Lundi 10 novembre 2025

Politique

De Paris à Musenyi : quand les milliards promis rencontrent la réalité des camps

10/11/2025 0
De Paris à Musenyi : quand les milliards promis rencontrent la réalité des camps
Machozi Maombi : « Mon rêve est de pouvoir encore une fois fouler le sol de ma mère patrie »

Une semaine après la Conférence de Paris sur les Grands Lacs, alors que les 1,5 milliard d’euros d’engagements financiers font encore la une, une question demeure : que signifient ces promesses pour ceux qui vivent la crise au quotidien ? Loin des ors du Palais de Chaillot, notre envoyé spécial s’est rendu dans le camp de Musenyi, au sud-est du Burundi, où plus de 20 000 réfugiés congolais attendent que les grandes déclarations se transforment en vivres, en ambulances, en espoir concret de retour. Entre les engagements solennels des chefs d’État et la réalité des tentes surpeuplées, ce reportage dresse le portrait d’une urgence humanitaire qui ne peut plus se satisfaire de solutions à court terme. Une analyse de terrain qui mesure l’écart entre les ambitions affichées le 30 octobre et les besoins criants de populations qui ne veulent plus être des spectateurs de leur propre destin.

Les réfugiés congolais du site de Musenyi, au sud-est du Burundi, saluent les engagements financiers de 1,5 milliard d’euros, dont 900 millions d’euros promis par l’UE à l’issue de la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité des Grands Lacs tenue à Paris le 30 octobre. Axé sur la crise humanitaire à l’est de la RDC, ce sommet était copiloté par le président français et son homologue togolais, médiateur de l’UA dans la crise qui secoue cette région.

Fin de l’automne, dans Paris brillant de mille feux, au Palais de Chaillot se joue peut-être le destin de toute une région en proie aux crises répétitives avec son cortège de malheurs : plus de 6 millions de déplacés internes, dont 1,6 millions enregistrés depuis janvier 2025. Selon des organisations de la société civile, une femme est violée toutes les 4 minutes et un enfant toutes les 30 minutes, 28 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire suite à la guerre à l’est de la RDC, plus de 1,1 million de Congolais réfugiés dans des pays voisins, dont plus de 110 000 au Burundi. Des chiffres rappelés à juste titre par le chef de la diplomatie burundaise, Édouard Bizimana, qui a pris part à cette conférence.

« Ces chiffres sont insoutenables… Ces chiffres ne sont pas des statistiques, ce sont les déchirures d’une humanité blessée, des cris que personne ne veut ignorer. Et derrière les chiffres, il y a des vies, des visages, des familles, des destins suspendus, des femmes et des enfants, premières victimes de cette guerre sans fin. » Des mots forts du président Emmanuel Macron.

« Nous ne pouvons pas demeurer des spectateurs silencieux de la tragédie qui se joue à l’est de la République démocratique du Congo et qui impacte toute la région des Grands Lacs », insistera-t-il.

Ces réfugiés et demandeurs d’asile congolais au Burundi sont sous la protection et l’assistance du HCR. Bien qu’il y en ait en zones urbaines, la plupart sont établis dans 6 camps : Musasa, Kinama dans la province de Butanyerera au nord du Burundi, Kavumu, Bwagiriza et Nyankanda dans la province de Buhumuza à l’est et dans le site de Musenyi dans la province de Burunga au sud-est du Burundi.

Depuis l’offensive de la coalition AFC-M23, que les Nations unies disent soutenue par le Rwanda, ce camp voit déferler des vagues successives de réfugiés. Ce site compte aujourd’hui plus de 20 000 âmes en détresse et ne cesse de s’agrandir suite à l’enlisement du conflit à l’est de la RDC malgré les avancées marquées par le processus de Washington et les initiatives de Doha pour ramener la stabilité dans cette région où les armes peinent à se taire. Des engagements salués par le président français en plus des efforts menés par le Togo à la demande de la présidence angolaise de l’Union africaine, également encouragés.

« La guerre à l’est du Congo interroge notre conscience, non pas là-bas et loin, mais ici et maintenant. Elle engage notre humanité, car c’est aussi là, dans ces terres meurtries, que se joue le respect du droit international, de la dignité humaine, de nos valeurs communes, de la crédibilité », rappellera le chef de l’État Emmanuel Macron.

Du Palais de Chaillot aux tentes de Musenyi

Emmanuel Macron : « La guerre à l’est du Congo interroge notre conscience »

« Quand nous voyons d’autres convois de camions du HCR avec de nouveaux réfugiés à bord, franchir l’entrée de notre camp avec ses tentes à perte de vue », s’indigne le représentant des réfugiés congolais du site de Musenyi, Dieudonné Sumbu, « l’espoir de revoir un jour nos villages s’éloigne. Cela nous fait mal au cœur, parce que nous savons qu’il y a encore de l’insécurité, qu’il y a crépitements d’armes, que les efforts menés dans les grandes capitales du monde sont encore loin de porter leurs fruits ».

Loin des cortèges des délégations venues de plus de 70 États et organismes internationaux, à mille lieues de la grande salle des conférences du Palais de Chaillot avec en arrière-plan, une multitude de drapeaux attachés sur des hampes dorées, cap sur le site de Musenyi. À son entrée, des drapeaux ou emblèmes représentant les organisations humanitaires venues au secours de ces réfugiés congolais venus des deux Kivu.

Pour la petite histoire, même si MSF est de temps en temps sollicité pour intervenir en cas d’épidémie de malaria, de choléra, de rougeole ou d’autres pathologies, cette organisation humanitaire n’est plus présente dans ce site construit sur 60 hectares avec possibilité d’extension.

Initialement prévu pour accueillir 10 000 personnes, ce site qui s’agrandit au gré des soubresauts sécuritaires à l’est de la RDC, compte plus de 20 000 personnes. Depuis avril 2024, fait savoir l’administrateur de ce site, Oscar Niyibizi, le nombre de réfugiés ne cesse d’augmenter, ce qui oblige les nouveaux arrivants à se retrouver hébergés non pas dans des tentes pour ménage mais dans des hangars collectifs non mixtes.

Après Musenyi I, Musenyi II

Une vue du site de Musenyi

Avec les promesses faites à Paris, souligne le représentant de ces réfugiés congolais du site de Musenyi, nous espérons que la quantité de vivres donnée à chaque ménage sera revue à la hausse parce que le retrait de certains partenaires internationaux se fait sentir et affecte notre quotidien, rendant la situation de plus en plus intenable. « Nous tenons à remercier la Première dame du Burundi et Mme Tshisekedi pour leurs aides en vivres, elles sont déjà passées nous voir. Cela soulage les réfugiés parce que les annonces officielles que la ration va diminuer, ne nous rassurent pas. Heureusement qu’il y a ces engagements à subvenir à nos besoins ».

Dans notre camp, se lamente Zawadi Ombeni, une réfugiée qui confie être victime de palu pour la troisième fois depuis son arrivée au camp en avril 2024, « la malaria fait rage, les moustiques pullulent, et pire les médicaments manquent. Pour tout malaise avec une forte fièvre, le dispensaire ne donne que quelques comprimés de paracétamol et il n’y a qu’une seule ambulance, ce qui complique les transferts vers les hôpitaux les plus proches. Avec les campagnes de pulvérisations intra-domiciliaires, menées par MSF, nous espérons que les cas de malaria vont diminuer ».

Avec l’extension du site, avec Musenyi II maintenant et les problèmes sanitaires, note le représentant de ces réfugiés congolais, « il faut plus de vivres et il faut au moins trois ambulances. Une seule ambulance ne suffit pas surtout qu’il faut la partager avec les populations hôtes. Nous avons déjà enterré les nôtres ici : des mamans, des vieux, des enfants, des gens qui ne reverront plus leur chère patrie ».

L’espoir est permis

Zawadi Ombeni : « Dans notre camp, la ration diminue et les cas de maladies augmentent »

Tout ce que nous demandons, appelle Elias Kiza, réfugié congolais à mobilité réduite, « c’est que les dirigeants de la région se mettent autour de la table des négociations pour régler leurs différends afin que nous puissions rentrer chez nous avant que les épidémies, le manque de nourritures et de soins de santé adéquats, ne nous déciment. La situation se dégrade de plus en plus dans notre site. Il faut qu’il y ait la sécurité pour que nous puissions regagner notre pays, pas une accalmie mais une paix durable ».

Même si le chemin reste encore long, murmure Machozi Maombi (littéralement Larmes, Prières. NDLR), réfugiée congolaise arborant un T-shirt à l’effigie du président Tshisekedi, « mon rêve est de revoir mon village, fouler le sol de ma mère patrie ».

« Nous avons vu que ce sont des familles déracinées, des enfants privés d’école, des femmes privées de sécurité. Notre devoir collectif est de répondre à cette urgence, mais aussi de préparer l’avenir », insistera le président togolais Faure Gnassingbé, médiateur de l’UA dans les Grands Lacs.

Au-delà des quelques piques entre les délégations rwandaise et congolaise, – qui ne manquent pas à chaque rencontre, même s’il y a quelques fois main tendue –, au-delà de la polémique née suite à l’évocation de l’établissement des corridors humanitaires, et surtout de la possibilité d’utiliser l’aéroport de Goma pour acheminer l’aide humanitaire, avec un rappel à haute et intelligible voix du chef de la diplomatie rwandaise que «cet aéroport est sous contrôle de la coalition AFC-M23, non invitée à Paris», la Conférence organisée dans la capitale française sur la crise humanitaire à l’est de la RDC a tenu ses promesses.

« Agir vite, ensemble et lucidement pour redonner espoir aux populations de l’est du Congo. Nous devons agir avec humanité pour elles, pour toutes les populations de la région des Grands Lacs, avec courage et avec cette conviction que notre responsabilité collective est engagée. » Des paroles du président français.

Après avoir tourné son regard vers le chef de la diplomatie rwandaise et vers le chef de l’État congolais, assis juste à côté de lui, pour attirer leur attention, le chef de l’État français lancera un appel : « Je veux redire à nos amis congolais et rwandais combien les pas qu’ils font vers les uns et vers les autres sont essentiels, courageux et indispensables. La paix ne peut se construire que dans le dialogue, dans la volonté, dans le courage et l’engagement ».

Aux problèmes africains, des solutions africaines

Faure Gnassingbé : « L’Afrique doit participer à son propre effort humanitaire »

Le président Emmanuel Macron a encouragé la volonté d’appropriation des questions humanitaires par l’Afrique. Un engagement clamé haut et fort par le président du Conseil de la République togolaise : « L’Afrique doit aussi participer à son propre effort humanitaire ».

Selon lui, l’urgence humanitaire appelle désormais à une réponse durable et intégrée et cette réponse doit être africaine. « L’aide humanitaire doit devenir un pont vers le développement. On ne peut pas répondre indéfiniment, au long terme, avec des outils de court terme. Les camps doivent redevenir des villages ».

Pour le président Faure Gnassingbé, les distributions doivent devenir des circuits économiques fonctionnels, les réponses d’urgence doivent enfin ouvrir la voie à la reconstruction, avec des routes et des écoles, une agriculture vivrière et des activités économiques locales.

Selon lui, il faut rendre traçable chaque ressource, intégrer les communautés dans les chaînes légales et faire de la transformation locale une priorité de sécurité. « C’est en rétablissant une économie transparente et légitime que nous couperons les flux qui financent la violence. La paix dans les Grands Lacs ne doit pas être une simple pause dans les combats ».

Le président togolais se dit convaincu que cette stabilité doit permettre une transformation de l’économie extractive, une rupture avec l’exploitation illégale et une véritable réparation pour des populations qui, depuis trop longtemps, paient le prix de la richesse de leurs terres. « Ce que nous avons entendu aujourd’hui confirme une évidence. La crise humanitaire dans les Grands Lacs est un test moral pour le monde et un test politique pour l’Afrique », conclura le médiateur de l’UA dans les Grands Lacs.

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