Mardi 19 mars 2024

Politique

Assemblée nationale: Une reconnaissance au forceps

27/06/2022 , et Commentaires fermés sur Assemblée nationale: Une reconnaissance au forceps
Assemblée nationale: Une reconnaissance au forceps
Les députes du Cnl ont boycotté la séance à l’Assemblée nationale.

Après le boycott de la séance plénière de ce mardi 21 juin 2022, le président de l’Assemblée nationale, Daniel Gélase Ndabirabe, vient de faire marche arrière. Il autorise la constitution du groupe parlementaire du Congrès National pour la Liberté (Cnl). Ce dernier se dit satisfait de cette reconnaissance officielle.

Par Fabrice Manirakiza, Guy Arsène Izere et Hervé Mugisha

« Nous sommes satisfaits de recouvrer nos droits », réagit Agathon Rwasa, président du Cnl. D’après une source, le président de l’Assemblée n’a pas motivé sa décision. « En réponse en votre lettre, le bureau de l’Assemblée nationale marque son accord sur l’existence du groupe parlementaire du parti Cnl. » C’est le contenu de la lettre de Daniel Gélase Ndabirabe.

« Faut-il un boycott de la plénière pour que le président de l’Assemblée nationale se rende compte qu’il a violé la loi ? », s’interroge un observateur de la politique burundaise. Dans la foulée de cette reconnaissance du groupe parlementaire du Cnl, le président de l’Assemblée nationale a décidé que les réunions des groupes parlementaires et des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale pour la législature 2020-2025 sont organisées et tenues en dehors des enceintes du Palais des Congrès de Kigobe.

Mardi 21 juin, les députés du Cnl ont manifesté leur colère en boycottant la séance plénière d’adoption du projet de loi sur la fixation du budget de l’Etat exercice 2022-2023. « Cela nous a contraint de rester à l’écart dans les travaux d’aujourd’hui puisqu’il a opposé un silence absolu à notre doléance. Cette attitude est inacceptable. Si nos droits sont bafoués au niveau du Parlement, qu’en est-il des droits des citoyens ? », s’est interrogé le président du parti Cnl. Les députés du parti Cnl dénonçaient une violation de la Constitution du pays et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. « Au regard de la loi, il n’y a aucun mobile qui pourrait justifier le refus de reconnaître notre groupe parlementaire. Nous remplissons toutes les conditions pour former un groupe parlementaire », a indiqué Agathon Rwasa.

Une bataille qui durait depuis des mois

En avril dernier, les députés du parti Cnl avaient adressé au président de l’Assemblée nationale une déclaration de constitution de leur groupe parlementaire. Quelques jours après, Daniel Gélase Ndabirabe leur a répondu avec un non catégorique. Il a fait savoir que l’article 50 stipule que « les groupes parlementaires sont constitués après remise au président de la séance d’une déclaration indiquant la liste de leurs membres ainsi que le nom de leur président. Cette déclaration, à transmettre au Bureau de l’Assemblée nationale, est signée par tous les membres du groupe parlementaire et rendue publique par le président de la séance ». D’après M. Ndabirabe, cette déclaration qui devrait être faite au président de la séance qui a dirigé les élections du Bureau de l’Assemblée nationale n’a pas pu faire l’objet de publication le jour même de la séance d’où son irrecevabilité.

Agathon Rwasa : « Il devrait montrer le bon exemple de respecter les dispositions légales et d’asseoir la justice. »

Le Cnl a réagi en indiquant que dans l’article 50 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, on ne mentionne nulle part ni la séance dont il est question, ni les délais de remise de la déclaration.

Agathon Rwasa avait fustigé l’attitude du président de l’Assemblée nationale de refuser une audience à ces députés pour échanger sur ce sujet : « Ce 21 juin, le groupe parlementaire a réintroduit sa préoccupation via le directeur chargé de la législation, mais il n’y a pas eu de réaction de la part du président de l’Assemblée. » Il avait parlé d’un deux poids deux mesures : « S’il accepte qu’il y ait un groupe parlementaire du parti Cndd-Fdd, pourquoi refuser ce droit au groupe parlementaire du parti CNL ? Qu’il se ressaisisse.»

Quid du mobile derrière ce refus ? Un flou reste total sur les motivations du président de l’Assemblée nationale. Agathon Rwasa pense que c’est une tentative d’écarter son parti des institutions régionales, notamment la représentation de ce parti à l’Assemblée législative de la communauté Est-Africaine (EALA). Il avait appelé à la sagesse du président de l’Assemblée nationale : « Il devrait montrer le bon exemple de respecter les dispositions légales et d’asseoir la justice. »

Il y a quelques jours, les députés du Cnl avaient envoyé une lettre au président de l’Assemblée nationale dans laquelle ils s’insurgeaient contre son attitude. « Votre réaction est un autre fait marquant le problème de cohabitation entre les composantes politiques de l’Assemblée nationale. » Et de rappeler qu’il n’a jamais rencontré les députés représentant le parti Cnl et que même après la réception de sa correspondance d’irrecevabilité de leur déclaration, une audience lui a été demandée pour échanger sur l’interprétation des textes réglementaires, mais qu’il a refusé. « Vous devez comprendre qu’il n’est pas aisé de continuer à remplir nos obligations constitutionnelles tant que nos droits constitutionnels sont ignorés».

« C’était une injustice »

Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée nationale, trouve que ce refus était une injustice car les députés du Cnl en ont le droit. «Pourquoi refusez aux députés qui le désirent et qui remplissent toutes les conditions de constituer un groupe parlementaire ?», s’interroge-t-il.

Léonce Ngendakumana : « En affichant un tel comportement, il donne l’occasion aux ministres de dénigrer les députés. »

Il précise que le groupe parlementaire est formé pour contrôler l’action gouvernementale et suivre la mise en application du programme afin de représenter et défendre la mission de l’Assemblée nationale. De plus, observe ce politicien chevronné, le groupe parlementaire parle au nom du parti et fait prévaloir la position du parti lors des débats sur des projets de loi.

Selon lui, la formation d’un groupe parlementaire permet d’avoir une voix unique sur les questions spécifiques et de tisser la cohésion entre les députés.

M. Ngendakumana déplore, en outre, le comportement et les agissements du président actuel de l’Assemblée nationale lors des séances plénières, notamment le retrait de la parole à un élu du peuple : « En affichant un tel comportement, il donne l’occasion aux ministres de dénigrer les députés.»


Eclairage avec Pr Gérard Birantamije

« Ce refus aurait donné l’impression que les lois ne servent à rien »

Après que le président de l’Assemblée nationale a fait marche en arrière en autorisant aux députés du Cnl de former leur groupe parlementaire, l’enseignant-chercheur explique qu’il n’aurait pas dû en arriver là. Selon lui, une telle attitude ne fait que remettre en cause le vote du peuple.

Votre commentaire par rapport à la décision des députés du Cnl de ne pas siéger dans la plénière du 21 juin ?
La question centrale est celle de savoir si un député de manière globale peut ne pas siéger dans une plénière. A ce niveau, le règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale, dans son article 57, dispose que les députés sont astreints à participer aux séances plénières de l’Assemblée nationale. Donc, il y a une obligation à devoir siéger.

Pour dire qu’ils auraient dû…

Loin de là. Parce qu’à ce moment surgit la question des circonstances qui poussent les députés à ne pas siéger. A cette question, le règlement d’ordre intérieur répond aussi dans le même article dans son alinéa 7.

Or les dispositions de cet alinéa telles que définies ne donnent pas quitus aux députés de s’abstenir de siéger. C’est à ce niveau qu’il faut interroger les pratiques. Ainsi, au Burundi comme partout ailleurs, les pratiques montrent que les députés peuvent refuser de siéger pour contester une mesure, un courant d’idée qui traverse l’Assemblée nationale, voire empêcher que le quorum pour un vote d’une loi soit atteint. Je pense que c’est une pratique courante qu’on retrouve dans beaucoup de Parlements. C’est plutôt mieux que de transformer l’hémicycle en ring de boxe, comme on le voit de temps en temps à travers les médias.

Le président de l’Assemblée nationale dans sa correspondance évoque un retard dans la publication de la liste des noms. Selon vous, une justification fondée ?

En aucune manière. Parce que, selon les dispositions du règlement d’ordre intérieur de la chambre basse du Parlement, le groupe parlementaire peut se former ou se disloquer de gré ou de force tout au long de la mandature. Il n’y a pas de temporalité fixe pour mettre sur pied un groupe parlementaire. Les députés peuvent le faire au début de la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale, une année, deux ans après, même à la fin de leur mandat en veillant à ce que cela ne soit pas perçu comme une forme de défense d’intérêts particuliers ou alors comme éléments justifiants un mandat impératif.
Le fond de la matière se trouve dans les articles 45,46, 47, 48 du règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale. En gros, les députés peuvent rester des atomes libres (les non-inscrits) comme ils peuvent former un groupe s’ils partagent les mêmes idées politiques, sont de différentes ethnies et réunissent 5 députés. Ils ne font que transmettre la liste au présidium de l’Assemblée nationale, qui ne peut pas la refuser pour la simple raison qu’elle ait été envoyée tardivement ou parce que tout simplement les idées politiques ne sont pas figées, et des coalitions autour des idées peuvent se mettre en mouvement générant de nouveaux groupes parlementaires.

En refusant aux députés Cnl de constituer leur groupe parlementaire, quelles sont les conséquences dans le fonctionnement de cette institution ?

Sauf abus de pouvoir, il ne revient pas au président de l’Assemblée nationale de refuser la constitution d’un groupe parlementaire, si les dispositions légales et réglementaires y relatives ont été scrupuleusement observées. Ensuite, en refusant la constitution du groupe parlementaire Cnl, le président se plante une balle dans le pied. D’abord, il remet en cause le vote des citoyens. Ensuite, il refuse que l’Assemblée nationale soit réellement l’arène du débat. L’on était habitué à une assemblée unanimiste, cette fois, on aura plus besoin de siéger et de discuter des lois. Le peu de voix dissonantes que les Burundais entendent, laissent croire qu’il y a encore quelque chose à sauver. Mais, là, c’est une réalité qu’ils découvrent. Enfin, avec ce refus, M. Ndabirabe crée un antécédent mortel pour l’institution parlementaire : donner l’impression que les lois ne servent à rien.

Derrière ce refus, quelles sont les probables raisons ?

Il y a certainement les hypothèses qui ont été avancées par le chef de ce groupe parlementaire lésé. Et bien entendu celle donnée par le perchoir de l’Assemblée nationale. Mais au-delà, nous sommes dans un système politique atypique où les non-dits, les fantasmes politiques jouent un grand rôle dans la prise de décisions, parfois sans s’interroger sur les effets pervers de telles décisions. A cela, il faut ajouter le contentieux électoral qui a été peu ou pas soldé. Donc au sein de la partie majoritaire à l’Assemblée nationale, ils peuvent toujours avoir des représentations négatives de l’autre partie quant à la vie politique quotidienne de l’Assemblée nationale. Ici, je veux dire les positions lors des travaux en commissions permanentes, en commissions spécialisées, les critiques de l’Exécutif lors des questions orales aux membres du gouvernement, etc.). C’est comme si la mémoire personnelle remplace la mémoire institutionnelle. Mais cela ne devrait en aucun cas offrir un boulevard aux violations de la loi fondamentale et des actes réglementaires qui président au fonctionnement de l’Assemblée nationale.

Cet incident intervient au moment où certains observateurs politiques avisés ne cessent de s’interroger sur les agissements du président de la chambre basse du Parlement. Notamment, sa propension à couper ou priver la parole aux députés durant les plénières. Votre analyse ?

Encore une fois c’est dommage que les points de vue, les pressentiments ou même les analyses personnelles du président de l’Assemblée prennent le dessus sur les prévisions légales et réglementaires. Le règlement d’ordre intérieur, dans ses articles 61 à 64, prévoit les circonstances lors desquelles le président de la séance peut couper la parole à un représentant du peuple. Est-ce que c’est respecté ? A mon avis, non. Généralement, il coupe la parole aux députés qui ont des idées contraires aux siennes ou du moins à la position du parti prise en coulisses, en amont du débat annoncé à l’Assemblée nationale. Des ouvrages-témoignages comme celui de l’ancien député Aimé Nkurunziza, Les dessous de cartes, montrent avec des détails croustillants ces pratiques. Or le sens du débat parlementaire se trouve dans ce genre de points de vue variés et contradictoires exprimés par les députés. J’ai l’impression que les députés sont de plus en plus caporalisés, voire hypnotisés aussi bien dans le débat que dans le vote. Et cela est contre-productif. Les conséquences, les Burundais les vivront pour des générations.

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