Le budget général voté par le Parlement pour l’exercice 2025-2026 diffère de celui promulgué avec un écart de 31,5 milliards FBu. Cette différence a suscité de vives réactions de la part de certains politiques, députés et membres de la société civile. Ils dénoncent une violation des procédures légales d’adoption de la loi budgétaire. Une question revient alors : quel est le rôle du Parlement dans l’élaboration du budget de l’État ?
Lors de la séance plénière du vendredi 2 mai 2025 consacrée à l’analyse du projet de loi de finances pour l’exercice 2025-2026, les députés ont unanimement adopté le texte présenté par le ministre ayant les finances dans ses attributions. Les chiffres communiqués faisaient état des dépenses budgétaires s’élevant à 5 227,06 milliards de francs burundais, avec un déficit de 436,95 milliards BIF les recettes étant estimées à 4 790,11 milliards BIF.
Pourtant, une fois promulguée, la loi budgétaire affiche des dépenses totales de 5 258,6 milliards BIF, soit une augmentation de 31,5 milliards BIF par rapport au texte voté par les deux chambres du Parlement. Cette différence, non expliquée de manière transparente, suscite des interrogations légitimes.
Le compte officiel du Sénat, dans une publication du 7 mai, a rappelé que « les dépenses totales de l’État passent de 4 732,39 milliards BIF du budget révisé 2024-2025 à 5 227,06 milliards BIF pour l’exercice 2025-2026, soit un accroissement de 10,5 % ». Or, la loi promulguée dépasse ce montant avec 31 milliards de plus.
Un député, sous couvert d’anonymat, s’interroge sur la régularité de cette situation. « S’il y a un ajout de plus de 31 milliards de francs burundais qui a été fait après le vote, cela constitue une violation flagrante de la loi. Car, comme toute autre loi, c’est le Parlement qui est habilité à voter le budget. Qui a donc examiné et approuvé cette nouvelle version comportant ces 31 milliards supplémentaires ? »
Un processus biaisé dès le départ
Le malaise est d’autant plus profond que les députés déplorent un manque de temps et de moyens pour analyser convenablement le projet de loi budgétaire. Selon l’un d’eux, « le principal problème réside dans la manière dont nous sommes appelés à étudier la loi budgétaire. Ce document nous est remis le matin même du jour du vote, à l’exception de quelques membres de la commission des finances. Il est très difficile de décortiquer les différentes rubriques d’un projet de loi aussi volumineux en si peu de temps surtout qu’il est transmis sous format numérique, alors que tous les députés ne maîtrisent pas nécessairement l’outil informatique. »
Cet élu du peuple explique que « le projet de loi compte souvent plus d’un millier de pages. Il est quasi-impossible de le fouiller convenablement dans les délais imposés. Cela empêche de découvrir d’éventuelles irrégularités ou de poser des questions pertinentes là où le contenu semble ambigu. »
Pour les élus, cette manière de procéder porte atteinte au rôle même du Parlement. « Le budget est pourtant un instrument fondamental pour la nation et pour l’économie. Nous ne pouvons pas poser de questions pertinentes que lorsque nous avons eu suffisamment de temps pour consulter le projet de loi et y détecter d’éventuelles incohérences ».
Ce n’est pas la première fois que ce genre d’irrégularité est signalé. L’année précédente, la même situation avait été dénoncée. Le 13 juin 2024, l’Assemblée nationale avait voté le projet de loi de finances pour l’exercice 2024-2025. Les ressources de l’État s’élevaient à 3 941,11 milliards BIF et les dépenses globales à 4 382,98 milliards BIF. Quelques jours plus tard, lors d’une séance plénière tenue le 21 juin 2024, les sénateurs avaient également adopté à l’unanimité ce même projet de loi.
Mais ,une fois la loi promulguée, les chiffres avaient étonnamment changé. Les ressources de l’Etat s’élevaient désormais à 4 626,05 milliards BIF et les dépenses à 5 075,66 milliards BIF. Cette modification de plus de 680 milliards BIF par rapport aux chiffres votés avait suscité une vague de critiques. Nombreux sont ceux qui avaient alors pointé du doigt des changements opérés après le vote du Parlement, sans justification claire.
Interpellé à ce sujet, le ministre des Finances de l’époque, Audace Niyonzima, avait déclaré qu’il n’y avait aucune violation de la loi. « Sur l’article 4, qui est nouveau par rapport au projet initial, il y a des projets financés sur les ressources extérieures qui n’étaient pas identifiés et intégrés dans le budget. Ils sont entrés en ressources et en dépenses. Il est compréhensible alors que le budget augmente », avait-il tenté d’expliquer.
Iwacu a essayé́ de contacter le porte-parole du président de la République et le ministre de tutelle en vain.
Réactions
Gaspard Kobako : « Quel est le rôle du Parlement finalement ? »
Face aux modifications apportées au budget général de l’État après son adoption par le Parlement, Gaspard Kobako, président du parti Alliance nationale pour la Démocratie, AND-Intadohoka réagit avec inquiétude. Il souligne que ces changements mettent en doute le fonctionnement normal des institutions ainsi que la transparence budgétaire.
Pour Kobako, le processus budgétaire est bien défini. « Il existe normalement un cycle de préparation pour le budget général de l’État. Si maintenant les choses ont changé, je l’ignore. Toutefois, il y a lieu de se poser pas mal de questions. Pourquoi faire passer un projet de loi budgétaire au Conseil des ministres, le faire passer par ce cheminement (le Parlement) pour qu’il y retourne, au travers des services techniques de la présidence de la République ? » Il estime que si le gouvernement modifie ce qui a été voté, il s’agit d’un processus qui « devrait être assumé directement » plutôt que d’être dissimulé.
Le président de l’AND va plus loin. « À quoi bon faire passer au Parlement un projet de loi quel qu’il soit si on ne tient pas compte de ses propositions ? Quel est le rôle du Parlement finalement? Est-ce que la loi qui régit les deux chambres aurait changé ? »
Il déplore un flou qui entoure ces modifications, appelant à plus de responsabilité de la part de ceux qui les ont opérées. « Il est très difficile de comprendre ce qui s’est passé entre le vote et la promulgation du budget général de l’État. Ce qui suscite de nombreuses interrogations dont les réponses ne sauraient être fournies que par l’autorité qui en a pris la décision. »
Au-delà de la procédure, Kobako critique une atteinte directe à la mission de contrôle du Parlement. « Cette façon de procéder met en doute le rôle de contrôle du Parlement de l’action gouvernementale, notamment dans l’élaboration du budget général de l’État. En d’autres termes : qui fait quoi, quand, comment et pourquoi ? »
Il voit dans cette situation une violation grave des principes de gouvernance démocratique. « Il est absolument vrai que cette modification de la loi budgétaire, c’est-à-dire de la vision traduite en chiffres, sans explication publique, constitue une entorse aux principes de transparence et de redevabilité budgétaire. Qui plus est, le Parlement court le risque d’être un organe croupion que de celui d’accomplir sa mission : celle de contrôler le gouvernement étant entendu qu’il est l’alpha et l’oméga dans toute prise de décision. »
Le président de l’AND s’inquiète de la composition actuelle de l’Assemblée nationale. « Aujourd’hui que le Parlement est monocolore, la situation pourra se compliquer davantage en assurant une simple formalité dans ses délibérations. Il ne serait donc pas en train de représenter ni ses électeurs ni ceux qui ne les ont pas élus, si peu soient-ils, au travers de son mandat qui ne devrait pas être impératif mais national. Leur confiance risque de s’ébranler. »
Olivier Nkurunziza : « Si le budget promulgué ne coïncide pas avec le budget voté, c’est une tricherie punissable par la loi. »
Pour Olivier Nkurunziza, président du parti Uprona, il est très étonnant que le budget voté par les deux chambres du Parlement soit différent de celui promulgué par l’exécutif. « Si le budget promulgué ne coïncide pas avec le budget voté, c’est une tricherie punissable par la loi. Par exemple, cela montre qu’au Burundi, effectivement, les organes comme l’Assemblée nationale et le Sénat sont toujours contrôlés par l’Exécutif, et ce dernier peut faire ce qu’il veut. »
Il considère que tout budget utilisé par le pays, qu’il soit au Burundi ou ailleurs, doit être adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat. Quand on a besoin de changer, même s’il s’agit d’un seul franc, quelle que soit une dépense oubliée, dit-il, le projet de loi doit retourner et suivre la même procédure.
Il rappelle que la plénière peut aussi voter un budget supplémentaire ou attendre le moment de la révision budgétaire. « On ne peut pas promulguer une loi qui est à l’encontre de ce que l’Assemblée nationale et le Sénat ont fait. Malheureusement, ce n’est pas la première fois, c’est devenu une habitude. »
Olivier Nkurunziza dénonce une violation du principe de la transparence budgétaire. Il considère que c’est une voie vers la légalisation de la corruption et le détournement des fonds publics. « Un audit pour éclaircir cette situation est nécessaire. Sinon, vous voyez qu’aujourd’hui, la corruption sera effectivement légalisée par les institutions, par l’exécutif qui devrait la combattre. Nous demandons au président de la République qu’il lutte à chaque fois contre la corruption. Il faut commencer à respecter le principe de la transparence. »
Pour lui, l’ajout de plus de 30 milliards sur le budget voté sans explication ternit l’image du pays et de la superstructure. Il se pose une question sur l’importance d’aller faire voter le budget alors que l’exécutif a le droit de changer tout ce qu’il veut.
Le parti Uprona demande que ces fonds soient bien expliqués. On ne peut pas, dit-il, parachuter 30 milliards sans explication préalable. « On a ajouté ces fonds sur quelle rubrique ? Pour quelle raison? Pourquoi on n’a pas expliqué ça à l’Assemblée? C’est par quelle voie? Les voies et les mécanismes de vote du budget sont connus. »
Olivier Nkurunziza trouve que c’est une façon de dénigrer la population burundaise et le rôle du Parlement qui contrôle l’action gouvernementale. Il invite l’Assemblée nationale et le Sénat à appeler directement le ministre des Finances pour expliquer ce qui s’est passé.
Alexis Nimubona : « Le Burundi présente un mauvais score en matière de transparence budgétaire »
Alexis Nimubona, chargé de la communication au sein de l’Olucome, explique que le budget général de l’exercice 2024-2025 a été majoré après avoir été adopté par l’Assemblée nationale. « Le budget adopté par l’Assemblée nationale était de 5 227 067 558 287 FBu tandis que celui approuvé par le Président de la République était de 5 258 646 427 FBu. On remarque une différence de 31,5 milliards francs, soit un accroissement de 0,6 %. »
En principe, poursuit-il, cela ne se fait pas dans le processus budgétaire, car le Président de la République doit approuver le budget adopté par l’Assemblée nationale sans aucune modification. « Si le gouvernement a besoin de retoucher le budget, il propose une révision budgétaire. Dans ce cas, le ministre ayant les finances dans ses attributions a le devoir d’expliquer aux citoyens en général et aux élus du peuple en particulier ce qui s’est passé et de reprendre le processus budgétaire. »
Le Burundi présente un mauvais score en matière de transparence budgétaire. Actuellement, le Burundi occupe la 106ᵉ place sur 127 pays enquêtés avec un score de 13 points. « Au niveau de l’EAC, le Burundi vient avant le Soudan du Sud. Le budget 2025-2026 n’a pas respecté le processus budgétaire car, les citoyens ainsi que les organisations de la société civile n’ont pas été consultés avant l’adoption et l’approbation de ce budget. »
M. Nimubona appelle le ministre des Finances à expliquer aux citoyens ce qui s’est passé. « Dans le cas contraire, nous recommandons à l’Assemblée nationale d’interpeler le ministre ayant les finances dans ses attributions afin qu’il explique ce qui s’est passé. Par ailleurs, il faut qu’il reprenne le processus budgétaire. »
Kefa Nibizi : « L’Exécutif ne respecte plus le rôle du législatif »
Face à l’écart de plus de 31 milliards de BIF constaté entre le budget voté par le Parlement et celui promulgué par l’Exécutif, Kefa Nibizi, président du parti Codebu, tire une sonnette d’alarme. Il évoque une répétition préoccupante. « Tout d’abord, il faut noter que ça fait la deuxième fois que cela se produit. Lors de l’exercice budgétaire précédent, on a constaté un écart entre le budget voté et celui promulgué. Ce qui est donc révélateur. »
Selon lui, ce décalage est symptomatique d’un déséquilibre institutionnel. « L’Exécutif ne respecte plus le rôle du législatif, parce que du moment que le législatif a voté le projet de loi proposé par le gouvernement, il pouvait soit augmenter le budget, soit le diminuer. Et par après, le chef de l’État n’a qu’à signer. Il n’y a pas de modification profonde, sauf s’il transmet le projet de loi pour une deuxième lecture. »
Kefa Nibizi rappelle que le Parlement représente le peuple. « Ne pas respecter Le vote du Parlement c’est ne respecte en soi la population. Cela donc traduit qu’on n’est plus dans un État de droit. » Il s’inquiète également des conséquences. « C’est plutôt la volonté du décideur qui est mise en avant, au détriment de la volonté du peuple exprimée à travers le Parlement. » Et de conclure : « Nous sommes en route vers le pire, où même les lois votées ne seront pas respectées par l’exécutif. »
Pamphile Malayika : « C’est même une trahison »
Pour le député Pamphile Malayika cette différence constitue une grave entorse aux principes de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs.
« Ce qui s’est passé est une ingérence de l’exécutif dans le rôle du pouvoir législatif. Ça témoigne que la séparation des pouvoirs n’est pas effective et une violation pure et simple de la Constitution. Parce que, légalement parlant, personne d’autre n’a le droit de tripoter ou d’insérer un iota dans un texte ou budget analysé et adopté par les deux chambres. Le Président de la République n’a qu’à signer et promulguer le texte ou le renvoyer pour une seconde lecture au Parlement. »
Pour ce député, l’absence de respect des règles budgétaires mine la démocratie elle-même. « Si la séparation des pouvoirs n’est pas garantie, le contrôle de l’action gouvernementale, qui est la mission primordiale du parlement devient facultatif, et de surcroît le Parlement lui-même perd sa qualité d’œil du peuple. »
Il conclut sans détour : « Cet écart non justifié et non adopté par le Parlement est une violation de la Constitution, de la loi relative aux finances publiques et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Bref, c’est même une trahison. »
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