le Décret 2016 est caduc et Reta Mvyeyi ne pourrait pas faire cela à ses citoyens. Ntaho twoba tuja ntaho twoba tuva. Ce serait 72 en 2022!!!

  2. Musemakweri

    Et puis tout se fait à l’envers au pays de Mwezi Gisabo.
    A Kanyosha, les couts de viabilisation ont été payés par une portion des parcelles. C’était honnete, humain et juste.
    Mais un intouchable ministre ou Général peut décider d’appliquer une autre loi à Kajaga, Gasenyi ou Gikungu.
    Oui ou non, sommes nous dans un Etat de droit?
    Appliquons laloi, et rien que la la loi.

    Un Etat de droit protege tout le monde. Petit ou Grand.
    Le Journal Iwacu l’a dit en mettant évidement des gants (en mentionnant d’autres cas d’espece).

  3. Jereve

    Je veux parler de deux principes: Un, le palais présidentiel et les infrastructures connexes ne doivent pas être construits sur les lamentations, pleurs et grincements de dents des ex-occupants des lieux, expulsés manu militari. C’est une affaire à régler en toute honnêteté, légalité et transparence à la satisfaction de tous comme il sied à un Etat Mvyei. Procéder autrement risque de nous attirer des malédictions. Deux, tout ou parties de ce terrain déclaré d’utilité publique ne doivent en aucune façon être cédés ou vendus à des particuliers ou privés, la logique veut qu’on ne peut pas expulser des particuliers pour implanter d’autres particuliers sur les terrains d’utilité publique. On peut bien sûr y ériger des logements pour les fonctionnaires, ces derniers peuvent occuper (résidence de fonction) ou louer ces habitations mais ne peuvent en aucun prétendre s’en approprier. Car dans le futur, il viendra d’autres gouvernements et d’autres fonctionnaires qui occuperont ces mêmes lieux et les quitteront pour céder la place aux autres…

  4. Samandari

    Cela sent la corruption à 10 km.
    Ces pauvres citoyens de l’Etat Mvyeyi et Nkozi ont droit à leurs lopins de terre.
    A Gasenyi, le cout d’un lopin de terres avoisinne 6 millions par are.
    Laissez à ces misérables leurs lopins de terre. Ils ne possëdent que cela. Ne déshabillez pas Saint Pierre pour habiller Saint Paul.
    A la fin , ë qui va t on donner ces 140 ha?
    Réponse simple: Aux grands qui dirigent maintenant le Burundi.
    Ils n’ont pas besoin de cet aumone. Eux peuvent acheter ces parcelles au prix du marché.
    Note de l’Editeur: Transparency International a sorti son rapport hier. Regardez notre position.
    Cela prouve que nos dirigeants ne meurent pas de faim. Fin de citation

  5. Gito

    Les ministres et nos « Bihangange » ne doivent pas habiter à cóté de la présidence. Ils ont des salaires astronomiques et plein d’indemnités (Je j’ose pas parler de dessous, Notre classement indigne de pays le plus corrompu du monde , le dit sans ambagages).
    Chasser de pauvres gens et leur donner des indemnités de misère est incomprehensible muri Leta Nkozi….
    Nos dirigeants sont à mesure d’acheter ces parcelles à leur valeur réelle.
    Et puis , une question à $10 000, que nous sachions la Capitale politique n’est elle pas à Gitega?
    Alors à quoi serviront ces 160 ha?

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