Mardi 16 avril 2024

Économie

Dépréciation du franc burundais : la bombe à retardement !

05/05/2013 Commentaires fermés sur Dépréciation du franc burundais : la bombe à retardement !

Les importateurs burundais ne parviennent plus à indexer les prix des produits sur la fluctuation du taux de change. Et l’affluence des clients s’en ressent.

Le prix du dollar est allé jusqu’à 1800 Fbu alors qu’il n’y a pas deux ans, le même dollar oscillait autour de 1400Fbu. Pire encore, il n’a cessé d’augmenter presque tous les deux jours, pendant les deux dernières semaines du mois de février : « Actuellement, c’est très difficile pour nous de fixer les prix de vente de nos importations avec notre monnaie qui se déprécie de jour en jour », se désole A.N., une vendeuse rencontrée au marché de Buyenzi communément appelé chez Sioni. Elle vend des habits qu’elle importe d’Ouganda. Elle indique être obligée d’adapter ses prix au rythme de la fluctuation du taux de change pour éviter d’éventuelles pertes: « Je perds de plus en plus de clients, car la hausse des prix réduit le pouvoir d’achat des acheteurs. » En effet, certains de ses clients commencent à se tourner vers d’autres fournisseurs : «Nos voisins congolais aimaient bien venir acheter des produits ici parce que l’Ouganda est loin de chez eux. Mais avec la flambée des prix, ils préfèrent aller à Kampala. »

N.K., un autre vendeur, affirme qu’il cessera son activité si le taux de change reste aussi élevé. « Dès que j’écoule mon stock, j’arrête mon commerce car les acheteurs potentiels ne seront pas en mesure d’acheter alors que le pouvoir d’achat dégringole chaque jour un peu plus », se désole-t-il.

« Pénurie de carburant, une autre conséquence »

Les pétroliers burundais souffrent également de cette montée du cours de change. Le manque de carburant qui commence à se manifester à Bujumbura et à l’intérieur du pays est aussi lié à l’instabilité du cours de change du Fbu, d’après les commerçants. « Nous payons nos fournisseurs en dollars alors que nos ventes se font en Fbu. Et avec nos prix fixés par le gouvernement, vous comprenez que ce n’est pas automatique de réaliser des bénéfices avec la dépréciation de la monnaie », souligne E.N. Il fait savoir que certains pétroliers ont cessé de vendre ou de passer d’autres commandes, espérant que le cours de change diminuera dans les prochains jours. D’autres sources au sein de certaines sociétés commerciales œuvrant à Bujumbura affirment qu’elles enregistrent d’énormes pertes de telle façon qu’elles comptent aussi réduire leurs importations vers le Burundi. Face à ces tendances négatives, combien de temps le pays peut-il tenir ?

Un système économique basé sur la consommation et non la production

Le président de la Parcem, Faustin Ndikumana, estime qu’il y a plusieurs causes à la fluctuation du taux de change. Et il évoque également d’autres défis : « Le taux de couverture des importations est de 20% pour le Burundi. Cela signifie que les devises provenant des recettes d’exportation ne nous permettent d’acheter que 20% des importations dont le Burundi a besoin », déplore Faustin Ndikumana, président de l’organisation ‘Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Évolution des Mentalités’ (Parcem).

De plus, il souligne que d’autres ressources en devises, qui dans certains pays permettent de combler le déficit de la balance commerciale, restent inefficaces au niveau du Burundi. Il cite les transferts peu importants effectués par la diaspora du fait que « la grande partie de la diaspora burundaise est faite de personnes qui sont parties sous un statut de réfugié »; les investissements directs étrangers insuffisants (seulement 14 millions de dollars en 2012, selon le représentant de la Parcem), le tourisme non encore développé malgré les potentialités ; etc.

Outre ces problèmes, le représentant de la Parcem accuse la Banque centrale d’être défaillante. « Elle avait le monopole pour gérer les devises. Et pourtant, suite au mauvais service relevant du marketing rendu à ses clients, dont certaines organisations internationales, ceux-ci préfèrent aujourd’hui épargner leurs devises dans les banques commerciales. Ce qui diminue le pouvoir de contrôle des devises en circulation », explique M. Ndikumana.

De plus, l’activiste de la société civile s’inscrit en faux contre l’enrichissement illicite : «Il n’est pas normal que quelqu’un fasse une transaction de plus de 500 mille dollars à la maison tout en payant cash. Un ami d’origine européenne me l’a témoigné récemment.» Cela prouve que, ajoute-t-il, la personne en question ne peut pas expliquer la source de toute cette somme et préfère la garder dans les coffres de sa chambre.

« La question des aides extérieures surtout ! »

Pour Gérard Niyibigira, économiste et ancien ministre des Finances, la dépréciation de la monnaie burundaise va de pair avec l’inflation d’origine monétaire. D’après lui, le fait que le gouvernement vive au-dessus de ses moyens depuis quelques années ne permet pas le maintien de la stabilité du cours de change : « Le budget de l’État est basé sur la prévision d’aides qui bien souvent n’arrivent pas », déplore-t-il.

A cet effet, il indique que le Trésor public est obligé de recourir à la planche à billet à travers les avances de la Banque de la République du Burundi et les bons du trésor auprès des banques commerciales. « Aujourd’hui les obligations de l’État doivent se compter en centaines de milliards de Fbu et ça crée de l’inflation parce que le système financier burundais finance la consommation et non la production », indique M. Nibigira.

Selon l’ancien ministre, les aides ne tombent pas parce que le gouvernement ne remplit pas les conditionnalités exigées par les donateurs. Il parle du respect de la bonne gouvernance, la démocratie, la lutte contre la corruption, etc. « Il faut avoir des promesses fermes auprès des bailleurs de fonds et répondre aux conditionnalités exigées », souligne-t-il. Et d’affirmer que la BRB peut user de son indépendance pour gérer rigoureusement les devises : «  Elle peut refuser les avances colossales de l’État, par exemple, ça dépend des situations. »

Conseil National de Sécurité : « La BRB doit réviser son système de règlementation »

C’est l’une des recommandations évoquées lors de la rencontre avec le président Nkurunziza le 26 janvier dernier. D’après le CNS, la banque des banques doit redéfinir les missions des bureaux de change, rémunérer les dépôts en devises à la lumière de ce qui se fait au niveau des pays de la communauté est-africaine (CEA) de libre-échange afin de maintenir un flux suffisant des devises en circulation. Bien plus, le conseil national de sécurité suggère aux banques commerciales de prendre des mesures incitatives de dépôt et de retrait des devises. Au gouvernement, le CNS conseille de prendre les mesures nécessaires afin que toutes les exportations de minerais et de cultures de rente n’échappent plus au fisc. L’autre recommandation du conseil est que les transactions sur le territoire national soient faites en monnaie locale.</quote>

« C’est la loi de l’offre et de la demande qui joue »

Audace Niyonzima, chargé des études et statistiques à la BRB, indique que c’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine le taux de change : «  Si les devises sont en quantité insuffisante, et qu’il y a plus de demandeurs, il est clair que le taux de change augmente », indique-t-il. Les exportations burundaises qui sont en petite quantité et le creusement du déficit commercial qui en découle ainsi que la baisse des aides étrangères, sont aussi deux principaux facteurs à la base de la dépréciation de la monnaie burundaise, d’après M. Niyonzima. Ce dernier affirme qu’en 2012 l’État n’a reçu environ que 43 % des appuis budgétaires obtenus en 2010, soit une baisse de plus de la moitié ! « Et les exportations n’augmentent pas pour compenser ce recul de l’aide extérieure », déplore-t-il.

En outre, l’agent de la BRB fait remarquer que les importations ne cessent de croître, ce qui crée une pression sur les devises et donc sur le taux de change : « Celui-ci étant déterminé par les mécanismes du marché et non fixé par la Banque centrale  », précise-t-il.
Il signale, par ailleurs, que lorsque la monnaie nationale commence à se déprécier, les agents économiques se lancent dans la spéculation. Et de conclure : « Cela accélère la dépréciation qui n’est pas nécessairement liée à la pénurie de devises.»

BRB

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