Vendredi 26 avril 2024

Culture

Au Coin du feu avec la princesse Esther Kamatari

19/09/2020 Commentaires fermés sur Au Coin du feu avec la princesse Esther Kamatari
Au Coin du feu avec la princesse Esther Kamatari

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, la princesse Esther Kamatari.

Votre qualité principale ?  

La détermination

Votre défaut principal ? 

Je n’en ai pas (rires), je pense que c’est les autres qui le disent, pas moi.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’honnêteté

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La bêtise

La femme que vous admirez le plus ?

Rosa Parks, parce que c’est une femme qui était déterminée, qui a tenu tête à l’Amérique entière et grâce à son action au demeurant anodine, elle a fait plier les Etats-Unis d’Amérique.

L’homme que vous admirez le plus ? 

Mandela parce que c’est quelqu’un qui sait pardonner, qui a dit que si on ne pardonne pas on ne peut pas avancer

Votre plus beau souvenir ?

L’Umuganuro. C’était la redistribution des avoirs. J’ai eu le bonheur d’assister au dernier Umuganuro à l’époque de Mwambutsa. Kuganura voulait dire redistribuer, toutes les populations convergeaient à la Cour et les cadeaux remis au roi, il les distribuait aux plus démunis.

Votre plus triste souvenir ?

L’assassinat de mon père Ignace Kamatari, en 1964

Quel serait votre plus grand malheur ?

Ne plus retourner au Burundi, la dernière fois que j’y ai été, c’était à Noël 2010.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La résistance à l’esclavage

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Sûrement le 1er juillet 1962, date de l’Indépendance

La plus terrible ?

Elles sont nombreuses. 1964, c’est l’assassinat de mon père. 1965, c’est l’attaque du palais. 1972, c’est le début des massacres des Hutus. Mais je pense que tout commence à basculer à partir de l’attaque du palais royal en 1965.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

Pilote de chasse. Quelle liberté !

Votre lieu préféré au Burundi ?

Chez moi à Fota, le parfum de mon enfance

Votre devise?

Quoi qu’il arrive !

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le monde. Parce qu’on découvre des tas de choses dans le monde, des cultures différentes, des choses différentes, des couchers et des levers du soleil différents. Je m’inspire du proverbe burundais : « Akanyoni katagurutse ntikamenya iyo bweze »  (L’oiseau qui ne s’envole pas de son nid ne connaît pas où se trouve le bon grain)

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Aller sur la lune parce que c’est loin.

Votre rêve de bonheur ?

Oh là là! Comme tous les Burundais, un jour avoir la possibilité de rentrer chez moi, au Burundi.

Votre plat préféré ?

Ibiharage (haricots). (Rires) C’est très très bon. Je n’en mange pas souvent, il s’agit d’un souvenir d’enfance. Quand j’étais enfant, j’allais kw’ishule (à l’école) comme tout le monde. Les camarades de classe apportaient impamba (des provisions) pour leur déjeuner, la collation était enveloppée dans des amahuba (feuilles de bananiers séchées), c’était des haricots et de la banane de la veille. Moi on m’envoyait à manger depuis le palais, et tous les jours, je cherchais ma « victime » du jour avec qui j’échangeais ma nourriture préparée au palais contre « Ibiharage ». Ainsi, je connaissais la meilleure cuisinière parmi les mamans de mes petits camarades. Je savais ce qu’on mangeait la veille chez mes camarades.

Votre chanson préférée ?

Je n’ai pas une chanson précise, ça dépend de mon humeur, d’où je suis, des gens que j’ai rencontrés, mais actuellement, il y a une chanson à la mode, « Jérusalem ». Mais j’aime infiniment « Ingoma », le tambour pas que burundais, mais le tambour royal.

Votre définition de l’indépendance ?

C’est quand on peut s’exprimer, quand on peut prospérer, mais je ne suis pas sûre qu’on soit encore indépendant aujourd’hui. L’indépendance c’est laisser les gens penser, avoir le droit de s’exprimer, avoir le droit de créer, de circuler, de prospérer, de vivre sans contraintes. Comment est-il possible d’être indépendant lorsque vous devez avoir l’autorisation pour rentrer chez vous. Cette question me fait penser à une histoire incroyable. Quand le Congo a accédé à l’indépendance, le 30 juin 1960, des gens sont partis à l’aéroport, car ils pensaient que l’indépendance allait arriver par avion.

Votre définition de la démocratie ?

La démocratie, ce n’est pas du « prêt-à-porter », mais c’est de la haute culture. Ça dépend de l’environnement culturel. A l’époque royale, les gens apprenaient à gouverner, c’est ce que l’on appelait « Gusasa », ils allaient à la Cour pour apprendre, d’une Cour à une autre,  ils y restaient pendant un certain temps, c’était une école de gouvernance, cette école n’existe plus. Gusasa veut dire « préparer son lit », ils allaient à la cour, ils apprenaient et cette espèce d’école de formation de gouvernance n’existe pas. Nous avons perdu des repères, avant il y avait des Bashingantahe, des gens extrêmement honnêtes, et avant d’être investis, ils bénéficiaient d’une formation, ils étaient préparés. Cela n’existe pas, ils n’ont plus désormais leur prestige, alors qu’ils contribuaient à la consolidation de la démocratie.

Quelle radio écoutez-vous ?

J’écoute toutes les radios qui me donnent des informations, RFI, la Voix d’ Amérique, etc., et au sujet du Burundi, j’écoute Isanganiro, car je l’ai sur la toile.

Quel souvenir gardez-vous du Burundi, pays que vous avez quitté à 19 ans en 1970 ?  

Un pays paisible et pastoral, un pays avec tellement de verdure. Je suis convaincu que le jour où Dieu l’a créé, ça devait être un dimanche, un jour de repos, après avoir créé d’autres pays, il a fini par le Burundi qui s’est éclaté avec le vert. L’autre souvenir que j’ai, sur les collines, à l’époque, quand les enfants voyaient la voiture, ils couraient pour saluer (gupepera), mais aujourd’hui les mêmes enfants quand ils entendent le même bruit, ils fuient.

Vous avez été le premier mannequin noir à défiler en France, quel souvenir gardez-vous de cet événement si marquant ?

J’ai été la pionnière. J’ai ouvert les portes pour les autres. Je suis quelqu’un d’inspirant.

Pouvez-vous expliquer comment vous avez inspiré les autres ?

La princesse Kamatari avec l’ancien président du Mali, pays qui vient de reconnaître juridiquement sa Fondation. (Photo Femme & Pouvoir – Photographe Jean Philippe Lacube)

Tout le temps, je suis la première à ouvrir la voie aux femmes, je suis la première femme qui ose prétendre à la présidence, je suis la première femme à faire l’humanitaire pour le Burundi, on n’est pas obligé d’attendre umuzungu (le blanc). Au sujet de la mode, je suis la première à porter un bustier, je suis la première femme qui s’expatrie pour travailler et créer une Fondation dans un pays qui n’est pas forcément le mien. J’ai eu beaucoup de compliments sauf quelques Burundais qui ont leurs esprits tellement clos.

Si vous étiez président de la République, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je libérerais tous les gens emprisonnés illégalement, je pense aux journalistes d’Iwacu, je pense aux gens emprisonnés sans procès. Aussi s’il y a une chose insupportable, c’est qu’il y ait des enfants qui naissent en prison, quel sera l’avenir de ces enfants ?

Il faudrait aussi une amnistie pour tous les prisonniers, excepté les violeurs, les tueurs, les meurtriers. Devenus libres, ils contribueront au développement du pays, dans la construction des routes…J’aurais le regard sur le développement durable, l’environnement,  l’éducation.

Si vous deveniez ombudsman du Burundi, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je redonnerais aux Bashingantahe la place centrale dans la gestion du pays. En plus, j’influencerais le pouvoir pour qu’il s’ouvre au monde extérieur

Vous avez été beaucoup connue dans le procès sur le sort des restes du roi Mwambutsa dans lequel vous insistiez sur le respect de la mémoire du roi. Est-ce que l’intérêt supérieur du Burundi dont il a incarné l’image pendant un demi-siècle ne devait pas prévaloir sur son testament ?

Absolument pas ! Absolument pas ! Le Burundi a été incapable de prouver un intérêt prépondérant de son objectif. Mwambutsa avait signé un testament dans lequel il disait expressément qu’en aucun cas sa dépouille ne devrait retourner au Burundi ni être emmenée dans un autre pays. La seule chose qu’il faut faire, c’est de respecter les dernières volontés du roi Mwambutsa. Si on veut se souvenir de Mwambutsa, on peut construire un mausolée, baptiser une route de son nom. Il a été complétement oublié, aucune route ne porte le nom de Mwambutsa, rien ne nous rappelle que c’est lui qui a signé l’Indépendance du pays parce que Rwagasore, son fils, était mort, qu’il était chef de l’Etat quand le pays a accédé à l’indépendance, qu’il est parmi les membres fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine au nom du Burundi.

La famille royale dont vous êtes membre a incarné l’unité du pays pendant plusieurs siècles et si le retour des restes du roi Mwambutsa pouvait servir à réconcilier les Burundais, changeriez-vous d’avis ?

Les restes de Mwambutsa ne sont pas une poudre magique avec laquelle l’on va se maquiller ou mettre dans la bière pour que les gens retrouvent la paix. Pourquoi les gens ne se mettent pas à la place des autres ? Mwambutsa a énormément souffert. Par ailleurs, ce dont le Burundi a besoin, ce sont les vivants et surtout le respect de la vie, le respect tout court. On ne construit pas la vie avec des morts, mais avec des vivants.

Pourquoi le roi Mwambutsa a pris cette décision ?

Je n’ai aucune idée, je ne la discute pas, je la respecte tout simplement. J’aurais échoué si on n’avait pas pu faire respecter les dernières volontés du roi.

C’était la seule tentative de rapatriement de la dépouille du roi  depuis sa mort ?

Quand le Mwami est décédé en 1977, c’était le président Bagaza qui dirigeait le Burundi. La Suisse l’en a informé. Il était disposé à rapatrier sa dépouille avec tous les honneurs, mais il s’est heurté au testament du Mwami dans lequel il soulignait expressément qu’il ne voudrait pas en aucun cas que sa dépouille soit rapatriée au Burundi ni emmenée dans un autre pays.

Dès lors, le président Bagaza a respecté scrupuleusement les dernières volontés du roi, le président Buyoya de même. C’est sous la présidence de feu Nkurunziza que l’on a voulu rapatrier la dépouille du Mwami à tout prix.

Imaginez-vous que les Burundais comprennent votre lutte ?

Je pense que beaucoup sont reconnaissants envers moi pour avoir fait respecter les dernières volontés de notre roi, le fait d’avoir résisté pendant autant d’années, ça c’est ma plus grande fierté en plus d’avoir été toujours première, quelqu’un d’inspirant.

Que demandez-vous aux autorités burundaises à l’issue du procès ?

Le gouvernement du Burundi doit me rembourser les frais de justice, d’exhumation et de ré inhumation du Mwami. Car c’est sous la responsabilité du gouvernement que la dépouille a été exhumée.

Malgré le départ des colonisateurs, les Burundais n’ont cessé de s’entretuer, pensez-vous que le vivre-ensemble est encore possible au Burundi ?

J’ai grandi dans un Burundi où tout le monde vivait ensemble. Qu’ils arrêtent de se focaliser sur les ethnies, qu’ils développent le pays, que les Burundais arrêtent de dire qu’ils sont Hutu, Tutsi, etc. Qu’ils privilégient les compétences et non la taille du nez. Que les Burundais se reconnaissent comme Burundais, et peu importe ceux qui dirigent, pourvu qu’ils soient justes dans la prise des décisions. On a l’impression qu’il n’y a pas des Burundais, il y a des Hutus et des Tutsi. On est en droit de se demander si le fait d’être Hutu, ou Tutsi, etc, si ça rapporte de l’argent ? Est-ce monnayable ? Peut-on l’investir ?

Le vivre-ensemble est possible parce que nous l’avons vécu.  Je rêve que les Burundais se reconnaissent comme Burundais, en tant qu’une nation.

Pensez-vous que l’Accord d’Arusha rassemblait tous les Burundais ?

Non ! Les Baganwa n’existaient pas dans cet Accord. Et ce qui est étonnant, on voulait faire revenir le roi alors qu’on ne le reconnaît pas en tant qu’umuganwa, pourquoi tout le monde vénère le Prince Louis Rwagasore qui est un muganwa alors qu’on ne lui donne pas une place en tant qu’umuganwa. Mais personne ne peut nous exclure parce que personne ne nous a créés.

Regrettez-vous que la monarchie ait été abolie au Burundi le 28 novembre 1966 ?

Je ne le regrette pas parce que vivre avec des regrets, c’est une perte de temps extraordinaire. Je préfère me fixer vers le futur que de m’appesantir sur les regrets. Il y a une chose qu’il faut garder toujours en tête, ce n’est pas possible de retourner en arrière.

Si on organisait un référendum pour le rétablissement de la monarchie, vous seriez pour ou contre ?

Je serais pour parce qu’on n’a jamais demandé à la population si elle voulait une République ou une monarchie.

Peu importe celui qui deviendrait roi à l’issue des consultations?

On ne peut pas devenir roi comme ça.

Il faudrait selon vous remettre le pouvoir à la famille qui gérait le pays avant l’abolition de la monarchie ?

Ce serait peut-être juste parce qu’on leur a retiré le pouvoir par un coup de force, et puis on nous a tués, on nous a exilés.

Pensez-vous que le pays serait bien géré dans la monarchie que dans la République ?

Je n’en sais rien, mais il a été bien géré par le passé. Ce qui me gêne, c’est que la République a été imposée, c’est comme les coups d’Etat. On n’a jamais posé la question à la population, pour savoir ce qu’elle voulait.  

 Quels ont été les derniers instants du roi, comment vivait-il? Riche? Pauvre? Déprimé ?

Je lui ai rendu visite quelques mois avant sa mort. Il était très malade, très très amaigri, dans une chambre d’hôpital, il était sous morphine. Mais il restait élégant, ses ongles restaient impeccables, mais il cachait son bras avec sa chemise pour qu’on ne voie pas qu’il était devenu si maigre. Mwambutsa a été très traumatisé par l’attaque du palais qui a déclenché un cancer. Sûrement qu’il était attristé par ce qui s’est passé. On a tué ses deux fils, son frère.

Quelles anecdotes de la cour ?

C’était drôle, tous les soirs, on battait les tambours. C’était le genre de couvre-feu, c’est à travers les tambours que l’on communiquait, pour vous dire par exemple que le lendemain, vous avez l’école.

Ce qui vous a marqué chez le roi Mwambutsa ?

Mwambutsa adorait les enfants, il m’emmenait au cinéma, on quittait le palais dans sa voiture décapotable, pour qu’il soit reconnu par la population contrairement à ce que l’on voit aujourd’hui où les chefs d’Etat sont toujours derrière les rideaux. Et le  »Ciné Burundi » était en face du palais  (A côté de la place de l’indépendance). Je lui demandais de l’argent pour acheter des tickets pour les autres, tous mes copains de Bwiza qui étaient là. Mwambutsa ne remettait pas sa main deux fois dans la poche, il me donnait tout ce qu’il avait. Il regardait le film comme les autres, très humble.

Ce qui vous a marqué chez votre père…

Ignace Kamatari était un grand costaud, j’ai le souvenir qu’il adorait aussi les enfants. Avec mon frère, Louis qui est décédé malheureusement, on faisait de la balançoire sur son bras. J’ai le souvenir aussi qu’un jour il a échangé sa voiture pour une autre. Normalement les voitures officielles sont souvent noires, mais il a choisi une voiture bleue.

Qu’est-ce qui vous manque au Burundi ?

Tout me manque au Burundi, le parfum de chez moi me manque, l’air d’Ijenda, la poussière quand on a quitté le goudron du côté de Mwaro, me manque, Ibikona (les cris des corbeaux) aussi, gutera inkuru (les conversations).

On parle de la tragédie de Baganwa, qu’ils  sont fêtards, adeptes de la bonne vie, (femme & fêtes) est-ce vrai ?

C’est parce qu’on veut les exclure. Il s’agit de la pure méchanceté, tous ces gens qui parlent de cela, ils oublient que le Burundi a été organisé pendant plusieurs années par les Baganwa et les rois. Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Ceux-là pourraient fermer en tout petit peu leurs bouches.

Que pensez-vous du transfert de la capitale politique à Gitega ?

C’est très très bien, l’air y est meilleur, il y a moins de moustiques à Gitega. Je pense que la capitale avait bougé à Bujumbura pour se rapprocher des modalités de pouvoir communiquer avec l’extérieur, l’aéroport et le port.  Mais ça c’est une organisation intérieure qui ne me dérange pas !

Le prince Louis Rwagasore, héros national de l’Indépendance, en même temps votre cousin,  s’il avait dirigé le pays pendant longtemps, pensez-vous qu’il aurait développé le Burundi ?    

La princesse Esther Kamatari avec la Première dame du Rwanda, Jeannette Kagame (Photo Femme & Pouvoir – Photographe Jean Philippe Lacube)

Il aurait développé le Burundi comme Kagame le fait au Rwanda (des routes, des centres de santé, la sécurité, le pays le plus propre d’Afrique). Rwagasore ferait l’unanimité. C’était umuhuza (rassembleur) de tous les Burundais. Pour lui, le Burundi est constitué de Burundais et non de 40% de Tutsi, de 60% Hutu, d’ 1% Mutwa, et de 0% de Baganwa.

Comment expliquer que les femmes soient à la fois nombreuses et moins représentées dans les institutions ?

Les femmes ne votent pas pour les femmes, elles n’ont pas confiance en elles. Cela ne se passe pas qu’au Burundi.

Quel message aux femmes burundaises ? 

Qu’elles organisent le concours Miss Burundi, c’est bien, mais c’est bien surtout qu’elles gardent en tête que le problème auquel elles sont confrontées n’est pas particulier pour un pays. Aussi longtemps que toutes les femmes n’auront pas compris qu’elles doivent se mettre ensemble pour constituer une force face aux hommes, face à l’autre, ce problème va persister. On ne voit pas de petits garçons qui sont épousés par de vieilles femmes comme on voit de vieux messieurs qui épousent de petites filles.  Le monde à l’envers.

Qu’en est-il des jeunes ?

Croyez en vous, en vos rêves, ne vous limitez pas, n’écoutez pas ceux qui vous disent que ce n’est pas possible, la seule chose qui est impossible, c’est quand on est mort. Tant qu’on est en vie, tout est absolument possible. Il ne faut pas écouter les gens qui vous rabaissent il faut prêter oreille à ceux qui vous élèvent. Gardez l’espoir d’y croire quoiqu’il arrive, parce qu’il est impossible de retourner en arrière. C’est l’avenir qui est le plus important et l’avenir de ce pays est dans vos mains.  Qu’est-ce que vous allez léguer à vos enfants ?

Votre souvenir de la campagne électorale de 2005, vous étiez candidate …

C’était très compliqué de battre campagne pour les femmes, un petit exemple : on ne pouvait pas faire pipi alors que les hommes pouvaient se cacher derrière les arbres même quand des gens les regardaient. Dans d’autres pays, ils sont organisés, ils font la campagne et sur place, il y a des toilettes portables. Si je devais refaire campagne, je m’y prendrais autrement. A l’époque, peu de femmes battaient campagne.

Quelle serait la réaction du roi, de votre père, s’ils voyaient le Burundi dans quel état il est ?

Ce serait vraiment catastrophique. Ils seraient extrêmement malheureux. Je n’aurais pas vraiment voulu qu’ils voient le Burundi d’aujourd’hui. Finalement qu’ils se reposent tranquillement, pareil pour Rwagasore, et Ngendandumwe.

Est-ce que vous vous considérez comme une opposante politique ?

Pas du tout, moi je suis une princesse, je ne suis pas une opposante, je ne peux pas être les deux à la fois. Je ne peux pas tout faire. Je suis juste une princesse.

Avez-vous espoir en l’avenir du Burundi ? 

Absolument, j’ai dit que je pense à la vie et non à la mort. Il faut arrêter de penser en terme ethnique, mais plutôt se concentrer pour développer le pays. Il faudrait que les jeunes prennent les responsabilités au sujet de ce qui se passe aujourd’hui pour ne pas les répéter.

En quoi vous continuez d’être utile au Burundi ?

A chaque fois que je me déplace, c’est la promotion du Burundi que je fais. Ça n’a pas l’air, mais, indirectement, je suis peut-être le meilleur ambassadeur du Burundi et de la jeunesse.

Si vous aviez un message à adresser au président de la République, ce serait lequel ?

Monsieur le président de la République, je vous félicite d’abord pour votre élection. Ensuite, nous qui sommes à l’extérieur depuis peut-être même avant votre naissance, nous vous demandons d’ouvrir ce pays, nous sommes une richesse sur laquelle vous pouvez vous appuyer. Pas le contraire. Nous avons des expériences et ne vivons pas dans les marigots. Monsieur le président, je vous souhaite bon vent dans l’exercice de vos fonctions. Un jour il me recevra dans son palais et je lui parlerais de vive voix.

Le racisme en France, comment vous l’avez vécu ?

Le racisme le plus difficile, insupportable est le racisme ordinaire. Ce genre de racisme, c’est quand quelqu’un vous dit « Ah oui, d’où venez-vous ? ». Moi je réponds toujours, « je viens de la porte de Saint Cloud ». Les gens veulent toujours avoir le regard d’où vous venez, l’homme est méchant. Quand on est différent, cette différence est physique, etc., mais moi il m’arrive de la fuir, je suis une princesse du Burundi.

Vous votez à droite ? A gauche?

Je vote, le reste c’est secret. (Rires)

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Oui, sinon nous serions des animaux, il y a des gens vraiment bons.

Pensez-vous à la mort ?

Pas du tout. Pourquoi penserais-je à la mort ? Je n’ai pas du temps pour penser à la mort. Moi je pense à la vie, pas à la mort.

Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous ?

Merci de me recevoir.

Propos recueillis par Egide Nikiza

Bio-express

Le samedi 12 septembre, la princesse Esther Kamatari m’a donné rendez-vous au Restaurant Le Cardinal, situé à Paris dans le très cossu 16e arrondissement, à la porte de Saint Cloud. C’est à deux pas du Parc des Princes, le fameux stade de Paris Saint-Germain pour les amateurs du ballon rond. La princesse Kamatari, 69 ans, est la fille du prince Ignace Kamatari, frère du roi Mwambutsa, le monarque qui a régné sur le Burundi pendant 50 ans, de 1915 jusqu’à 1965. 15 heures, nous arrivons au même moment. Directement, la princesse se dirige vers moi, m’appelle par mon prénom, et me tend la main en me saluant en kirundi « Urakomeye ?» (Tu vas bien ?). La princesse est toute de blanc vêtue, couleur de la paix, la pureté, la sagesse. Elle me dira que c’est sa « signature visuelle ». Dans le restaurant, je suis  frappé par la manière dont tout le monde veut lui parler, avec une certaine vénération. Tous l’appellent par son titre. «Bonjour princesse », lancent plusieurs voix quand elle entre majestueusement. Sa vie nous apprend que rien n’est acquis définitivement sur terre. Après les honneurs au Palais, la princesse Kamatari connaîtra l’exil. Son père, le prince Ignace Kamatari meurt en 1964 dans un « accident » de voiture. Un « assassinat », soutiennent plusieurs sources. En 1966, avec l’abolition de la monarchie la princesse Kamatari fuit le pays. Nous sommes en 1970. La princesse  a 19 ans. La France est son pays d’accueil. Sur place, la grande taille de la princesse du Burundi impressionne, et la propulse dans le monde de l’élégance et de la mode. Elle deviendra le premier mannequin noir à défiler en France. Par la suite, la nièce du Mwami défilera pour les grands couturiers, et parcourra le monde pour les plus grands noms (français) de la haute couture. Mais la princesse Esther Kamatari tient à son pays. Elle sera à l’origine de beaucoup d’initiatives au profit de ses compatriotes. Pendant la guerre civile qui éclate en 1993, elle raconte que le premier avion qui s’est posé sur le tarmac de l’aéroport international de Bujumbura était un cargo envoyé par elle pour les Burundais. « C’était en novembre 1993 alors que quelques jours plutôt, l’aéroport était fermé». Aussi, elle dit avoir fait le tour du Burundi pendant ces moments difficiles pour plaider pour le Burundi. Elle garde un souvenir de ce qu’elle a vu dans les sites des déplacés de guerre. C’est avec fierté que la princesse Kamatari raconte la réussite de certains Burundais, qui étaient des enfants à cette époque et qu’elle a aidés. Adultes,  ils n’ont pas oublié et remercient la princesse. Dans son pays d’accueil, elle sera présidente de l’Association des Burundais de France.  A ce titre, la fille du prince Kamatari indique avoir offert une ambulance à la Croix-Rouge du Burundi. Elle témoigne avoir été la première personne qui a initié les opérations cardiaques au profit des enfants burundais en France : « La première, c’était Emelyne, auprès du professeur Leca, certains sûrement vont s’en souvenir ». La cousine du héros de l’indépendance est aujourd’hui à la tête d’une Fondation qui œuvre pour le développement durable, et l’éradication des plastiques noirs dans la ville de Bamako, au Mali. Première femme candidate à l’élection présidentielle au Burundi (2005), la princesse Kamatari fait savoir qu’elle n’a aucune intention de se représenter encore à la fonction de la magistrature suprême de la République. Elle est mère de trois enfants, tous artistes. Du haut de ses ou 69 ans, elle veut inspirer la jeunesse afin qu’elle tourne la page pour faire du Burundi une nation au vrai sens du terme. Un pays où le vivre-ensemble est possible. Mais la princesse Kamatari souligne que cela ne sera possible que si les Burundais cessent d’être des Hutus, des Tutsis, des Twa pour être simplement des « Burundais. »

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