C’est ce mardi 21 octobre que le Burundi a commémoré, pour la 32ème fois, l’assassinat du président Melchior Ndadaye, le tout premier chef d’État démocratiquement élu au Burundi, une tragédie qui a emporté également 15 élus du peuple, 4 ministres, ainsi que plusieurs cadres dont des gouverneurs de province, des officiers de l’armée et des administrateurs communaux. L’onde de choc a fait des milliers de victimes civils à travers tout le pays.
Le chef de l’Exécutif burundais, Évariste Ndayishimiye accompagné de son épouse, a déposé des gerbes de fleurs sur la tombe de feu président Melchior Ndadaye et sur la tombe du martyr inconnu, un mémorial dédié aux victimes des violences qui ont suivi son assassinat.
Dans son homélie, l’archevêque de Bujumbura, Mgr Gervais Banshimiyubusa, a appelé les fidèles à bâtir une Nation fondée sur le bien, la justice et la vérité.
Il a exhorté chacun à préserver l’héritage du héros de la démocratie et à le transmettre de génération en génération, afin que le mal n’ait pas sa place dans la société burundaise.
La journée a été marquée par plusieurs activités commémoratives organisées à différents moments par diverses composantes politiques et sociales.
Dans l’après-midi, des membres de la famille Ndadaye et d’autres responsables politiques ont également déposé des gerbes de fleurs en hommage au président assassiné et aux victimes des événements sanglants qui ont suivi.
Léonce Ngendakumana, ancien compagnon de lutte de Melchior Ndadaye, regrette que ces commémorations se déroulent de manière fragmentée : « C’est regrettable. Le gouvernement et ses alliés commémorent le matin, la famille proche et les autres partis le font l’après-midi. C’est quand même déplorable ».
« Il faut redorer le blason de nos héros »

Selon lui, cette séparation affaiblit le sens profond de la journée. « Le traditionnel discours de Ndadaye n’a même pas été écouté. On se demande finalement ce qu’on est venu faire ici », a-t-il ajouté tout en évoquant une cérémonie devenue ’’symbolique, sans contenu consistant’’.
Cet ancien président de l’Assemblée nationale estime qu’il existe une tendance à affaiblir la mémoire des grandes figures nationales, notamment le président Melchior Ndadaye et le prince Louis Rwagasore. « Il s’observe malheureusement qu’on veut faire oublier ces journées. Même pour la commémoration de l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, c’était la même chose. C’est pour quel intérêt ? Je ne sais pas ».
Léonce Ngendakumana appelle à un dialogue entre le gouvernement et les partis politiques pour redonner à ces journées leur importance historique et leur portée nationale.
Il plaide pour que la commémoration du 21 octobre et celle de la fête de l’Indépendance servent de socle à la refondation de la Nation burundaise, en rassemblant les citoyens autour de l’unité et de la cohésion.
Selon lui, célébrer séparément ces dates symboliques contredit l’esprit même des deux héros nationaux, dont le combat visait à unir les Burundais au-delà de leurs appartenances ethniques, régionales ou politiques.
Il est à noter que ces cérémonies de commémoration ont été rehaussées par la présence de plusieurs autorités du pays, des cadres et de diplomates accrédités au Burundi.









Si les participants aux cermonies de l’apres midi ont ete autorisE d’entrer, soit une la liberte d’expression est garantie au Burundi, soit les empecher d’y entrer aurait provoquE plus de degats ou de mal.
La fragmentation commémorative comme symptôme politique
La commémoration du 21 octobre, marquée par une séparation nette entre les cérémonies organisées par le gouvernement et ses alliés le matin, et celles de la famille et des autres partis politiques l’après-midi, n’est pas un fait anodin. Cette division révèle une instrumentalisation politique de la mémoire, comme le souligne Léonce Ngendakumana. En fragmentant ainsi les hommages, on vide la commémoration de sa substance et on trahit l’esprit d’unité que défendait Melchior Ndadaye.
La bataille pour le contrôle de la mémoire nationale
Derrière cette fragmentation se cache un enjeu plus profond : la compétition mémorielle entre différentes figures historiques. Certains accusent le CNDD de chercher à « remplacer » dans la mémoire collective des héros fondateurs comme Rwagasore et Ndadaye. Cette accusation met en lumière une tentative de réécriture de la légitimité historique, visant à substituer les figures fondatrices par les acteurs politiques actuels et à confisquer le patrimoine symbolique national.
Les deux héros fondateurs incomplets
Louis Rwagasore et Melchior Ndadaye incarnent deux piliers complémentaires de l’identité burundaise moderne. Rwagasore, héros de l’Indépendance, symbolise la lutte contre le colonialisme et l’affirmation de la souveraineté nationale. Ndadaye, quant à lui, représente l’avènement de la démocratie, en tant que premier président démocratiquement élu. Leur héritage conjoint fonde symboliquement un contrat social encore inachevé.
Un contrat social inachevé et un processus interrompu.
La référence au « contrat social imparfait », évoquée par Remy Gahutu, prend ici tout son sens. L’assassinat de Ndadaye a mis fin à une ébauche prometteuse d’un Burundi alternatif, interrompant un processus démocratique naissant. Ce trauma fondateur a engendré des cycles de violence et une rupture durable du pacte démocratique, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.
La portée symbolique des commémorations divisées
Les cérémonies séparées du 21 octobre reproduisent symboliquement les clivages que Ndadaye aspirait à dépasser. Loin de favoriser la réconciliation, cette fragmentation mémorielle entretient les divisions, trahit l’héritage des héros que l’on prétend honorer et freine toute possibilité de guérison collective. Elle révèle une mémoire en crise, tiraillée entre des récits concurrents.
Conclusion : une mémoire en lutte
Le témoignage de Ngendakumana met en lumière une bataille pour l’âme de la nation burundaise. La commémoration du 21 octobre est devenue un champ de lutte où s’affrontent mémoire officielle et mémoire critique, unité imposée et unité authentique, continuité du pouvoir et héritage démocratique. L’appel au dialogue pour « redonner à ces journées leur importance historique » apparaît ainsi comme une nécessité : une réconciliation des mémoires est un préalable indispensable à toute réconciliation nationale. Sans une reconnaissance partagée des figures fondatrices et des traumatismes historiques, le Burundi risque de rester prisonnier des divisions que ses héros ont cherché à transcender.
Abandi nibavuge ico bavyiyumvira ko barya akara abategetsi. Ari Léonce wenyene…