Vendredi 11 octobre 2024

Société

‘‘BATA’’, l’oasis de la cohésion

22/09/2015 4

Connu pour être le marché noir spécialisé dans le « recyclage » d’objets volés ou perdus, cet espace situé en plein centre-ville devant l’ancien magasin Bata est le point de rencontre des jeunes chômeurs de tous bords, qui tentent d’y gagner leur vie par tous les moyens.

Bata, chez les « entrepreneurs free-lance »
Bata, chez les « entrepreneurs free-lance »

Dès 8h du matin, l’accotement de la chaussée P.L. Rwagasore situé au niveau des magasins Bata est déjà noir de monde. Bazars, rabatteurs, vendeursà la sauvette, ‘‘recycleurs’’, réparateurs d’objets de toutes sortes, pickpockets aussi, BATA est un monstre à plusieurs tentacules. Il happe chaque passant et lui propose ou un téléphone, ou un service, tout cela à grand renfort de sourires, de regards appuyés, et s’il faut, une insistancequelques fois excessive.

Le caractère exceptionnel de cet endroit réside dans le potentiel humain qu’il recèle. Tous les jours, des jeunes de divers milieux, de diverses ethnies, de diverses appartenances politiques, se croisent, travaillent ensemble, et comme le constate Marc, un des clients, « on ne verra jamais un jeune s’en prendre à un autre pour aucune de ces raisons.» Et ces derniers le confirment. « On est ici pour gagner notre vie, le reste on s’en fout», appuie Eddy.

Petit saut dans l’histoire

Dans les années 60, le magasin Bata apparaît au centre-ville. Il est spécialisé dans la vente et la confection de chaussures. « Chausser Bata, c’était chausser la qualité », se souvient Samson Ntunguka,habitant de toujours de Bujumbura. Il n’oublie pas de mentionner avec espièglerie l’accueil chaleureux dont faisaient objet les clients de la part des jolies vendeuses.

Dans les années 70, Bata doit faire face à la concurrence des Indiens. Il commence à proposer des produits de moindre qualité, pour un moindre coût. La clientèle commence à se détourner. Dans les années 80-90, tout ce qui reste de cette entrepriseest juste le nom, dont les différents magasins qui se sont succédésdans l’immeuble vont continuer à se servir.

Pour la petite histoire, «au lendemain du coup d’Etat de 87, le président Bagaza, propriétaire de l’immeuble Bata, confie sa gestion à un proche parent. C’est ce dernier qui pense à faire de cet endroit un petit « marché » rempli à ras le bord de petits bazars spécialisés en tout. À son retour, l’ancien président Bagaza aurait eu du mal à reconnaître son immeuble, mais au vu des bénéfices engrangés, il décida de ne toucher à rien, mais plutôt remercia son parent», raconte Bob, un des anciens de Bata.

Après la crise de 1993, cette place va commencer à devenir la plaque tournante de divers trafics qu’on connaît maintenant. Orphelinsde guerre, jeunes déscolarisés, enfants en situation de rue, … tousdoivent à tout prix trouver un moyen pour survivre. Des attroupements commencent alors à se faire remarquer devant les magasins Bata. « Les jeunes de ces temps étaient des commissionnaires qui traitaient de tout, pourvu que ça rapporte », confie Jimmy, un des nouveaux de Bata.

Plus tard, le chômage et l’exode rural grossissent le nombre de jeunes ayant élu Bata comme lieu de travail. La venue des téléphones mobiles change aussila donne, car en un rien de temps, ce dernier marché s’accapare de plus 80% des opérations effectuées sur les lieux. Les plus vieux «batasseurs » (ainsi se nomment ceux qui travaillent à Bata) doivent faire face à la concurrence des plus jeunes, plus dégourdis avec les nouvelles technologies.

Pour SamsonNtunguka, observateurdu’’phénomène Bata’’ depuis longtemps, ces lieux sont « justeun endroit où tout le monde se réunit pour chercher comment survivre.»

Relations tendues avec l’administration

2013. La police fait deux rafles en moins d’un mois. Une chasse semble être ouverte contre les jeunes qui se rassemblent devant le magasin Bata. Une escouade de policiers reste en faction sur les lieux et disperse tout attroupement. Les « batasseurs » dénoncent un acharnement dirigé contre eux, tandis que les autorités rétorquent qu’ils veulent restaurer l’ordre, mis en péril par ces jeunes.

Les jeunes «entrepreneurs free-lance » ne se laissent pas faire. Ils créent une association, se dotent de badges. Peine perdue, l’association n’est pas reconnue. L’initiative s’effondre quelques temps après. « Travailler une seule journée en ces temps-là ressemblait beaucoup au parcours du combattant», confie Eddy.

«Certes, notre travail frise quelques fois l’illégalité», admet de sa part Jimmy, «mais la plupart des fois, on n’y est pour rien». D’expliquer qu’il peut acquérir un bien dont le vendeur jure être le légitime propriétaire, puis se faire alpaguer après en tentant de revendre l’objet et être qualifié injustement de voleur. «Les risques du métier», soupire-t-il.

En 2015, la tension semble être retombée. Le business a repris ses droits. AstèreNdayisaba, chef de cabinet à la Mairie, va même jusqu’à reconnaître l’endroit comme étant un lieu de rencontre de chômeurs en quêtede travail, tout comme les autres «main d’œuvre» disséminées dans la capitale. « Se réunir là, n’est pas en soi un problème, sauf que des malfaiteurs de toutes sortes en profitent et s’y infiltrent, ce qui justifie les contrôles policiers», explique-t-il.

Mais ces mesures continuent à révolter les « batasseurs ». Pour eux, la seule chose qui justifie ces rafles, c’est la corruption, « un petit 5000 glissé au creux de la main », déplore Jimmy.

‘‘Bata’’, une autre réalité

Jeunes de tous bords se livrant à différents activités
Jeunes de tous bords se livrant à différents activités

«On est presqu’une famille », confie Eddy à propos de ses ‘‘collègues’’. Qu’on soit maître dans l’art de «faire avaler des couleuvres» à des crédules clients ou qu’on soit la probité incarnée, une solidarité inébranlable est de rigueur en cas de pépin. Et pour Jimmy, c’est « une des choses qui font que je reste ici, à battre le pavé tous les jours sous un soleil de plomb».

Depuis quatre mois, le pays traverse une crise majeure. Une situation qui semble n’avoir pas affecté Bata. « Certes les allusions ne peuvent pas manquer, comme ce jour où des amis venant de Kamenge se sont moqué de moi en me voyant tôt le matin pendant les jours des manifs, et m’ont demandé si le stock de pneus était épuisé», évoque Jimmy, pour sa part venant de Ngagara. « Mais dans tout ça, rien de bien méchant, juste de la taquinerie, ce dont je ne me prive pas aussi en les traitant d’Imbonerakure», ajoute-t-il.

Pour les différents jeunes œuvrant sur ces lieux, dans un travail de tout ce qu’il y a de plus informel, vivre dans l’entente cordiale est une règle de survie. «Peu importe la rancœur qu’on a dans le cœur, l’idéologie dont on est abreuvé chez soi, pour vivre ici, il faut se défaire de toutce qui s’appelle divisionnisme», soutient Eddy.

Au fil du temps, Bata est devenu un paysage incontournable de Bujumbura. Jimmy, tout comme ses compères, finit par se questionner : « Après l’incendie du marché central, n’est-ce pas à juste titre si on qualifiait‘‘Bata’’ de nouveau ‘‘cœur de la capitale’’ ?».

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Haberisoni

    Nous les Burundais sommes des hypocrites (excusez d’inclure tout le monde). Juste un petit exemple: Arrêtez votre voiture pour donner un “lift”. Des gens monteront dans la voiture sans même s’enquerir de l’ethnie du chauffeur, de son appartenance politique, ou qu’il soit un imonerakure ou pas. Mais, arrivés dans nos coins familiers (bureaux, salons, bars, …) nous commencons à taxer les gens de tous ces qualificatifs mentionnés ci-haut. Je ne m’etonne donc pas que les jeunes à BATA se comportent comme ils le font. Chez nous, parmi les “notres” nous enlevons les masques et nous redevenons nous-mêmes.

  2. GAHANGA

    Très bel article, mais la typographie laisse a désirer. juste un clin d’oeil,

  3. gaheto

    felicitation vijana wetu kwakufanya kazi,maana kazi ndiyo musingi wa maendeleo.ntimuhendwe naba nye politique.
    kuko barwanira imiryango yabo nabana babo.ama exanple ntimuyabona?Rwasa nabandi Odifax yigiriye HOLLAND
    nabana biwe nabagore biwe bose batatu,dusigara turawota twenyene.Ndashima gose Journaal iwacu kuko iduha akanya
    natwe aba Jeunes.

  4. Vivan

    Oui, rencontre de jeunes luttant pour une survie journaliere, mais qui sont souvent « tres naifs et victimes » des dangers lies aux temps que nous traversons. Ils sont combien a s’y avoir ete recemment arretes par la police, sans justement se rendre compte que meme sans s’accuser de rien, une fois arrete, la destination ne sera pas la prison ou le tribunal, mais bien la Riviere Nyabagere (tue ligote) ou d’autres lieux improvises!

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

La tolérance n’est pas une faiblesse

Le processus électoral est en cours. À quelques mois des élections de 2025, le Code électoral, ainsi que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et ses antennes sont en place bien que critiqués par certains acteurs politiques et de la (…)

Online Users

Total 1 548 users online